L'amiral Ronarc'h

A l'heure où, de nouveau, nos soldats se
couvrent de gloire sur les bords de l'Ysere, il nous paraît opportun
d'évoquer la grande figure du héros de Dixmude, de l'amiral
Ronarc'h, qui au mois d'octobre 1914 avec sa brigade de fusiliers marins,
arrêta la 40.000 Allemands.
L'amiral Ronarc'h est né le 22 février 1865 ; son entrée
au service date de 1880 ; aspirant en 1883, lieutenant de vaisseau en
1890, capitaine de vaisseau en 1908, la guerre le trouve contre-amiral
en 1914. Une brigade de fusiliers marins est constituée ; il
est mis à la tête pour aller au secours de l'armée
belge en retraite.
On sait comment, à Dixmude, il tint tête aux forces allemandes,
avec quelle ténacité, quel héroïsme il soutint
tous les assauts d'un ennemis dix fois supérieur en nombre.
Décoré par le roi des Belges, le 29 octobre 1914, il reçu
en 1915 la cravate de la Légion d'honneur. Le 5 novembre de cette
même année, il était promu au grade de vice-amiral,
puis nommé membre du conseil supérieur de la marine.
VARIÉTE
La Chine en guerre
Allemands et Célestes. - Le vieil
antimilitarisme chinois. - C'est la faute à l'Europe. - Napoléon
et les lettrés. - Sans combattre, la Chine aura vaincu.
Les Allemands n'auront pas seulement réussi
à soulever la réprobation du monde entier, ils auront
encore accompli ce miracle d'éveiller contre eux l'esprit de
combativité chez le peuple le plus pacifique par son tempérament
et le plus pacifiste par ses traditions, qu'il ait dans l'univers.
La Chine s'est quelquefois battue dans le passé, mais ce n'était
généralement pas de gaîté de coeur qu'elle
allait à la bataille. Elle subissait la guerre qu'on lui déclarait.
Aujourd'hui, c`est elle qui déclare la guerre à l' Allemagne.
Vous me direz quelle la lui déclare parce que sa diplomatie trouve
intérêt a se joindre aux aux Alliés et à
suivre les destinées des Japonais, les éducateurs de la
Chine, et des Américains, ses banquiers. Soit !...
Mais il n'en est pas moins vrai que, de tous les peuples occidentaux
qui, depuis quelques années occupaient des concessions en Chine,
l'Allemand est, à coup sûr, celui qui se rendit le plus
antipathique. Comment le Chinois, qui est courtois, formaliste et pacifique,
eût-il pu s'entendre avec le peuple de reîtres qui ne connaît
ni ménagements, ni scrupules, ni lois, avec le peuple qui dit
: la force prime le droit ?
Les exactions commises par les Allemands, l'emploi barbare qu'ils ont
fait des ressources de la science ont achevé de les perdre dans
l'esprit des chinois. C'est plus que de l'antipathie, c'est du mépris
que le Céleste épreuve pour le Teuton.
Sans doute il serait imprudent d'espérer de la Chine un concours
militaire ou naval de quelque importance. Mais son entrée dans
la ligue des puissances alliées contre l'Allemagne aura cependant
pour celle-ci des conséquences désastreuses.
C'est un pays de plus fermé aux influences et aux entreprises
germaniques. Et quel pays ! Le plus vaste du monde, le plus inexploité,
celui qui offrait à l'activité teutonne les ressources
les plus considérables.
L'Allemagne, à la faveur de son occupation de Kiao-Tchéou,
n'avait rien négligé pour s'infiltrer partout en Chine,
pour y accaparer le commerce, l'industrie, la finance. C'était,
déjà, dans l'esprit des Boches, un pays voué à
leur domination.
Fini ce rêve, écroulé avec tous les autres rêves
de l'hégémonie allemande. La guerre déclarée
par la Chine, c'est l'Allemand chassé, ses propriétés
saisies, ses affaires ruinées, ses espérances brisées.
Ainsi, peu à peu, le Boche est rejeté par toutes les nations
comme une écume infecte ; et le jour est proche où il
se trouvera isolé dans l'univers, au milieu d'un monde d'ennemis.
***
L'histoire affirme que la poudre à canon fut certainement connue
des Chinois avant le Xe siècle ; mais-ifs ne s'en servaient que
pour les feux d'artifices, et son application aux armes à feu
leur a été enseignée par les Européens.
