Le général de Riols de Fonclare


Né le 16 janvier 1859 à Lalinde (Dordogne), entré à Saint-Cyr en 1876, le général de Riols de Fonclare a fait sa carrière dans l'infanterie. Il a participé aux campagne de Tunisie et du Tonkin. Il était colonel depuis le 24 septembre 1912 lorsque éclata la guerre actuelle.
Nommé général de brigade à titre temporaire, le 12 septembre 1914, il reçut le commandement d'une brigade d'infanterie, et fut nommé trois mois plus tard, le 18 décembre, à titre définitif.
Dès le 8 mars 1915 il fut chargé du commandement d'une division d'infanterie et, à ce titre, cité à l'ordre du jour le 21 avril suivant.
Le 27 avril 1916, étant déjà décoré de la Croix de guerre, il était fait commandeur de la Légion d'honneur, en récompense de sa brillante conduite à Verdun.
Général de division à titre temporaire le 6 octobre 1916, il était le 15 du même mois de nouveau cité à l'ordre du jour en ces termes :
« Au cours d'une série d'attaques successives, préparées avec une méthode consommée, et poursuivies avec une vigueur remarquable, a enlevé trois lignes de défense allemandes, a fait progresser sa division de près de 4 kilomètres et a exécuté dans des conditions particulièrement difficiles une manoeuvre qui a amené la chute d'un très gros bourg puissamment organisé, la prise de 1.600 prisonniers valides, de nombreuses mitrailleuses et d'un matériel considérable. »
Le 31 décembre 1916, le général de Riols de Fonclare était nommé divisionnaire à titre définitif et recevait le commandement d'un corps d'armée.
Récemment, enfin, il était élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur avec la citation que voici :
« Appelé au commandement d'un secteur qui venait en partie d'être reconquis, en a poursuivi l'organisation complète malgré des difficultés considérables. Grâce a sa haute autorité, à l'élévation de ses sentiments ainsi qu'à sa bravoure personnelle, a obtenu les plus grands efforts de ses subordonnés. Le 20 août 1917, a enlevé ses troupes à l'attaque dans un élan magnifique, s'emparant des positions ennemies sur une profondeur qui, en certains points, a atteint 4 kilomètres. »

VARIÉTÉ

LES LOUPS

se mangent entre eux


Entre Prussiens et Bavarois. - Les colères montent. - « C'est le Prussien qui a fait cela ». -- Doléances bavaroises. - Ils s'entre-dévoreront.

Oui les loups commencent s'entre-dévorer, contrairement au proverbe qui prétend qu'ils ne se mangent pas entre eux.
Tous cet loups, de race unique, mais d'espèces différentes, s'étaient associés pour la conquête et pour le pillage (Germanos ad proedam, disait l'historien latin Tacite) ; mais aujourd'hui que tout espoir de conquête est aboli et que la certitude de se voir châtier pour les cruautés et les pillages leur apparaît clairement, les loups se querellent, commencent à se mordre, en attendant - ce qui ne saurait tarder - qu'ils en viennent à se manger entre eux.
De Bâle, ces jours derniers, nous venait cette dépêche :
« Les querelles entre Prussiens et Bavarois sont de plus en plus nombreuses. Récemment encore, à Colmar et à Schlestadt, les officiers prussiens et bavarois en sont venus aux mains ; il y eut, de part et d'autre, des blessés. Les Bavarois déclarent ouvertement qu'après la guerre ils ne veulent plus avoir affaire aux Prussiens ; les pamphlets dirigés contre ces derniers ont un vif succès parmi les unités bavaroises et passent de main en main.»
Du front de Roumanie nous arrivent des informations du même genre :
« - Il est acquis, télégraphie l'Agence des Balkans, qu'une animosité violente sépare, sur tous les fronts de combat les troupes bavaroises et les troupes prussiennes que réunit seulement une commune soif de pillage et la même férocité.
» Mais nulle part plus que sur le front roumain, peut-être, à en juger par les multiples incidents qui sont parvenus à la connaissance des états-majors roumains, cette haine entre les deux races germaniques n'est arrivée à un pareil degré.
» C'est ainsi qu'au cours de la bataille du Sereth les Roumains ayant fait prisonnier un important détachement de troupes allemandes, on vit ces dernières se diviser en deux groupes et l'un d'eux, composé de Bavarois, crier aux Roumains en leur désignant leurs camarades de l'autre groupe. « Tuez ces chiens de Prussiens qui ne veulent pas faire la paix et nous exploitent. » Une violente mêlée s'ensuivit sous les yeux des Roumains qui intervinrent trop tard pour empêcher plusieurs Allemands d'être gravement malmenés par leurs compatriotes.
» Dans les camps de prisonniers, les Bavarois refusent de coucher et de travailler avec les Prussiens, qu'ils couvrent d'injures et frappent sauvagement chaque fois que les gardiens s'éloignent et qu'ils sont les plus nombreux. »

