Le général de
Lardemelle

Le général de Lardemelle est de
cette belle race des Français de Lorraine, qui donna tant de
vaillants capitaines, tant de chefs illustres à nos armées.
Il est originaire de Puxe (Moselle). Il commandait une des trois divisions
de l'armée Mangin qui, l'année dernière, à
pareille époque, reprit Vaux et Douaumont ; et il a, depuis le
début de la guerre, rendu à la défense nationale
les plus éminents services.
VARIÉTÉ
DUNKERQUE
Encore une ville martyre. - Au temps des corsaires. - Jean Bart. - «
Une cité héroïque qui sert d'exemple à toute
la nation. »
Un nom de plus vient de s'inscrire au martyrologe
des villes françaises. Après Arras, après Reims,
après Verdun, les Boches s'acharnent sur Dunkerque : ils s'acharnent
de haut et de loin.
A quarante kilomètres de là, ils ont braqué une
énorme pièce qui jette sur la ville des obus de 380. De
la haute mer, leurs croiseurs arrosent Dunkerque de projectiles. Mais,
surtout, par les nuits sombres, leurs « gothas » laissent
choir sur elle une pluie de bombes et de torpilles incendiaires.
Or, le Boche a une tendance singulière à considérer
tout ce qu'il souhaite comme fait accompli. C'est ainsi que le 4 octobre
le gouvernement de Berlin publiait ce communiqué :
« Dans la forteresse de Dunkerque,
nos projectiles ont provoqué des incendies. Vingt-quatre heures
plus tard, nos aviateurs ont constaté que le feu n'était
pas éteint, mais qu'il se propageait. Quarante-huit heures après
ils ont signalé que l'incendie avait gagné tout un quartier
de la ville, et la nuit dernière ils ont pu annoncer que tout
Dunkerque est devenu la proie des flammes. Ainsi, la principale place
d'étapes de l'armée anglo-belge, un des plus grands ports
de transbordement pour le trafic entre l'Angleterre et la France se
trouve anéanti. »
Voilà comment d'un trait de plume, le rédacteur du communiqué
boche vous détruit de fond en comble une ville française.
Mais, rassurez-vous, le Boche exagère. La « forteresse
» de Dunkerque a souffert sans doute ; quelques incendies y ont
été allumés par les bombes des avions allemands
; il y a même lieu de noter que, si ces incendies ont eu quelque
gravité, c'est que les aviateurs boches venaient bravement jeter
leurs projectiles sur les pompiers qui travaillaient à les éteindre.
Mais quelques maisons brûlées ne font pas une ville anéantie
: Dunkerque est toujours debout, toujours vivante. L'existence s'y poursuit,
tantôt à l'air libre, quand aucun danger n'est imminent,
tantôt dans les caves, quand tonne la grosse Bertha lointaine,
ou quand les vilains oiseaux boches sont dans le ciel au-dessus de la
cité.
Il y a eu des morts dans la « forteresse », sans doute.
C'étaient surtout des femmes et des enfants. A l'hôpital
voisin de Rosendaël, qu'ils ont bombardé, suivant leur vaillante
habitude, les Boches ont tué quelques femmes nouvellement accouchées,
et une de leurs torpilles a coupé en deux une vieille bonne soeur
infirmière. Ce sont là, des exploits dont les Allemands
ont lieu de se vanter, à coup sûr, et qui ne manqueront
pas d'édifier une fois de plus les neutres sur les procédés
chevaleresques du peuple élu de Dieu.
Cependant, en dépit de ces bombardements incessants, de ces incendies,
sous la menace constante de la bombe ou de la torpille, la population
de Dunkerque demeure calme, énergique et vaillante, soutenue,
dans l'épreuve par cette vieille vertu flamande, la force d'âme,
que nos populations septentrionales n'ont jamais cessé de mettre
en pratique à travers les siècles des siècles.
***
Dunkerque est une vieille ville. Sa fondation remonte à l'introduction
du christianisme en Gaule, ainsi que l'explique son nom : Dun-Kerque
(Église des Dunes). C'est autour d'un sanctuaire chrétien
élevé au milieu des sables que se groupèrent les
premiers habitants de la cité.
