Le général Muteau

On les appela les « gaillards de Muteau », ces soldats héroïques qui, le 15 décembre 1916, enlevèrent la côte du Poivre et le village de Vacherauville, devant lesquels le général Guillaumat, au début de mars 1916 avait arrêté la progression ennemie.
Et leur chef aussi est un « gaillard ».
Né le 30 juin 1854 à Chalon-sur-Saône, il entra à Saint-Cyr en 1873 et fut promu colonel le 12 octobre 1901. Il fut nommé général de brigade le 28 janvier 1906 et général de division le 20 décembre 1910.
Le 2 août 1914 il recevait, le commandement d'une division d'infanterie et un mois après, le 4 septembre, à l'est de Montmirail, il était grièvement blessé par un éclat l'obus. Il fut cité à l'ordre de d'armée (O. du 29octobre 1914) pour sa belle conduite en cette circonstance.
Appelé le 19 décembre 1916 au commandement d'un corps d'armée, il a eu sous ses ordres les 11e et 1er corps.
Une nouvelle citation à l'ordre de l'armée, du 29 janvier 1917, atteste que l'armée, française a en lui un de ses chefs les plus brillants.
En avril suivant, ayant atteint la limite d'âge, il est maintenu en activité.
La citation du 10 juillet 1917, qui accompagne sa promotion à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur, n'est pas moins élogieuse que les précédentes : « N'a cessé, depuis le début des opérations, d'affirmer les plus belles qualités de commandement, Placé successivement à la tête d'une division, puis d'un corps d'armée, s'est montré partout un chef vigoureux et énergique, sachant inspirer à ses troupes, par son exemple et sa haute valeur morale, une confiance absolue. »

VARIÉTÉ

L'ivresse rituelle

La soûlerie organisée en Allemagne. -- Soirées d'étudiants. -- Un, deux, trois, soifez ! - ils sont fiers d'être les premiers ivrognes du monde.

L'ivresse rituelle, c'est l'ivresse allemand.
Ces gens-là sont si merveilleusement organisés qu'ils ne peuvent rien faire, pas même se Soûler, sans suivre un rite établi.
Incidemment, dans un article récent sur la voracité allemande, nous rappelions que, déjà, au temps des Romains, ce peuple se signalait par ses habitudes d'ivrognerie.
Dans son livre sur les Moeurs des Germains. Tacite disait :
« Ils n'ont aucune honte de passer sans interruption le jour et la nuit à boire. »
Et il ajoutait :
« Les disputes, comme cela est fatal dans l'ivresse, sont fréquentes et se terminent souvent par des blessures et des meurtre...»
Or, ils n'ont pas changé, depuis deux mille ans : ils sont toujours aussi ivrognes aussi querelleurs, aussi brutaux.
Mais, cependant, la « Kultur » a modifié leurs mœurs primitives : elle leur a appris l'art d'appliquer à l'ivrognerie leur esprit méthodique et organisateur.
J'imagine qu'au temps de Tacite, ils se grisaient sans méthode, comme des barbares qu'ils étaient. Au temps de Guillaume II, ils se soûlent suivant des préceptes, conformément à une discipline immuable !
N'est-ce point là, le signe que ce peuple a atteint, en vérité, les bornes de la « Kultur » la plus raffinée ?
Et comment s'étonner après cela, qu'il s'estime digne d'imposer sa civilisation aux autres peuples, et capable de dominer le monde ?