***
Voilà où en sont les complices.
A la vérité, Prussiens et Saxons, Prussiens et Bavarois, surtout, n'en sont pas à leur première querelle. Je ne parle pas des autres peuples de l'Empire allemand ; la plupart sont des annexés qui subissent le joug prussien, tels les Hanovriens et qui le secoueront à la première occasion favorable.
Déjà, en 1870, Prussiens et Bavarois se disputaient, les premiers marquant un souverain mépris pour les seconds.
Quelques mois avant qu'éclatât la présente guerre, (en février 1914, pour être précis) ces vieilles querelles se renouvelèrent en Allemagne, à l'occasion du Congrès des « Frondeurs » qui se tint alors à Berlin.
Ces « frondeurs » étaient des Prussiens pur sang. Ils ne se contentaient pas de fronder leurs ennemis ; ils frondaient également leurs amis, leurs alliés, leurs frères.
A ce congrès, en effet, un certain général Von Kracht raconta qu'en 1870, les soldats bavarois avaient manqué de courage, et qu'à Coulmiers, sans l'intervention des Prussiens, ils eussent été infailliblement écrasés par les troupes de d'Aurelle de Paladines.
Ce fut un beau tapage en Bavière, quand on connut le propos. Toute la vieille animosité qu'inspire aux autres peuples de l'empire le caractère hargneux, vaniteux et insolent du Prussien en fut du coup réveillée.
Et, comme si cela ne suffisait pas pour exaspérer les Bavarois, on publia alors à Berlin un ouvrage qui confirmait singulièrement ces sentiments de mépris à leur endroit.
Cc livre était un recueil de lettres que le général d'Albedyll, alors chef du Cabinet militaire de Guillaume 1er, avait écrites à sa femme pendant la campagne de France.
Les Bavarois y étaient joliment traités :
Jugez-en d'abord par ce passage extrait de la préface que la générale d'Albedyll avait mise en tête des lettres de son mari :
« Une de mes vieilles connaissances, M. Bruno Perglass, ministre de Bavière, vient de me rendre visite. Il parlait fièrement de « nos » victoires, de « nos » glorieuses troupes. Mais moi je pensais dans le silence de mon coeur, peu poliment : « Imbécile sans nous vous ne fêteriez pas tant de victoires. » Nos frères fédérés ne m'en ont pas imposé particulièrement, et la Prusse, la Prusse de mon mari, devrait seule fêter ses victoires et garder pour elle seule ses lauriers... »
Quant au général lui-même, voici comment il parle des Bavarois :
Le 8 novembre, il écrit de Versailles :
Ces gens-là sont visiblement très reconnaissants, parce que pour la première fois ils ont eu, grâce à nous, une guerre glorieuse.. »
Le 11 novembre, il écrit encore :
« Hier sont arrivées ici des nouvelles du corps bavarois d'Orléans. Il paraît que là-bas on commence à tirer. Avant-hier ils ont été un peu battus. Il n'est pas mauvais que l'on sache que nos bons frères ne sont pas très fermes quand ils sont tout seuls... »
Le lendemain, il ajoute ( lettre de Versailles, 12 novembre ) ;
« Cela n'était décidément pas si grave que ça. Ces gens-là sont vraiment un peu trop prudents.
» Tann le général von dur Tann) a été battu à Orléans. Il était nerveux, et il disait ouvertement que ses troupes ne faisaient rien si les « casques à pointe » n'étaient pas dans le voisinage.
» Je suis peut-être méchant, mais j'en éprouve une douce satisfaction. Ces bons frères bavarois commençaient à s'imaginer qu'ils étaient nos égaux, sinon nos supérieurs. Ils voient bien que sans nous, Prussiens, ça ne marche pas !...»
Je vous laisse à penser si ces révélations furent de nature à faire plaisir aux Bavarois.
Il en résulta entre les Boches du Nord et ceux du Sud un regain d'animosité. Mais six mois plus tard, casques à pointe et casques à chenille oubliaient leurs querelles pour se jeter ensemble au pillage.
La Prusse a toujours eu le talent de détourner par ce moyen les colères qui s'amoncelaient contre elle en Allemagne. Mais, sûre de sa force, elle n'a jamais montre plus de ménagements pour ses frères de race que pour ses adversaires.
Les Saxons en savent quelque chose... ou plutôt, non, ils n'en savent plus rien, puisque la Prusse les a entraînés depuis un demi-siècle dans toutes ses entreprises de conquête.
N'empêche qu'ils furent autrefois victimes des Prussiens et que Dresde subit, en 1760, du fait des soldats de Frédéric II, le sort que subissent aujourd'hui nos villes du Nord.
Goethe visitant Dresde quelque temps après, écrit :
« Au milieu de ces objets si propres à développer le sentiment de l'art, je fus attristé plus d'une fois par la vue des traces encore récentes du bombardement de Dresde. Une des rues principales, nommée Mohrenstrasse, n'était qu'un amas de décombres, et dans les autres rues on voyait des maisons écroulées. La tour massive de l'église de la Croix était crevassée, et quand, du haut de la coupole de l'église Notre-Dame, je contemplais ces ruines, le sacristain me disait avec une colère concentrée : « C'est le Prussien qui a fait cela.»
Cinq ans après le bombardement, Bernardin de Saint-Pierre passe à Dresde. Il raconte ses impressions en ces termes sous ce titre caractéristique : Plaisir de la ruine :
Je me trouvais à Dresde, en 1765, plusieurs années après son bombardement. Cette ville, petite, mais très commerçante et très jolie, formée plus qu'à demi de petits palais bien alignés, dont les façades étaient ornées en dehors de peintures, de colonnades, de balcons et de sculptures, était alors presque entièrement ruinée. L'ennemi y avait dirigé la plupart de ses bombes sur l'église luthérienne de Saint-Pierre bâtie en rotonde, et si solidement voûtée qu'un grand nombre de ces bombes frappèrent la coupole sans pouvoir l'endommager, et rebondirent sur les palais voisins. qu'elles embrasèrent et tirent écrouler en partie. Les choses y étaient encore au même état qu'à la fin de la guerre quand j'y arrivai. On avait seulement relevé, le long de quelques rues, les pierres qui les encombraient, ce qui formait de chaque côté de longs parapets de pierres noircies. Il y avait des moitiés de palais encore debout, fendus depuis le toit jusqu'aux caves. On y distinguait des bout d'escaliers, de plafonds peints, de petits cabinets tapissés de papier de la Chine, des fragments de glaces de miroir, des cheminées de marbre, des dorures enfumées.
» Il n'était resté à d'autres que les massifs des cheminées, qui s'élevaient au milieu des décombres, comme de longues pyramides noires et blanches. Plus du tiers de la ville était réduit dans ce déplorable état. On y voyait aller et venir tristement les habitants, qui étaient auparavant si gais qu'on les appelait les Français de l'Allemagne. Ces ruines, qui présentaient une multitude d'accidents très singuliers par leurs formes, leurs couleurs et leurs groupes, jetaient dans une noire mélancolie ; car on ne voyait que des traces de la colère d'un roi, qui n'était pas tombée sur les qros remparts d'une ville de guerre, mais sur les demeures agréables d'un peuple industrieux... »
Et il ajoute ce détail bien caractéristique du stupide vandalisme prussien :
« J'ai va à Dresde, aux Jardins du comte de Bruhl, de belles statues de femmes que les soldats prussiens s'étaient amusés à mutiler à coups de fusil lorsqu'ils s'emparèrent de cette ville... »
A Breslau, Bernardin de Saint-Pierre trouve de nouveaux témoignages des exactions prussiennes :
« Nous arrivâmes à Breslau où nous mîmes pied à terre dans une fort belle auberge. En attendant le dîner, on parla du maître du château. Le ministre saxon assura que c'était un scélérat qui commandait l'artillerie prussienne au siège de Dresde, qu'il avait écrasé avec des bombes empoisonnées cette malheureuse ville, dont la moitié des maisons était encore abattue, et qu'il n'avait acquis sa terre que par des contributions levées en Saxe..»
Telle, est la façon dont les Prussiens traitaient leurs propres frères de race !
Comment peut-on croire que ceux-ci aient oublié jusqu'à se faire les vassaux de leurs anciens ennemis, de leurs tyrans?
Mais ont-ils complètement oublié ? Dans l'état de sujétion des autres nations de l'Allemagne vis-à-vis de la Prusse, la crainte n'a-t-elle pas plus de pari que la sympathie ?... Oderint dum metuant, (qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me redoutent), disait Guillaume II en parlant des autres peuples du monde. Peut-être pourrait-il le dire de ses propres alliés, de ses complices dans la grande oeuvre de carnage où il a entraîné l'Allemagne.
Ils le craignent. Peut-être le jour est-il proche où ils le haïront eux aussi. Quand il sera bien prouvé que le colosse prussien est un colosse aux pieds d'argile, ceux-là mêmes qui auront contribué à l'élever, ne viendront-ils pas le saper de leurs mains ?

