A NOS LECTEURS
Le Supplément illustré
du Petit Journal
Le Supplément illustré du Petit
Journal, en dépit des difficulté que la guerre a multiplié
pour les industries de la presse, avait tenu jusqu'ici, au prix des
lourds sacrifices, à ne réduire ni le nombre de ses pages,
ni le nombre de ses gravures en couleurs et de ses illustrations photographiques
.
Mais la crise est allée s'aggravant de jour en jour. La pénurie
du papier, et la hausse formidable qui en est résultée,
l'augmentation considérable du prix des encres, le défaut
de main-d'oeuvre, nous forcent aujourd'hui, ou bien à réduire
le nombre de nos pages et de nos gravures, ou bien, à l'exemple
des journaux quotidiens, à augmenter de cinq centimes le prix
de notre numéro.
Nous sommes assurés que nos lecteurs nous approuveront de nous
être arrêtés à ce dernier parti. Ce n'est
point le moment, en effet, alors que la propagande ennemie se montre
plus active que jamais, de réduire l'importance d'un journal
qui répand chaque semaine, non seulement dans toute la France,
mais encore chez tous les neutres, l'illustration des traits d'héroïsme
de de nos soldats et l'image des hommes qui servent le plus glorieusement
la cause de la France et de ses Alliés.
Grâce à cette modique augmentation, le Supplément
illustré du Petit Journal poudra continuer à publier
ses superbes gravures, ses nombreux documents photographiques, ses compositions
humoristiques ainsi que ses variétés et nouvelles littéraires
si appréciées : et il demeurera encore le meilleur marché
en même temps que le plus complet des journaux illustrés
populaires, le véritable magazine de la famille.
A partir de la semaine prochaine, le Supplément illustré
du Petit journal se vendra donc 15 centimes le numéro.
Mais nous avons tenu à ne faire subir ce tarif des abonnements
qu'une augmentation minime ; persuadés que, quoiqu'il puisse
nous en coûter, vous devons faire des avantages spéciaux
à ceux de nos lecteurs qui, en s'abonnant, nous témoignent,
d'une façon particulière, leur confiance et leur fidélité.
Le général Bailloud

Le général Bailloud est une des
figures des plus populaires de notre armée.
Né en 1847à Tours, il a fait sa carrière dans l'artillerie.
Capitaine en 1872 ; colonel en 1895 ; général de brigade
en 1898 ; général de division en 1901, il est grand-croix
de la Légion d'honneur.
Ancien chef de la maison militaire du Président de la République,
il commanda le 20e corps, puis les 19e en Algérie.
C'est lui qui, en 1900, commanda les troupes françaises dans
l'expédition contre les Boxers.
Retraité quand la guerre éclata, il reprit du service,
commanda d'abord une division aux Dardanelles et fut nommé chef
corps expéditionnaire après que le général
Gouraud eût été blessé.
Demeuré très vigoureux, malgré ses soixante-dix
ans, le général Bailloud est un vivant exemple d'énergie
et de dévouement au pays.
VARIÉTÉ
La préméditation
Les preuves.- La comédie de l'ambassade.
- ils ont mobilisé en juillet 1914. - Quand ils croyaient à
la victoire. - Le châtiment doit être impitoyable.
Au fur et à mesure qu'approche le terme
de cette horrible guerre, déchaînée par eux, et
que la certitude du châtiment inéluctable et fatal apparaît
nettement à leurs yeux, les Allemands ne semblent plus avoir
qu'une préoccupation : celle de persuader à l'univers,
que ce cataclysme mondial n'est pas leur oeuvre.
Le fameux : « Je n'ai pas voulu cela » de leur Kaiser devient
chez eux, pour employer une expression bien allemande, une sorte de
leit- motiv obsédant.
Or, on sait de quelles ressources dispose leur propagande, combien elle
est insinuante et tenace. On sait que partout, non pas seulement en
pays neutres, mais même en pays ennemis de l'Allemagne, même
en Angleterre, même chez nous, cette propagande n'a jamais cessé,
de s'exercer clandestinement ; on sait que certains humanitaires obstinés,
certains rêveurs inconscients, qui, en dépit de tout, ne
veulent pas abandonner leur turlutaine de la fraternité des peuples,
s'évertuent à nous persuader que seuls le Kaiser et sa
bande de hobereaux sont coupables, mais que le peuple allemand est innocent
comme l'enfant qui vient de naître.
Ne laissons pas se répandre de telles erreurs. Cette guerre,
ils l'ont voulue, tous, depuis l'empereur jusqu'au plus humble de ses
sujets ; tous ils couraient à la curée avec la même
frénésie. Tous, chacun dans sa sphère, ils ont
patiemment préparé l'événement ; tous l'ont
souhaité, l'ont prémédité.
