Le général Archinard


chef de la mission militaire franco-polonaise

Le général Archinard, chef de la mission militaire chargée de la formation de l'armée polonaise en France, comptait, avant la guerre, parmi les plus illustres de nos officiers coloniaux.
Il venait d'être nommé grand-croix de la Légion d'honneur quand la guerre éclata. Un commandement lui fut confié en Alsace, sous les ordres du général Pau.
Lors de la seconde occupation de Mulhouse, il arbora son fanion de commandant d'armée à Heimsbrunn, après le combat du 19 août où les Allemands furent battus et perdirent dix-huit canons de campagne.
Chargé d'inspection dans la zone des armées en septembre 1914, l'ancien vainqueur d'Ahmadou et de Samory fut atteint par la limite d'âge en 1915 et placé au cadre de réserve. Le voilà de nouveau au premier plan.
« La nomination du général Louis Archinard au poste de chef de la Mission militaire franco-polonaise », dit la revue Polonia a été accueillie dans les milieux polonais avec la plus profonde reconnaissance envers le gouvernement de la République. La haute expérience du général ainsi que ses grandes qualités militaires et civiques sont le meilleur présage pour l'avenir de la formation de l'armée polonaise. »

VARIÉTÉ

Les Légions polonaises

Corps étrangers au service de la France. -Les légions de Dombrowski. -- Poniatowski, le Bayard polonais. - L'indépendance de la Pologne.