L'histoire de Dunkerque est inséparable de celle du Comté
de Flandre. La ville fut, tour à tour sous la Domination des
Grands Forestiers, puis française, puis bourguignonne, puis espagnole.
Louis XIV s'en empara en 1616, la perdit de nouveau, la reprit après
la bataille des Dunes, mais ce ne fut que pour la livrer aux Anglais
qui la lui revendirent en 1662.
Le chevalier de Cailly célébra alors en vers cette conquête
pacifique et ce retour de la vieille cité flamande dans le giron
de la patrie française :
Dunkerque, de qui la Fortune,
Malgré les vents et les Hyvers,
Porta sur les flots de Neptune
La terreur par tout l'Univers :
Dunkerque est sous notre puissance.
L'orgueilleuse rend à la France
Bastions, remparts et vaisseaux ;
Et, sans s'être attiré la guerre,
La plus grande Reine des eaux
Est au plus grand Roi de la terre.
Depuis lors, Dunkerque est française,
et l'une des villes les plus vaillamment françaises qui soient
en France.
Louis XIV a compris toute l'importance de sa nouvelle acquisition ;
il en veut faire un grand port, une grande cité, et, comme il
dit dans une lettre à Colbert : « le plus bel endroit du
monde ».
Le chevalier de Cailly annonce - toujours en vers, aux Dunkerquois,
les bonnes dispositions du monarque à leur égard :
Quand, pour vous soumettre à sa loi,
Vous verrez approcher mon Roi,
Flamands, venez le reconnaître.
N'en craignez point l'ambition ;
Il n'a point d'autre passion
Que de vous donner un bon maître.
Louis XIV se montra bon maître en effet.
Dunkerque en fit l'expérience tout de suite. Les anciennes franchises
furent rendues à ses habitants, les coutumes et les usages locaux
furent respectés ; le port fut relevé, La ville ne tarda
pas à retrouver une prospérité qu'elle ne connaissait
plus depuis que l'Espagnol l'avait occupée.
Aussi s'attacha-t-elle profondément, de toute son âme,
à sa nouvelle patrie, et suscita-t-elle bientôt pour sa
défense tous ces corsaires fameux qui furent les maîtres
de la mer du Nord dans les guerres maritimes du temps, tous ces corsaires
dont le plus illustre fut Jean Bart.
A vrai dire, Dunkerque avait, bien avant le XVIIe siècle, préludé
à cette merveilleuse épopée de la guerre de course
; elle y avait préludé dès le Moyen Âge.
Dans son excellent ouvrage sur Jean Bart et les Corsaires dunkerquois,
M. Henri Malo montre que dès ces temps lointains, la Flandre
maritime regorge d'hommes d'action prêts à toutes les besognes
aventureuses. L'activité, tant guerrière que marchande,
de Dunkerque est une école pour les gens de mer et un modèle
pour les marins des autres pays. Pour les constructions navales, pour
l'emploi de l'artillerie à bord des navires, pour la tactique
des escadres, c'est là que les marins et les ingénieurs
des nations étrangères viennent chercher des leçons.
Dunkerque tient la tête de tous les ports de l'Europe par les
progrès accomplis dans l'art naval.
Ses chantiers sont continuellement en travail ; ses constructeurs de
navires puissent d'une renommée universelle.
Richelieu veut que les nouveaux navires de la flotte française
soient construits « à la dunkerquoise ». Ce sont
des charpentiers flamands qu'il appelle pour établir un chantier
de constructions navales à Indret.
Les frégates dunkerquoises servent de modèles à
toutes les armadas espagnoles. Deux navires corsaires de Dunkerque,
le Cygne et le Nicodemus, pris par les Anglais en
1636, sont considérés par eux comme les plus rapides des
navires en mer et incorporés à la flotte royale. Un amiral
anglais disait du Nicodemus qu'il pouvait s'échapper
des autres navires « comme un greyhound d'un roquet ».
Ainsi les Dunkerquois s'assuraient la puissance de la mer, aussi bien
par la perfection de leurs navires que par l'héroïsme et
l'habileté de ceux qui les montaient.