* * *
Cela commence, d'ailleurs. Les rixes entre soldats bavarois pet prussiens sont de plus en plus fréquentes. Les colères soulevées en Bavière et en Saxe par les procédés prussiens sont de plus en plus vives. Depuis quelques mois, ces colères ne se dissimulent même plus ; elles s'expriment violemment :
Récemment, un journal saxon prenait à parti le « junker » prussien, responsable de la guerre. Les journaux bavarois fulminent , sans relâche contre les Prussiens qu'ils accusent de rester à l'arrière pour s'emparer des vivres, tandis que les troupes bavaroises sont constamment sur la ligne de feu.
Un neutre rapportait l'autre jour ce qu'on lui avait dit en Bavière :
« Partout, en France, en Russie, en Belgique, en Galicie, sur la frontière italienne partout, ce sont nos troupes qu'on expédie ; sous prétexte qu'elles sont les plus braves, les plus intrépides, les plus résistantes, on ne cesse de dépeupler nos villes et nos villages, tandis que la Prusse garde le plus longtemps ses hommes chez elle et dans les dépôts... »
Un gros industriel bavarois exposait dernièrement au correspondant suisse d'un journal parisien les doléances de ses compatriotes.
« Nous savons, disait-il, ce que coûtent les guerres des Hohenzollern. Déjà en 1870 la Bavière avait « donné plus qu'on n'attendait d'elle mais dans cette guerre maudite, la Bavière a subi sur les fronts des pertes presque doubles, en proportion du nombre de ses habitants, de celles de la Prusse. C'est surtout devant Verdun et, sur la Somme que nous nous sommes aperçus combien le haut commandement impérial nous traitait, nous autres Bavarois, comme de la vulgaire chair à canon. Devant Verdun, nos régiments ont été littéralement décimés, anéantis. Aussi une colère sourde, mais profonde, une sorte de soulèvement moral s'empara-t-il du pays de Bavière à la suite de ces hécatombes inutiles. Et tout seul, sans un mot d'ordre, de tous les côtés partait le cri : « Sauvons le dernier fils ! »
Et c'est à la suite de ce « soulèvement moral » que le roi de Bavière obtint de Guillaume II que toute famille de son royaume avant déjà eu un ou plusieurs des siens tués à la guerre serait exemptée de service sur le front.
Les difficultés économiques accusaient encore le différend entre la Bavière et la Prusse. Les Bavarois trouvaient que Batocki ouvrait trop grande sa gueule prussienne - sa preussische schnauze - pour engloutir leurs provisions.
L'été dernier, des milliers de Prussien faméliques envahirent la Bavière et voulurent faire main basse sur toutes les victuailles qui se trouvaient encore dans pays. Le peuple s'indigna. Dans tous les villages, sur tous les murs s'étala cette inscription : « Quiconque vendra des vivres à un Prussien sera impitoyablement assommé et aura sa maison incendiée. »
Et force fut aux Prussiens d'aller crever de faim chez eux.