Les étrangers ont, de tout temps, servi volontiers dans nos armées. Deux mobiles bien de différents les y amenaient : l'intérêt, d'une part ; l'amour de notre pays, de l'autre. Les uns étaient des mercenaires ; les autres des Français de coeur.
C'est parmi ces derniers qu'il faut ranger les Polonais qui, à diverses époques, combattirent pour la France.
Avant la Révolution, nos rois ne voulaient, pour constituer les corps d'élite chargés de veiller sur leur sécurité, que des soldats étrangers : Suisses, Écossais, irlandais, Allemands, etc. Ils estimaient
qu'un soldat étranger en valait trois : c'était un soldat de moins pour l'ennemi, un de plus dans les rangs de l'armée française : enfin, c'était un Français qu'on pouvait laisser à le culture ou à l'industrie
Pour cette triple raison, on ne négligeait rien afin d'attirer l'étranger : haute paie, uniforme élégant, bel équipement, service agréable, tels étaient les avantages qu'on réservait aux mercenaires venus des pays pour s'engager en France.
Les Suisses ont servi chez nous, sans interruption, depuis la fin du XVe siècle jusqu'à la Révolution.
A début du XVIIIe siècle, des régiments irlandais entrèrent au service de la France.
Quant aux Allemands, c'est a partir du règne de François 1er qu'ils formèrent ces régiments de reîtres et de lansquenets dont les croquis de Callot nous ont conservé le souvenir.
Ces soldats étaient recrutés en Allemagne par les soins d'officiers français qui tenaient marché d'hommes, de préférence dans les cercles de Franconie et de Souabe.Plus tard, les ministres de la guerre traitaient avec les petits souverains allemands ; électeurs de Bavière et de Trèves, duc des Deux-Ponts, duc de Nassau, de Brunswick, et autres principicules à court d'argent qui vivaient de la traite de leurs sujets.
La Révolution, loin de chasser l'étranger les armées françaises s'efforça au contraire, de l'y attirer. Lisez le livre d'Arthur Chuquet sur la Légion germanique, vous verrez qu'en 1792, dès que la France eût déclaré la guerre à l'Autriche, les ministres, les représentants du peuple proposèrent a l'envie d'organiser des légions étrangères et, comme disait l'un d'eux, « de faire des levées aux dépens des autres puissances ».
Ce n'étaient plus alors des mercenaires qu'il s'agissait d'amener en France, c'étaient des volontaires, des soldats de la Liberté. Et leur origine n'importait guère. On ne leur demandait pas d'où ils venaient. La France, qui s'armait contre les tyrans, regardait tous les peuples connue des alliés naturels : les Français voyaient, dans tout ennemi de l'oppression, un concitoyen et un frère.
Le 8 juillet 1797, Brissot, dans un discours à l'Assemblée législative, s'écriait : « La France s'honorera toujours de recevoir ceux qui viendront se ranger sous ses drapeaux, et, quelle que soit leur patrie, ils ne seront jamais étrangers pour elle. »
Le premier corps étranger qui se créa fut la Légion des Belges et Liégeois. Une Légion Batave fut constituée ensuite, composée de Hollandais et de Brabançons.
Puis vint la Légion des Allobroges, composée de Savoisiens, de Piémontais et d'habitants du Valais.
Enfin, sur l'initiative d'Anacharsis Cloots, fut créée la Légion Germanique. Ce corps ne servit que dans la guerre contre les royalistes en Vendée. Cette légion de Boche n'inspirait qu'une confiance limitée au gouvernement révolutionnaire.
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Les premières légions polonaises ne devaient se former que trois ans plus tard. Les insurrections polonaises de 1792 et de 1794 avaient échoué ; le troisième partage de la Pologne s'accomplissait. L'armée polonaise ne voulut pas servir ses vainqueurs.En masse, chefs et soldats émigrèrent vers la France, patrie de la liberté - de cette liberté que les Polonais n'avaient pu conquérir pour leur propre pays.
Du moins, là, disaient-ils, nous ne vivrons pas en esclavage.
Dombrowski fut le premier chef polonais qui vint offrir sort épée à la France. C'était un des plus illustres généraux qu'eût produits la Pologne. En 1792, il s'était distingué dans la guerre de l'indépendance. Il fut nommé général de division peu de temps avant la prise de Varsovie par les Russes. Fait prisonnier, il fut amené à Souvarow, qui le reçut avec distinction et le pressa vainement de prendre du service en Russie.
Dombrowski préféra venir en France apporter à Bonaparte, dont la gloire commençait à rayonner sur le monde, le concours de ses talents militaires.
La Constitution de l'an III avait supprimé les régiments étrangers et interdit leur emploi dans l'armée française. Le Directoire tourna la difficulté en acceptant le concours de Dombrowski, non pour la France, mais pour la République cisalpine que Bonaparte venait de constituer.
C'est donc à Milan que Dombrowski organisa la première légion polonaise.
A la tête de ces admirables soldats, aguerris par quatre ans de combats en Pologne, il combattit à Reggio, prit une part active à la campagne de Naples, fit des prodiges à la Trebbia, où il reçut, en pleine poitrine, une balle qui l'eût infailliblement tué, si elle ne se fût aplatie sur un exemplaire de l'Histoire de la Guerre de Trente Ans, de Schiller, qu'il avait toujours dans sa poche.
En 1806, Dombrowski et ses Polonais prirent part à la campagne de Prusse avec Napoléon. Le général entra en Pologne et seconda Poniatowski pour la délivrance de leur patrie commune.
Le rôle de Dombrowski ne fut pas moins glorieux pendant la campagne de Russie. C'est lui qui livra la bataille de Borissow et tint en échec l'ennemi pour permettre à l'armée de passer la Bérésina.
Après Leipzig, il prit le commandement général des troupes polonaises à la place de Poniatowski et se battit à leur tête pendant la campagne de France. Il ramena ensuite ses soldats dans leur patrie, sur la promesse, que lui avait faite le tsar Alexandre, de rendre la liberté à la Pologne.
Mais, cette promesse, le tsar ne la tint pas. Et Dombrowski, écoeuré, se retira et alla finir sa vie dans ses terres, loin des luttes de la guerre et de la politique.

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Kniaziewicz, l'un des chefs las plus valeureux des légions polonaises au Service de la France, avait, lui aussi, combattu pour l'indépendance de son pays en 1794.
La Pologne vaincue, il partit pour la France refuge de tous les amants déçus de la liberté et entra, en 1798, dans les légions de Dombrowski. Il fit la campagne de Naples sous Championnet , se conduisit de la façon la plus brillante à Magliano, à Terni, fit capituler Gaëte par un coup d'audace, Pour le remercier des services rendus à la France, Championnet le chargea d'apporter à Paris trente-cinq drapeaux pris à l'ennemi.
Dubois-Crancé en le présentant aux membres du Directoire, disait :
« C'est l'un de ces Étrangers qui ne le ont pas pour nous. L'honneur de vous offrir ces trophées militaires est le pris de ses vertus guerrières et de ses services. »
Sur le Rhin, en 1800, Kniaziewicz, à la tête d'une nouvelle légion polonaise, se distingua encore et fut un des artisans de la victoire de Hohenlinden.
Mais après les pourparlers de Lunéville, le général, découragé et indigné à la pensée que sa patrie ne serait pas encore libérée, donna sa démission et retourna en Pologne, où il vécut dans la retraite jusqu'en 1812.
A cette époque, il se laissa de nouveau entraîner dans la grande épopée et accepta le commandement d'une division de la Grande-Armée. Il se battit à la Moskova et fut blessé grièvement à la Bérésina, où il commandait en chef le contingent polonais.