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Qu'est-ce qu'apprend tout d'abord l'étudiant allemand qui arrive à l'Université ?
Sont-ce les sciences, la littérature, la philologie, la philosophie ?...
Rien de tout cela. L'étudiant allemand apprend d'abord à se soûler. Mais à se soûler congrûment, avec méthode, avec discipline, comme doit le faire tout homme digne d'être compris dans la patrie allemande.
D'abord, l'étudiant doit s'affilier à une société, à un « korps », dont le lieu de rendez-vous est la « kneipe », le « beuvoir » où se perpètrent les soûleries rituelles en commun.
On y discute bien aussi parfois de lettres et de sciences, quand on n'a pas trop bu, mais ces discussions ne sont que hors-d'oeuvre : On est là pour boire.
Un étudiant français, envoyé il y a quelques années à Nuremberg pour y étudier la philologie, et forcé de s'affilier à une de ces associations de pochards, écrivait :
« Nos séances avaient quelque chose de répugnant par les excès de boissons. « Comment peux-tu absorber tant de bière ? demandai-je un jour à mon voisin. Pour moi, impossible d'ingurgiter une goutte de plus. Vous n'avez pourtant pas plus de place que moi dans le corps. » - « Viens, dit-il, je vais te montrer. » Il m'emmena.. quelque part, s'enfonça deux doigts dans la gorge, et, vidé, retourna se remplir. »
Mais encore ne se remplit-on pas suivant sa fantaisie. En Allemagne, la discipline est partout. Les beuveries des étudiants sont soumises à un règlement très sévère qui porte le titre de « bierkomment », c'est-à-dire code pour boire de la bière.
Un de nos confrères, M. Jean Girardet, a traduit et commenté un de ces précieux petits livres pour notre édification.
« Le premier article, dit-il, vous explique que toutes ces règles de beuverie sont très anciennes, et faites pour maintenir l'ordre - l'Allemand ne peut rien faire sans sentir une férule ! - et augmenter la gaieté (!)..
» Pendant une beuverie- il y en a une presque tous les soirs - on ne compte plus par minutes de 60 secondes, mais par « minutes de bière » dont cinq valent trois minutes des vulgaires mortels.
» Toute soirée de beuverie se décompose en trois parties : une beuverie officielle très sévèrement réglée, une partie un peu moins stricte, où le président consent à céder sa charge à un autre non gradé et enfin ce qu'on appelle la « fidelitas », qui commence à minuit ; là, on boit, à sa fantaisie. Vers trois on quatre heures du matin, ou tâche de regagner sa demeure. Si vous ne pouvez pas, vous restez dans un ruisseau. Le veilleur de nuit vous ramassera dévotement et vous ramènera chez vous. Vous le paierez avec des « bons de bière » ou une pièce blanche.
» Le président seul a le droit de commander, et tout le cercle s'incline. Si l'on veut parler, il faut demander la parole. Un renard (un jeune étudiant) n'a même pas le droit de la demander directement, mais doit la faire demander par un compagnon. Si quelqu'un veut sortir - et avec de telles quantités de bière, cela arrive fréquemment au commençant - il doit demander la permission « en latin » : Peto tempus. Quand il revient, avant de s'asseoir, il annonce, en latin également Tempus ex. L'absence ne doit pas durer plus de 5 minutes de bière. C'est pis qu'à l'école ! Toutes les fautes contre le règlement sont punies par l'ingurgitation d'un certain nombre de verres de bière fixé par le président.
» La politesse exige que l'on boive toujours à la santé de quelqu'un. On boit à son voisin, à son vis-à-vis... et, celui-ci est obligé de répondre dans le délai de cinq minutes de bière en avalant la même quantité de liquide que celle qui a été bue en soit honneur. Si, dans les 5 minutes réglementaires, satisfaction n'est pas donnée, celui qui a porté le toast peut exiger que l'autre soit mis au ban de la table des buveurs, honte affreuse dont il importe de se racheter le plus vite possible au prix d'un certain nombre de chopes...»
Pendant la beuverie officielle, on chante. On chante des chansons idiotes, des chansons d'ivrognes ; mais on chante aussi des chants patriotiques. L'étudiant français dont j'ai parlé plus haut raconta qu'un jour ses camarades l'invitèrent tout spécialement à venir au « Verein » : Il y vint. C'était pour y entendre faire un panégyrique de Arndt, le poète national de l'Allemagne, le plus féroce ennemi de la France, panégyrique après lequel tous les étudiants chantèrent à tue-tête les plus virulentes chansons de cet écrivain.
Les Boches excellent dans ces manifestations de goujaterie.