A leurs protestations d'innocence, nous devrions répondre sans
cesse par les témoignages de cette préméditation.
Ils sont innombrables, de tous les ordres, de tous le genres. Et. certes,
nous ne les connaissons pas tous.
Réunissons du moins ceux qui sont venus jusqu'à nous,
et mettons-les sans relâche sous les yeux de ce peuple français,
trop prompt, hélas ! à oublier le mal qu'on lui a fait.
***
Le Kaiser n'a pas voulu cela... Pourquoi,
alors, depuis qu'il est sur le trône, a-t-il exalté sans
repos l'orgueil de ses sujets, leur répétant constamment
qu'ils étaient le peuple élu de Dieu et qu'ils avaient
un droit naturel de domination sur le monde. ?
Le Kaiser, comme tout le reste de l'Allemagne, a voulu cela.
Un de ses anciens familiers, le comte Axel de Schwering, en a donné
la preuve dans un livre qui a été publié à
Londres en 1915.
Ce personnage accompagnait le Kaiser dans sa croisière en Norvège,
au mois de juillet 1914.
Le 25 juillet parvint au yacht impérial la nouvelle que la Serbie
avait accepté presque toutes les conditions de l'Autriche. On
eût pu croire que l'empereur serait satisfait de cette docilité
serbe qui écartait toute menace de conflit. Or, il fut, au contraire,
très mécontent.
« Ces gens sont des sots, dit-il. Pourquoi est-il donc si
difficile de leur faire comprendre ce que l'on attend d'eux ?
» Le souverain fit suivre cette remarque énigmatique d'un
ordre bref de lever l'ancre et de rentrer à Kiel.
» Je compris, conclut le conte Axel Schwering, que quelque chose
venait de se passer qui affectait la tranquillité du souverain.
» Quelques jours après, j'en eus l'explication de la bouche
de son aide de camp, qui me dit dans l'oreille, qu'un très
important télégramme avait été envoyé
à Vienne, sur l'ordre du Kaiser, directement à l'empereur
Francois-Joseph .
» - Qu'est-ce qu'il y avait dans ce télégramme ?
demandai-je.
» - L'espoir que l'Autriche continuera à insister à
Belgrade pour qu'entière satisfaction soit accordée aux
demandes autrichiennes, me répondit-on. »
Cet espoir réalisé, c'était la guerre fatalement
déchaînée.
Or, à ce moment, la guerre était depuis longtemps décidée
entre lui et son complice, François-Ferdinand, l'archiduc héritier
d'Autriche, celui-là même dont le meurtre à Serajevo
déclencha l'événement.
A Paris, dès le 20 juillet, on savait pertinemment, à
l'ambassade allemande, que la guerre allait éclata. L'attitude
de la famille de l'ambassadeur le démontre péremptoirement
M. de Schoen joue ouvertement la comédie de la quiétude,
de la sérénité. Les événements de
Serbie et d'Autriche ne l'émeuvent pas, « Il n'y pas de
complications à craindre », déclare-t-il.
Pendant ce temps sa femme fait de fiévreux préparatifs
de départ. Le 22 juillet, elle réuni tout le personnel
de l'ambassade et lui fait des adieux émouvants, après
quoi elle part avec sa fille pour l' Allemagne.
Pourquoi, alors que Ambassadeur déclare qu'il n'y a pas de complications
à craindre, sa femme et sa fille se sauvent-elles ainsi ?...
Parce que l'on sait au contraire fort bien, à l'ambassade, que
la guerre est inévitable puisque l'Allemagne l'a décidée
- si bien décidée que, tandis que nous ne nous doutions
encore de rien, la mobilisation, outre-Rhin, était déjà
commencée.
Et elle l'était, non seulement en Allemagne, mais partout où
se trouvaient des nationaux allemands. Notre excellent confrère,
M. maurice Rondet-Saint, eut l'occasion d'en faire la constatation au
Vénézuela.
« Je me trouvais a-t il rapporté, à Caracas, le
2 août 1914. J'allai rendre visite à notre ministre, M.
Fabre. A cette date, notre légation n'avait pas encore reçu
l'ordre de mobilisation. Or, le soir du même jour, le train qui
nous ramenait à la Guayra, port de la capitale vénézuélienne,
emmenait dans un wagon spécial les mobilisés allemands,
dont nous dûmes, pendant tout le voyage, subir l'odieux voisinage
et les beuglements de Wacht am Rhein.
» A la Guayra - lisez bien ceci - un paquebot battant pavillon
américain attendait le chargement de Boches, avec la mission
d'effectuer la cueillette des appelés teutons dans tous les ports
de cette partie de l'Amérique.
» Or, pour que ce vapeur fût là dans ce but, à
cette date, il fallait qu'il eût été mobilisé
en Amérique au moins quinze jours auparavant. Donc, dès
le 15 juillet, le gouvernement allemand était décidé
à la guerre et avait déjà pris les mesures propres
à seconder ses abominables desseins.»