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Mais la plus grande figure de la Pologne aux temps héroïque des guerres napoléonniennes, c'est celle du prince Joseph Poniatowski, celui que sa bravoure fit appeler le Bayard polonais.
Poniatowski avait fait ses premières armes dans l'armée autrichienne, puis il avait pris part à la guerre de l'indépendance contre les Russes en 1792.
Dans l'insurrection de 1794, il s'enrôla comme simple volontaire sous les drapeaux de Kosciusko, mais bientôt il reçut le commandement d'une division, et il rendit les plus grands services pendant les deux sièges de Varsovie.
Après l'issue désastreuse de cette lutte, Poniatowski se retira à Vienne.
Quand les Français, après Iéna, envahirent la Pologne, Poniatowski se vit offrir le gouvernement de Varsovie par le roi de Prusse : mais, suivant l'impulsion générale de la nation polonaise, il embrassa le parti des Français, organisa rapidement une armée polonaise et servit fidèlement, depuis lors, la cause française, qui se confondait, dans son esprit et dans son coeur, avec celle de sa patrie.
En 1809, il se couvrit de gloire en défendant Varsovie, avec une poignée d'hommes contre l'armée de l'archiduc Ferdinand d'Autriche. Le traité de Vienne n'avait pas rendu la liberté à la Pologne. Cependant, Poniatowski et ses compagnons restèrent fidèles à Napoléon. Ils espéraient toujours et supportaient tout.
C'est ainsi que, lorsque éclata la guerre avec la Russie en 1812, Poniatowski offrit à l'empereur une armée de cent mille hommes. Il lui offrit quelque chose de plus précieux encore, peut-être : les conseils de son expérience pour la conduite de la guerre dans un pays que nul ne connaissait mieux que lui. L'empereur, aveuglé par son orgueil, accepta les hommes et repoussa les conseils.
Poniatowski ne se conduisit pas moins de la façon la plus glorieuse pendant toute la campagne. Il se signala à Smolensk, à la Moskova, à Borodino, entra l'un des premiers à Moscou. Pendant la retraite, il fut blessé grièvement. Guéri, il rejoignit Napoléon avec un corps de de Polonais fidèles.
A Leipzig, son héroïsme le fit nommer maréchal de France sur le champ de bataille.
C'était le couronnement de sa gloire militaire. Mais, à ceux qui l'en félicitaient, il répondit :
« Je suis fier seulement d'être le chef des Polonais. Quand on a le titre unique, et supérieur au maréchalat, celui de généralissime des Polonais, tout autre ne saurait compter. D'ailleurs, ma mort approche je vais mourir comme général polonais, et non comme maréchal de France. »
Le pressentiment du grand soldat n'était que trop exact. Trois jours après, chargé de protéger la retraite, et n'avant avec lui qu'un petit nombre de soldats, il contint les colonnes ennemies jusque sur les bords de l'Elster. Là, pressé par les forces supérieures, ne pouvant traverser le fleuve, dont les Français avaient détruit les ponts, couvert de blessures, il refusa néanmoins de se rendre, poussa, son cheval dans le fleuve et Essaya de le traverser à la nage. Mais emporté par le courant, il se nova.
Son corps, retrouvé quelques jours plus tard, fut inhumé à Cracovie, près de celui de Kosciusko.
On se rappelle l'admirable chanson qu'inspira à Béranger la fin du Bayard polonais, et le cri impressionnant que le poète mit dans la bouche de Poniatowski mourant :

« Rien qu'une main, Français, je suis sauvé ! »

Ce cri qui s'élève encore, dit le poète, alors que le guerrier a roulé au fond des eaux, qui donc le pousse ?...