Au début, les marins de Dunkerque n'avaient été
que des pêcheurs. Les dangers continuels que la guerre de quatre-vingts
ans, de 1566 à 1643, contre la Hollande, et le pouvoir espagnol
dans les Flandres firent courir à leur port, les transformèrent
en combattants.
Et ce furent des combattants dont l'héroïsme trouvait trop
souvent sa source dans des actions désespérées.
« Des hommes qui se battent « à la désespérade
», dit M. Malo, donnent le maximum de leur effort physique et
intellectuel. Ainsi la guerre de quatre-vingts ans fit germer à
Dunkerque une extraordinaire floraison d'admirables familles de grands
marins... Il est caractéristique que chacune ait fourni quelques
gouttes du sang qui coulait dans les veines de Jean Bart. De sorte que
l'instinct, la tradition, le génie qui étaient en elles,
se retrouvent en lui, portés à leur plus haut degré
de puissance et de développement. »
Et cette observation est parfaitement justifiée par l'examen
de la généalogie du célèbre chef d'escadres
de Louis XIV.
Cornil Bart, père de Jean Bart, était corsaire, de même
que Michel Bart, grand-père du héros dunkerquois.
Fils et petit-fils de corsaires redoutés, Jean Bart comptait
parmi ses aïeux un vice-amiral : Michel Jacobsen ; un amiral :
Kerlinek ; deux chefs d'escadre : Guillaume Janssen et Charles Dauwère.
Vous voyez que le héros avait de qui tenir.
***
« Il avoit beaucoup de bon sens, l'esprit net et solide, une valeur
ferme et toujours égale », a dit de lui son contemporain,
l'historien dunkerquois Faulconnier. Il étoit sobre, vigilant
et intrépide ; aussi prompt à prendre son parti que de
sang froid à donner ses ordres dans le combat, où on l'a
toujours vu avec cette présence d'esprit si rare et si nécessaire
en de semblables occasions. Il sçavoit parfaitement son métier,
et il l'a fait avec tant de désintéressement, d'approbation
et de gloire, qu'il n'a dû sa fortune et son élévation
qu'à sa capacité et à sa valeur ».
Et M. Henri Malo ajoute :
« Ce portrait tracé par un contemporain
en lignes sobres, nettes et fermes, demeure vrai dans sa concision et
sa modération voulues. Jean Bart réunit toutes les qualités
physiques et morales nécessaires à l'homme de mer et à
l'homme de guerre accomplis ; les circonstances lui permirent de les
développer dans leur plénitude ; il fut « heureux
» non par hasard et par chance propice, mais parce qu'il savait
calculer à l'avance toutes les possibilités : sa fermeté,
sa bravoure et son sang-froid dans l'action les mettaient en oeuvre
pour lui assurer le succès. Il serait puéril de se demander
ce que l'avenir aurait réservé à cette carrière
brusquement arrêtée en plein essor : il est permis de déplorer
la mort prématurée qui la brisa. Elle se survit en un
magnifique exemple. Dans toute la force du terme, Jean Bart demeure
le type du héros sans peur et sans reproche. »
« Sans peur et sans reproche », en effet : Jean Bart est
le Bayard de la marine française. Pendant trente années,
il combat sans relâche pour la France, entraînant par son
exemple ses compatriotes dunkerquois, opposant aux formidables flottes
de l'ennemi ses escadrilles légères, faisant prises sur
prises, sauvant nos ports de la ruine et notre pays de la famine.
Son plus beau fait d'armes est ce combat du 29 juin 1694 où,
avec cinq petits navires, il reprit sur une redoutable flotte hollandaise
un convoi de blé qu'attendait la France affamée.
Ce jour-là, il fit plus que de gagner une grande victoire, il
ramena le bonheur et la confiance dans sa patrie, car, ainsi que le
disait l'avocat Poirier, « un tel convoi devait être et
devint, en effet, aux yeux de la France, plus précieux que n'aurait
pu l'être pour le roi la conquête d'une province. »
C'est à la suite de cette action d'éclat que Jean Bart
reçut de Louis XIV des lettres de noblesse.
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Or, Dunkerque s'est montrée naguère et se montre aujourd'hui
encore, comme son glorieux enfant, sans peur et sans reproche.