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Ce qu'on absorbe dans ces beuveries officielles est invraisemblable.
« J'ai vu boire dans la même soirée, dit M. Girardet, jusqu'à 15 ou 20 litres de bière par personne. »
Et il ajoute :
« Cette habitude reste invétérée chez l'étudiant devenu fonctionnaire. Ceui-ci, toutes les fois qu'il en trouve d'occasion, adore s'associer à une table et chanter en buvant, sous l'autorité d'un président, qui commande le silence à des hommes de cinquante ans comme à des bambins... »
Leur fameux esprit d'organisation annihile chez les Boches tout sentiment de personnalité. Ces gens-là vont juqu'à s'interdire d'avoir soif les uns sans les autres. C'est ainsi qu'à la « Bier Fest », à la fête de la bière que chaque brasserie de Munich, ou de telles autres cités bachiques, organise à tour de rôle, les buveurs sont tenus de vider tous ensemble leurs verres au signal d'un toast que l'assemblée répète en choeur.
Un de nos confrères, M. Maurice Blanchard a brossé le tableau pittoresque d'une de ces fêtes de la bière dans une grande brasserie munichoise.
Une salle immense pleine de buveurs. Un orchestre qui joue des hymnes dont les paroles sont hurlées par les spectateurs. Sur une estrade, des hommes et des femmes portant le costume traditionnel des villageois du Tyrol.
» On croirait assister, dit M. Blanchard, à une de ces fêtes de paysans qui sont si célèbres en Allemagne.
» Après avoir exécuté quelques « tyroliennes », les femmes comme les hommes s'emparent des cruches d'un demi-litre, les élèvent à la hauteur de la tête et s'écrient, accompagnés par toute la salle :

Ein Prosit,
Ein Prosit,
Der Gemütlichkeil !...

C'est un toast qui ne signifie rien, mais que les Allemands répètent inlassablement avec le même enthousiasme, par tradition.
» Dès qu'il est terminé, on le salue par ces mots : « Ens, zwei, drei, G'suffa ! » ( Un, deux, trois, « soifez ! »). Il n'y a pas d'autre mot pour traduire exactement ce mot bavarois « G'suffa ! », en allemand « saufen », que, les dictionnaires expliquent ainsi : Boire comme les animaux.
» A ce moment, on lève le couvercle de sa cruche, et l'on boit jusqu'à perdre haleine. Les cruches sont vidées presque d'un seul trait... »
» Boire comme les animaux !...» l'expression, vraiment, est inexacte. Les Allemands ne boivent pas comme les animaux, attendu que les animaux ne boivent que lorsqu'ils ont soif, tandis que d'Allemand boit pour le plaisir de boire, l'Allemand boit sans soif.
C'est là peut-être le caractère le plus net de la race. Il est curieux de le retrouver dans tous les temps, même dans les constatations des écrivains les plus allemands.
» Nous autres Allemands disait déjà Luther, nous sommes de véritables panses à bière, compagnons joyeux, faisant goguette et ripaille, buvant et buvant toujours. Boire, en Allemagne, c'est boire non seulement, à la façon des Grecs, qui ne soignent que leur ventre, mais s'en donner jusqu'au gosier et rendre ensuite tout ce qu'on a bu et mangé... »
Croyez-vous que les graves Allemands, les philosophes de la Germanie rougissent de ces moeurs et les condamnent ? Pas du tout ! A l'exemple du grand Luther, ils semblent plutôt en faire gloire à leur pays.
Treitschke, l'un des écrivains allemands qui vantent avec le plus d'ardeur les qualités de la race, avoue simplement que la gloutonnerie et l'ivrognerie sont les vices nationaux. Mais, au surplus, il n'y voit pas grand mal.
Schopenhauer en plaisante agréablement :
« Lichlenberg, écrit-il dans ses Paralipomena, cite plus de cent expressions allemandes pour exprimer l'ivresse. Quoi d'étonnant ? Les Allemands n'ont-ils pas été, depuis les temps les plus reculés, fameux pour leur ivrognerie ?... »
Depuis les temps les plus recalés, en effet. Nous avons cité Tacite, tout à l'heure. Nous pourrions, à travers les âges, trouver maints jugements pareils sur les Allemands.
Ils ont eu l'audace, dernièrement, alors qu'on leur reprochait leurs actes contre le droit des gens et leurs pillages éhontés, d'en appeler au témoignage de Montaigne.
L'auteur des Essais, en effet, n'ayant pas été, dans son voyage en Allemagne, étrillé par les aubergistes chez lesquels il descendit, a écrit : « Ils ne sont ny trahistres, ny voleurs. »
« Ni traîtres, ni voleurs ».. Montaigne n'en dirait pas autant des Boches d'aujourd'hui. Mais les Boches d'aujourd'hui n'ont pas lieu non plus de se vanter de tout ce qu'il disait des Boches de son temps. « ils sont grossiers, cholères et yvrognes », écrit-il dans son Journal de voyage. Et dans les Essais, au chapitre do l'Yvrognerie
« Il y a des vices qui ont je ne sais quoi de généreux, s'il faut ainsi dire ; il y en a où la science se mêle, la vaillance, la prudence, l'adresse, la finesse ; celui-ci est tout corporel et terrestre... Aussi est-ce l'Allemagne, ajoute-t-il, la plus grossière des nations qui sont aujourd'hui, qui seule le tient en crédit... »
Si les Boches sont satisfaits de ce que Montaigne pense d'eux, en vérité, ils ne sont pas difficiles.