C'est la Pologne et son peuple fidèle
Oui, tant de fois, a pour nous combattu.
Elle se noie la sang qui coule d'elle,
Sang qui s'épuise en gardant sa vertu.
Comme ce chef mort pour notre patrie,
Corps en lambeaux dans l'Elster retrouvé.
Au bord du gouffre un peuple entier nous crie:
« Rien qu'une main, Français, je suis sauvé ! »

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Cette mai, les Polonais sont assurés de la trouver cette fois. Ils en trouveront même plus d'une ; ils trouveront toutes les mains unies des peuples alliés contre leurs tyrans.
Mais ils ont voulu combattre avec nous, avec nos alliés non point seulement pour leur propre liberté, mais pour la liberté du inonde.
C'est ainsi qu'ils ont demandé à constituer une légion polonaise comme aux temps glorieux de Dombrowski et de Kniaziewicz. Et c'est, en France, comme il y a cent vingt ans, que cette légion s'est créée.
N'est-ce pas surtout aux Polonais que s'applique le mot Célèbre : « Tout homme a deux patries, la sienne et la France. » Je n'ai parlé que des principaux chefs des légions polonaises d'autrefois. Mais combien d'autres se sacrifièrent pour notre pays. La Grande-Armée, en 1812, ne comptait pas moins de 80 bataillons et de 76 escadrons polonais
Le chef de la députation polonaise présentée alors à Napoléon lui disait :
« ...Votre Majesté travaille pour la postérité et pour l'Histoire. Si l'Europe ne peut méconnaître nos droits, elle peut encore bien moins méconnaître nos devoirs. Nation libre et indépendante depuis les temps les plus reculés, nous n'avons perdu notre territoire et notre indépendance ni par des traité, ni par des conquêtes, mais par la perfidie et la trahison. La trahison n'a jamais constitué des droits... Nous sommes seize millions de Polonais, parmi lesquels il n'y en a pas un dont le sang, les bras, la fortune ne soient dénoués à Votre Majesté. Chaque sacrifice nous paraîtra léger s'il a pour effet le rétablissement de notre pays natal, de la Dvina au Dniester, du Borysthène à l'Oder. L'intérêt de Votre Majesté demande le rétablissement de la Pologne et certes, l'honneur de la France y est également intéressé... Depuis trois siècles, la Pologne, dans ses malheurs, a toujours tourné les yeux vers la. France.»
Et la Pologne resta, fidèle à la France vaincue comme à la France victorieuse.
En 1814, lorsque tout fut perdu, les Polonais demeurèrent inébranlables dans leur attachement à notre pays et en donnèrent des preuves éclatantes sur le théâtre même des grandes opérations actuelles. Dans la forêt de la Fère et près des sources de l'Ourcq, leurs cavaliers infligèrent des échecs sérieux aux Prussiens. Devant Berry-au-Bac, les lanciers polonais, formant l'avant-garde du général de Nansouty, se couvrirent de gloire. Ensuite , poursuivant l'adversaire qui s'était retiré au delà de la Miette et cherchait à se reformer dans la plaine située entre la Ville-aux-Bois et, Juvincourt, ils le défirent totalement. Le général Dautancourt écrit à se sujet, dans son Journal des campagnes, de 1813 et 1814 : « Chargé à nouveau par les lanciers du brave Skarzynski et voyant toute la division prête à fondre sur lui, l'ennemi fut mis dans une déroute si complète que je ne crois pas qu'on ait jamais vu de cavalerie fuir avec un abandon aussi désespéré... »
Ce sont des Polonais qui, dans la défense de Paris, en 1814, tirèrent, des hauteurs de Montmartre, les derniers coups de canon contre les Russes du compte de Langeron.
Jamais la France ne s'est battues sans que les Polonais soient à ses côtés. En 1870, ils étaient à Châteaudun avec Lipowski, à Dijon avec Bossak-Hauke.
Dès le début de cette guerre, ils étaient nombreux dans nos corps étrangers. Ils vont être plus nombreux encore dans l'armée que commandera le général Archtinard.
Tant d'héroïsme et de fidélité doivent trouver enfin leur récompense. « La constitution d'une armée polonaise, disait récemment, dans le Petit Journal, notre éminent directeur, M. Stéphen Pichon, est la première consécration officielle donnée à l'indépendance de la Pologne. »
Cette indépendance, ce sera l'honneur de la France d'avoir concouru à l'assurer à ses frères fidèles, à ces Polonais qui se disent avec fierté les « Français du Nord ».

Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 21 octobre 1917