Ce trait est suffisant pour peindre le pacifisme de l'âme chinoise.
Ce peuple, qui a tout inventé avant nous, n'a appliqué
aucune de ses inventions dans un esprit de destruction. C'est, pourrait-on
dire, l'antipode du peuple allemand qui ne cherche dans tout progrès
scientifique que le moyen de nuire.
Le Chinois de naguère, si ingénieux en toutes choses,
était demeuré, en matière guerrière, de
la plus puérile naïveté.
Il avait encore, il n'y a pas plus de deux tiers de siècle. la
mentalité des guerriers primitifs et des peuplades sauvages qui
s'imaginaient qu'en guerre, pour effrayer l'ennemi, il fallait surtout
s'accoutrer de façon effroyable et pousser des cris terrifiants.
Vers 1860, les soldats chinois s'appelaient « les Tigres de guerre
» et portaient un équipement de couleur jaune rayé
de noir, afin de mieux ressembler au féroce animal dont ils s'étaient
décerné le nom. Ils avaient des boucliers de bambou sur
lesquels était peinte une tête monstrueuse en vue d'effrayer
l'ennemi.
Chaque soldat portait un écriteau pendu au cou, sur lequel était
inscrit le mot Yo-Ong (vaillance). Malheureusement, l'enseigne
était souvent trompeuse. Un officier anglais disait, en se raillant
de cette devise : Cela serait fort bien si l'écriteau ne se retournait
pas sur le dos du guerrier quand il fuit. »
Le tigre de guerre avait encore un corselet de métal et. un casque
de fer dont le sommet ressemblait à une cheminée retournée.
L'armée chinoise, à cette époque, était
aussi déplorablement armée qu'elle était peu commodément
équipée. Les armes dont dont elle faisait usage étaient
des fusils à mèche que l'on posait pour tirer sur des
fourches de bois. Encore, ces arquebuses étaient-elles généralement
en fort mauvais état.
Deux missionnaires qui assistèrent à une revue de troupes
chinoises, il y a un peu plus d'un demi-siècle, en ont fait la
description la plus pittoresque et la plus divertissante qui se puisse
imaginer.
« Les soldats, disent-ils, arrivaient de tous côtés,
par petites bandes, armés de fusils, d'arcs, de lances, de sabres,
de fourches et même de scies à longs manches ; il y avait
même quelques canons auxquels les épaules de deux soldats
servaient d'affût. Au milieu de cette confusion si variée,
il y avait cependant de l'uniformité, car chacun avait un éventail
et une pipe. Beaucoup portaient sous le bras un parasol...»
Tels étaient les soldats chinois vers 1860. Sans doute la Chine,
depuis lors, a fait des progrès dans l'art militaire - elle les
a faits, du reste, à ses dépens et à son corps
défendant, car l'âtre d'un peuple ne se modifie pas si
rapidement au gré des circonstances, ci l'âme chinoise
fut de tout temps essentiellement pacifiste. Jugez-en plutôt par
ces strophes extraites du Schi-King, le livre des chants sacrés,
et qui sont, si l'on peut dire, la Marseillaise des chinois
- la Marseillaise de la paix :
Comme la montagne est haute !
Comme la vallée est large !
Et toujours et toujours cependant je m'éloigne
Je vais au combat, aux luttes.
Tandis que je préférerait rester dans mon pays.
Et, plus loin :
Quand nous sommes partis,
les semailles avaient poussé
Quand nous revenons au logis
Elles ont mal réussi.
Long voyage, maigre repas :
Que j'ai souffert de malheurs indus
Depuis que j'ai porté les armes
Au lieu de conduire la charrue.
Cependant, en dépit de leur vieil esprit
pacifiste, les Chinois ont été entraînés
par les circonstances dans le mouvement militariste qui semble agiter
d'autant plus le monde entier depuis qu'on a élevé un
palais à la Paix et qu'on prône de toutes parts la fraternité
universelle.
Depuis une vingtaine d'années, ils s'efforcent de secouer leurs
vieilles traditions.
La guerre de 1894-95, dans laquelle le Japon leur infligea de si cruelles
défaites, la campagne des Européens sur Pékin en
1900 furent pour eux de sanglantes leçons, dont ils profitèrent
d'ailleurs.
Dès lors naquit dans l'esprit, du gouvernement chinois le projet
de créer une armée véritable, pourvue de tous les
perfectionnements militaires empruntés aux Européens.