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Ça ne les empêche pas d'être très fiers de leur vice d'ivrognerie. Depuis longtemps, ils ont élevé la soulographie à la hauteur d'un art. Dès le XVIIe siècle, les étudiants allemands avaient créé un ordre qu'ils appelaient l'ordre des soulards. Déjà de nombreux traités existaient en Allemagne sur l'art de s'enivrer suivant les bons principes.
Ils n'ont d'estime que pour qui sait boire beaucoup. Bismarck, en 1871, fut souvent insolent à l'égard de Thiers ; mais par contre, il eut des ménagements pour Pouyer-Quertier, solide Normand, bon buveur, qui savait se tenir ferme à table et ne lui cédait pas devant un « vidercome ». C'est peut-être à la capacité stomacale de Pouyer-Quertier que nous dûmes de ne pas subir certaines exigences exprimées tout d'abord par le rude chancelier, et qu'il consentit à adoucir ensuite.
« Kneipe », dit M. Blanchard, constituent des souvenirs mémorables dans les annales des familles et se lèguent respectueusement aux générations suivantes. Un vieil Allemand me disait un jour : « Ah ! monsieur, dans ma jeunesse, j'étais un buveur renommé. En arrivant chaque soir à ma « kneipe », on m'apportait mon broc contenant deux litres que je vidais en une fois, ce qui ne m'empêchait pas de boire, dans le courant de la soirée mes 6 à 8 demis ! Maintenant, hélas ! je me fais vieux et suis à peine capable de vider un litre d'un trait ! ... »
Pauvre homme !
Cette faculté extraordinaire d'absorption est un titre de gloire pour l'Allemagne. Quelques années avant la guerre, un grand journal boche consacra une étude statistique à la soif comparée des États de l'Europe. Voici les chiffres qu'il donna :
Le Danois, en moyenne, boit chaque année 104 litres de bière, presque pas de vin. Le Suédois, 56 litres de bière. La Norvège, contenue par des lois de tempérance, est devenue l'un des pays les plus sobres du septentrion : elle ne consomme plus que 31 litres de bière par tête d'habitant. En Russie, la consommation de la bière est exactement de 5 litres par tête. Le Français, éclectique, boit 32 litres de bière et 108 litres de petit bleu. L'Anglais consomme peu de claret (2 litres), mais il se rattrape sur la bière (ale et stout : 152 litres), Le Hollandais se contente avec 38 litres de bière. A son voisin le Belge, il faut 221 litres de bière. L'Autrichien et le Hongrois absorbent l'un et l'autre la même quantité de vin (16 litres) ; mais le premier y ajoute 80 litres de bière, tandis que 11 suffisent au second. De tous les habitants de l'Europe, l'Italien est celui qui boit le moins de bière ( 2 litres ) ; il consomme 98 litres de vin. Pour l'Allemagne, il serait presque injuste de parler de moyenne, Si l'on envisage toute l'étendue du Zollverein ( y compris le Luxembourg ), la consommation par tête ressort à 118 ou 125 litre; pour la bière et 7 pour le vin ; mais si l'on considère chaque pays séparé, on voit que l'Allemand du Nord et l'Alsacien se satisfont avec 98 litres de bière, tandis qu'il en faut 158 au Badois, 169 au Wurtembergeois, 240 au Bavarois. Enfin, en comparant entre elles « les grandes villes de bière », on constate que Berlin boit 200 litres par tête d'habitant, Nuremberg 325, Francfort 432 et Munich 570.
De ceci il résulte que l'Allemagne est la plus grande pocharde in the world. Elle peut garder cette suprématie après la guerre.
Personne ne la lui enviera.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 23 septembre 1917