Voulez-vous une autre preuve de la mobilisation allemande faite en juillet
? Le Journal des Transports va vous la donner.
Cette feuille spéciale a voulu, en 1915, publier une statistique
des recettes des chemins de fer allemands avant et depuis la déclaration
de guerre.
Pour la période de guerre, elle a pu se procurer facilement les
statistiques officielles de l'administration allemande; mais il lui
a été impossible de connaître les recettes du mois
de juillet 1914 ; et, dans son travail, ce chiffre a été
laissé en blanc.
Le Journal des Transports en conclut :
« Le mutisme absolu gardé par toutes les administrations
des chemins de fer allemands sur le trafic en juillet est évidemment
l'application d'un mot d'ordre général. Et celui-ci n'a-t-il
pas eu pour but de dissimuler la perturbation apportée dans le
trafic, bien avant la déclaration de guerre, par les mesures
prises par le gouvernement avant et pendant la période de l'
« État de danger de guerre » ? Quoi qu'il en soit,
ce mutisme peut paraître bien suspect, »
Autrement dit, la mobilisation allemande s'est faite en juillet, avant
la déclaration de guerre. Cela ressort nettement du silence des
administrations des Chemins de fer allemands sur leur trafic pendant
ce mois ; et c'est ce qu'il fallait démontrer.
***
Il est prouvé par maints et maints témoignages
que plusieurs semaines avant la déclaration de guerre, l'Allemagne
s'organisait dans ce but.
Voici notamment une preuve qui a été rapportée,
en janvier 1915, par un Suisse, membre de la Croix-Rouge, revenant d'Allemagne
où il était allé étudier l'organisation
sanitaire.
Il faut savoir que toutes les écoles Allemandes sont construites
de façon à pouvoir être aménagées
en hôpital du jour au lendemain. Des lits prennent les places
des pupitres et il y a même un emplacement tout prêt pour
y installer un fourneau de cuisine. Avant de commencer les travaux de
construction pour un bâtiment quelconque d'école dans tout
l'empire, les plans doivent être soumis au ministère de
la Guerre qui les soumet à son tour au comité sanitaire
qui les accepte ou les change suivant ses convenances.
C'est là, il faut, entre parenthèses, le reconnaître,
une excellente méthode que nous eussions bien dû imiter
avant la guerre. Cela eût évité peut-être
à notre service de santé bien des incohérences,
bien de tâtonnements qui furent préjudiciables à
nos malades et à nos blessés.
Bref, pendant sa tournée en Allemagne, le Suisse dont il s'agit
visita plusieurs de ces écoles-hôpitaux remplies de blessés.
Au coups d'une de ces visites, il exprima à un officier allemand
qui l'accompagnait l'admiration que lui inspirait ce tour de force d'organisation.
« Nous avons eu le temps de nous préparer, répondit
l'officier. Huit jours après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand
d'Autriche, nous avons reçu l'ordre de commencer à aménager
toutes les écoles. » Puis, voyant qu'il avait trop parlé,
il s'arrêta net et changea le sujet de la conversation.
Mais le délégué de la Croix-Ronge suisse, mis en
éveil, s'arrangea pour visiter une autre école, avec un
autre officier sanitaire, et il lui demanda, au cours de la conversation
: « Je pense qu'ici, comme partout, vous avez commencé
à vous organiser vers fin juin. quelques jours après l'assassinat
de l'archiduc François-Ferdinand ? -Mais certainement »,
répondit son interlocuteur sans défiance.
C'est la preuve, que cinq semaines avant son entrée en compagne,
l'Allemagne préparait la guerre.
Poursuivons la série des témoignages et des faits. Noms
n'irons malheureusement pas jusqu'au bout : un livre entier ne saurait
suffire à les résumer.
Nous ne saurions oublier le témoignage fourni par un des plus
célèbres représentants de l'art musical français.
M.Gabriel Fauré, et qu'un de nos confrères a naguère
apporté.
En 1914, après les concours du Conservatoire, le maître
Gabriel Fauré alla, comme chaque année, se reposer aux
eaux d'Ems. Arrivé le 18 juillet pour suivre docilement la cure
dont la durée traditionnelle est de vingt et un jours, l'auteur
de Pénélope se présenta au médecin
de l'établissement. Au cours des compliments d'usage, le docteur
allemand, prenant un air d'augure derrière ses lunette, déclara
que son illustre client n'achèverait pas, cette année,
la période de trois semaines. - « Et pourquoi donc ? »
- Ach ! cher maître, je vous le dis.... parce que je vous le dis.
» Il fut impossible au chantre du Secret de pénétrer
celui-là, mais il comprit bientôt après, quand averti
à, temps il dut rentrer prématurément en France,
que son Esculape n'était que trop bien informé du mauvais
coup en préparation.