Moins de cent ans après la mort de Jean Bart elle s'illustre
de nouveau pour la défense du pays. En 1793, elle repousse victorieusement
les assauts du duc d'York; et la Convention décrète qu'elle
a bien mérité de la patrie.
Depuis lors, les bienfaits de la paix avaient permis à Dunkerque
de se développer à l'aise au point de vue maritime aussi
bien qu'au point de vue commerce.
En 1850, ce n'était encore qu'un port de grande pêche vivant
surtout du produit de la flottille qui allait chaque année dans
les parages d'Islande à la pêche de la morue.
Mais, après 1870, Dunkerque affirme sa volonté de rivaliser
avec les plus grands ports marchands du monde. De grands travaux sont
entrepris ; le vieux nid de corsaires devient une grande cité
moderne. Le développement du commerce et de l'industrie des régions
du Nord et de l'Est entraîne d'année en année l'accroissement
du port. Aucune ville de France n'a donné en ces dernières
années, au point de vue économique, l'exemple d'un aussi
prodigieux essor.
Cette marche rapide dans les voies du progrès tient surtout au
caractère même des Dunkerquois. La population, en effet,
a l'esprit très actif, très libéral, très
ouvert aux influences modernes. Elle n'en garde pas moins, avec une
louable piété, ses traditions d'autrefois, son admiration
pour ses héros maritimes et la noble simplicité des ses
moeurs flamandes. Un bon Dunkerquois ne regarde pas sans émotion
la fière statue de Jean Bart, due au ciseau de David d'Angers
qui se dresse sur la place de la ville ; il n'entend pas sans quelque
joie au coeur l'harmonieux carillon dont les cloches et les clochettes
chantent leurs airs pimpants au sommet de la tour Saint Eloi.
C'est de ce respect des traditions et des gloires locales que naît
naturellement l'attachement à la petite patrie, qui ne peut qu'aviver
l'amour de la grande. Et l'on peut dire qu'il n'est point cité
de France où ce sentiment soit plus sincère et plus ferme
qu'à Dunkerque.
Un Parisien qui, il y a quelques années, visita la Flandre à
petites journées, écrivait :
« On s'imagine peut-être à
Marseille ou à Bordeaux que les habitants de Dunkerque sont des
Flamands quelque peu flegmatiques. Quelle erreur ! La population dunkerquoise,
au contraire, est aussi vive, aussi éveillée qu'il est
possible de l'être...
« L'expression du type donne une idée de légèreté
et de grâce. Les femmes sont, en général charmantes.
J'ai remarqué bien des physionomies d'enfants fines et intelligentes...
Les habitants sont avenants et ouverts, leur accueil est amical et hospitalier.
On remarque enfin parfois chez eux une sorte de susceptibilité
patriotique, dont l'expression loyale ne peut déplaire à
quiconque aime toutes les manifestations du sentiment national... »
Cette « susceptibilité patriotique » se traduit en
ce moment par l'énergie, la force d'âme, la vaillance que
la population dunkerquoise montre devant les bombardements répétés
des avions allemands.
La ville en est récompensée par la citation à l'Ordre
de l'Armée qui vient de lui être décernée
en ces termes :
« Soumise depuis trois ans à
de violents et fréquents bombardements, a su, grâce au
sang-froid admirable et au courage de sa vaillante population, maintenir
et développer pour la défense nationale sa vie économique,
et rendre ainsi à l'armée et au pays d'inappréciables
services.
« Ville héroïque, sert d'exemple à toute la
nation. »
Le blason de Dunkerque portera donc la Croix
de Guerre ; mais il devrait porter aussi la Croix de la Légion
d'Honneur. J'ai dit plus haut que la ville avait été honorée
en 1793 d'un décret de la Convention affirmant qu'elle avait
bien mérité de la Patrie. Or les autres villes honorées
d'un pareil décret : Lille, Valenciennes, Landrecies, pour leurs
mémorables défenses de 1792 et 1793, ont reçu la
Légion d'Honneur.
Dunkerque seule fut oubliée.
L'heure n'est-elle pas venue de réparer cet oubli et de donner
enfin la croix des braves à cette ville héroïque
qui, non seulement aujourd'hui, mais à maintes époques
de notre histoire « a servi d'exemple à toute la nation
» ?
Ernest LAUT.