***
Au surplus, ce n'est pas d'aujourd'hui que date cette animosité des Bavarois contre les Prussiens. Les deux peuples ont presque toujours vécu comme chien et chat, ou plutôt comme deux fauves qui se montrent volontiers les crocs, et ne s'entendent que lorsqu'il s'agit d'unir leurs forces contre un ennemi commun.
Mais l'expédition terminée, les associés recommencent à se regarder de travers.
On racontait, au début de la guerre, cette anecdote caractéristique :
Guillaume II, passant en revue des détachements de troupes fournies par tous les corps de l'empire, avise un soldat barois et lui pose quelques questions :

- Es-tu bien pénétré de cette idée, lui dit-il, que tu dois combattre jusqu'à la mort les ennemis de ton pays ?
Oui, Majesté.
- Et peux-tu me dire quels sont ces ennemis ?
- Oui, Majesté !
- Quels sont-ils ?
- Les Prussiens, Majesté !

Soyez bien certains que le naïf Bavarois, en répondant ainsi, n'y mettait pas malice. Il traduisait bonnement le sentiment populaire des gens de sa nation.
Ces frères allemands qui combattent pour les mêmes intérêts, ces frères allemands, unis pour la conquête, pour le pillage, se détestent cordialement.
L'échec de leurs entreprises un pourra qu'exacerber cette aversion. Quand les scélérats qui composent une bande d'apaches se font prendre par la police, ils s'accablent généralement les uns les autres et en viennent aux mains dans le cabinet du juge d'instruction.
Ainsi en adviendra-t-il des conjurés boches. Déjà ces loups affamés se sont envoyé quelques coups de dents. La guerre finie, nous le verrons se dévorer entre eux.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 30 septembre 1917