Les succès japonais dans la guerre contre la Russie ont contribué
à hâter encore, s'il est possible, cette évolution
militaire de la Chine.
C'est alors que les Célestes, oubliant les anciennes querelles,
ont appelé à eux les instructeurs japonais.
Un de nos officiers, le capitaine d'Ollone, qui fut, pendant trois ans,
chargé d'une mission en Chine, parlait naguère de cette
reconstitution militaire :
« Si les Chinois, disait-il, ne possèdent pas, comme leurs
voisins les Nippons, une vieille caste militaire à l'image de
celle des Samouraïs, prête à toutes les adaptations
du métier des armes, moralement entraînée depuis
des siècles à la vie du soldat, on aurait tort d'oublier,
d'autre part, qu'ils contiennent, dans les limites de leur territoire,
d'immenses populations qui furent autrefois, d'inépuisables réservoirs
de combattants et qui ont fourni les contingents de tous les grands
envahisseurs asiatiques.
» Le jour où les Célestes se préoccuperont
d'organiser leurs finances, leur administration intérieure, leurs
moyens de transport - et s'ils procèdent à cette résurrection
nationale avec la même rapidité prodigieuse dont ont fait
preuve les sujets du mikado - ils pourraient bien nous réserver
des surprises. On doit se rappeler que certains appartiennent à
ces races guerrières qui, au quatorzième siècle
- hier presque - venues des rives de l'Amour au des steppes de l'Asie
centrale, poussaient leurs cavaliers d'avant-garde jusqu'aux portes
de Leipzig et de Trieste. »
Néanmoins, il est peu probable que, dans la guerre présente,
ce soient les cavaliers chinois qui aillent à Leipzig. Les Chinois
ont fait, il est vrai, des progrès en ce qui concerne l'organisation
militaire, mais ces progrès ils les ont faits, il faut le répéter,
en dépit d'eux-mêmes, et ils ne savent aucun gré
à l'Europe qui les y a forcés.
Il y a une douzaine d'années, dans un congrès pacifiste
qui se tint à Lucerne, un délégué chinois
faisait, à ce propos, et de la façon spirituellement sarcastique,
le procès de l'Europe :
« En Chine, disait-il, nous reconnaissons depuis les temps les
plus reculés ce principe : l'état normal du monde, c'est
la paix. Notre peuple est donc facilement contenté. A chacun
suffit son petit coin ce terre, son humble existence. Quant à
l'État, il a considéré de tout temps que les armements
ne devaient pas exister en temps de paix et il n'a jamais eu l'idée
de constituer une armée régulière permanente.
Seulement, l'Europe est venue chez nous... »
« Nous étions dégagés de tout sentiment militaire
et, par suite, dépourvus de toute préparation à
la guerre, quand les puissances européennes vinrent en Chine.
A coups de canon on enfonça nos portes, qui n'étaient
point gardées. Dans des guerres sans motif, on fit périr
des hommes qui ne connaissaient même point l'usage des armes à
feu. Enfin, notre amour de la paix nous ayant fait succomber, on nous
traita comme l'Europe traite les peuples vaincus. On nous obligea à
subir l'importation de l'opium. On combattit nos croyances. On transforma
en loups sanguinaires, pour la défense de leur foi, les plus
pieux d'entre nous. Enfin, l'on s'ingénia à nous démontrer
que note haine du militarisme avait causé notre faiblesse et
que l'on nous faisait payer chèrement cette faiblesse,
» Alors, les Chinois ont cru de bonne foi que pour être
respectés il fallait faire peur aux autres, par conséquent,
devenir militaristes. Et la Chine s'arme... »
« C'est la faute de l'Europe, messieurs, concluait le délégué
chinois, c'est elle, c'est vous qui nous avez amené là.
Mais. soyez tranquilles, nous ne ferons jamais des armements qu'avec
répugnance. Nous nous rappellerons toujours l'édit de
Meng-Tseu, condamnant aux peines les plus sévères les
hommes belliqueux. Notre attitude, quand nous serons armés, grâce
à vos courtiers en canons, sera, de préférence,
celle du « port d'orme », sans plus. »
Il semble bien que, jusqu'à présent, la déclaration
faite par le bon délégué pacifiste se soit pleinement
justifiée. La Chine ne s'arme peut-être pas, comme il le
disait, avec répugnance, mais elle s'arme sans enthousiasme.