Et voilà comment le souvenir d'Ems, où fut lancé
le brûlot qui alluma la guerre de 1870, restera attaché
aussi, pour M. Fauré aux origines de celle de 1914.
Les Allemands, d'ailleurs, ne se cachaient pas ; ils savaient bien qu'ils
n'avaient rien à craindre de notre perspicacité et de
notre défiance. Des neutres, voyageant en Allemagne, au début
de la guerre, ont constata que certaines affiches qui n'eussent dû
être apposées qu'après la mobilisation étaient
datées du mois de juillet 1914.
« Dans plusieurs villages, rapporte l'un de ces neutres, j'ai
aperçu, placardée à divers endroits, une affiche
que j'eus la curiosité de regarder de près : c'était
un ordre à tous possesseurs de pigeons voyageurs d'enfermer aussi
promptement qui possible leurs oiseaux et de les tenir à la disposition
de l'autorité. Cet avis était daté du 21 juillet
et il était resté là.
» J'ai vu et lu avec attention une seconde affiche dont la date
était la même ; dans tous les cas, elle n'était
pas postérieure au 24. C'était une invitation ou plutôt
une injonction aux habitants : il leur était intimé de
verser immédiatement leurs disponibilités en argent aux
caisses Raffeisen, caisses d'épargne et de crédit qui
jouissent de l'entière confiance de l'Allemagne rurale et qui
ont immédiatement mis à la disposition du gouvernement
les sommes déposées par 1a population.
« Ainsi donc, des le 21 juillet et dans tous les cas, avant le
25, le gouvernement allemand passait aux mesures qui généralement
accompagnent ou suivent l'ordre de mobilisation..»
Un témoignage encore : celui-ci vient de loin, mais il est authentique
et probant. Il a été fourni à un de nos confrères,
par l'un des négociants les plus considérables de l'Egypte.
Le 22 juillet 1914, ce négociant, voulant assurer un chargement,
s'était rendu à l'agence, au Caire, d'une compagnie d'assurances
allemande. Or, le directeur de l'agence refusa de faire l'opération
et montra au négociant stupéfait un télégramme,
reçu de sa direction de Berlin, qui lui enjoignait de ne
plus consentir aucune assurance maritime, la guerre devant éclater
entre l'Allemagne et la France.
Ce télégramme avait été expédié
le 22 juillet, c'est-à-dire la VEILLE
DE LA REMISE DE L'ULTIMATUM AUTRICHIEN A LA SERBIE.
Ainsi, la veille de la remise de l'ultimatum, les grands établissements
financiers de Berlin avaient été prévenus que la
guerre était certaine.
***
Enfin, ne sont-ce pas autant de preuves de la préméditation
allemande que cette formidable organisation d'espionnage : toutes ces
fermes de l'Est occupées par des Boches ; ces carrières
du Soissonnais et de Picardie achetées par eux et si soigneusement
repérées et visitées par leurs archéologues
avant la guerre ; et toutes ces maisons, toutes ces usines, toutes ces
propriétés d'aspect pacifique, où, sous le prétexte
d'installation de machines ou simplement d'installation de tennis, ils
avaient préparé les plates-formes en ciment nécessaires
à leur grosse artillerie.
Au surplus, ils n'ont pas toujours nié cette préméditation.
Quand ils croyaient à la victoire, ils ne prenaient pas la peine
de dissimuler. Le plus célèbre de leurs polémistes,
Harden, écrirait librement :
« Renonçons à nos misérables efforts pour
excuser l'action de l'Allemagne, cessons de déverser de méprisables
injures sur l'ennemi. Ce n'est pas contre notre volonté que
nous nous sommes jetés dans cette aventure gigantesque.
Elle ne nous a pas été imposée par surprise. Nous
l'avons voulu ; nous devions la vouloir. Nous ne comparaissons pas devant
le tribunal de l'Europe ; nous ne reconnaissons pas semblable juridiction.
» L'Allemagne ne fait pas cette guerre pour punir des coupables
ou pour libérer des peuples opprimés et se reposer ensuite
dans la conscience de sa magnanimité désintéressée.
Elle la fait en raison de la conviction immuable que ses oeuvres lui
donnent droit à plus de place dans le monde et à de plus
larges débouchés pour son activité...»
Voilà qui était net et clair et qui avait moins le mérite
de la franchise. Mais alors on était sûr de vaincre. Aujourd'hui
la défaite apparaît inévitable. Donc, on nie la
préméditation, dans l'espérance que le verdict
de l'humanité en sera atténué.
Naïf espoir !... Le crime est prouvé, cent fois prouvé.
Impitoyable doit être le châtiment.
Ernest Laut
Le Petit Journal illustré
du 28 octobre 1917