Cependant, à maints témoignages, on constate l'évolution
vers un esprit moins pacifiste. M. Fernand Farjenel, un de nos meilleurs
sinologues, signale le fait dans son excellent ouvrage sur le Peuple
Chinois.
« L'antimilitarisme des lettrés eux-mêmes, dit-il,
diminue de jour en jour.
» Le plus grave symptôme, ajoute-t-il, de cet état
d'esprit est peut-être le succès d'un livre qu'on eût
été fort étonné, il y a quelques années,
de trouver entre les mains des lettrés chinois ; ce livre, c'est
une histoire de Napoléon, dans laquelle on présente le
grand capitaine comme le plus remarquable génie des temps anciens
et modernes en Occident.
» Le récit des victoire de cet homme de guerre incomparable
défraie les causeries des lettrés qui, il y a peu de temps
encore, n'avaient que mépris pour les choses militaires et ils
conviennent volontiers que la Chine, dans les circonstances actuelles,
aurait besoin d'un Napoléon ; mais, néanmoins beaucoup
redoutent encore, pour leur pays, la prépondérance des
hommes de guerre, qui reléguerait les purs intellectuels que
sont les lettrés au deuxième rang. »
***
Là, sans doute, est la cause des lenteurs apportées par
la Chine dans son évolution vers le militarisme, là et
aussi dans la mauvaise administration du pays, qui ne permet pas de
tirer de la population toutes les ressources nécessaires pour
mener à bien la création d'armées solides.
Pourtant, certains Chinois ne semblent pas douter de la possibilité
pour leur pays de prendre part à la lutte, non point seulement
au point de vue économique, mais encore au point de vue militaire.
Le principal attaché de la légation chinoise de Paris
disait dernièrement à un de nos confrères :
- Être avec les Alliés, ce sera positivement, monsieur,
une gloire inestimable, aussi bien pour nous tous, les membres de la
colonie chinoise de Paris, que pour tous nos compatriotes de là-bas.
La Chine, vous le savez, est un des plus grands pays agricoles du monde
; eh bien, dites-vous que, dès maintenant, son entier concours
alimentaire, si je puis dire, vous est acquis... en attendant notre
concours combatif, qui bientôt, soyez-en certain, vous
sera assuré et largement !
Le « concours combatif » de la Chine... Verrons-nous donc
les « Tigres de guerre » aux tranchées avec nos poilus
? Non, sans doute. Au surplus, les Tigres de guerre d'aujourd'hui ne
sont plus affublés d'oripeaux de carnaval : ce sont des soldats
équipés à l'européenne, armés de
bons fusils et non moins exercés que leurs instructeurs japonais.
Ils feraient à coup sûr très bonne figure à
côté des soldats de toutes les nations liguées contre
la barbarie teutonne.
Mais les Alliés n'en demandent pas tant à la Chine. Ce
qu'ils espèrent d'elle surtout et ce qu'elle peut leur donner
sans compter, ce sont des travailleurs, des soldats de l'industrie bien
plutôt que des combattants.
La Chine est un inépuisable réservoir d'hommes. Et, partout,
dans les pays alliés, on manque de main-d'oeuvre. L'ouvrier chinois
à toutes les qualités du bon ouvrier. Il est habile, il
est sobre, il est courageux, il n'exige qu'un salaire raisonnable. Le
Chinois est encore un excellent agriculteur. Or, nous avons besoin,
nous et nos alliés, d'ouvriers de l'usine, de la terre, de la
mine. Qu'on nous donne des Chinois. Par leur secours, la crise économique
entraînée par la guerre sera conjurée.
Que faut-il encore espérer de l'entrée de la Chine dans
la grande ligue qui combat pour la liberté des peuples et le
triomphe du droit ? Il faut en espérer, pour la Chine elle-même,
une évolution libre vers la civilisation moderne et le progrès.
Il n'est pas douteux que, si la guerre n'avait pas éclaté,
la Chine, comme maints autres pays de l'Orient aussi bien que du Sud
Amérique, aurait été mise en coupe réglée
par l'empire de proie. La défaite de l'Allemagne garantit la
république chinoise contre une telle éventualité.
La victoire des Boches c'était, tôt ou tard, la main-mise
sur la Chine par la puissance allemande. La Chine, en aidant les Alliés,
même platoniquement,à vaincre l'Allemagne, se sauve elle-même.
Et les Chinois, sans même avoir eu besoin de combattre, pourront
se féliciter d'avoir vaincu.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal illustré
du 26 août 1917