NOS PORTRAITS

M. CLEMENCEAU

Président du Conseil et ministre de la Guerre

M. Georges Clemenceau est né à Mouilleron-en-Pareds (Vendée), le 28 septembre1841. Nous donnons plus loin une vue de sa maison natale. Il vint à Paris en 1865 pour y faire sa médecine. Reçu docteur en 1869, il s'établit dans le 18e arrondissement dont, à la chute de l'Empire, il devint maire. En 1871, il siégea à l'Assemblée nationale comme représentant de la Seine. Conseiller municipal de Paris, il devint en 1875 président de l'Assemblée communale. Il fut de 1875 à 1885 député de la Seine et de 1885 à 1893 député du Var.
Journaliste, sa vigueur et sa verve le placèrent au premier rang de nos écrivains politiques. En 1902, il rentra au Parlement comme sénateur du Var ; et, en 1906, il fit partie du cabinet Sarrien (24 mars) comme ministre de l'Intérieur. Le 26 octobre 1906, il recueillait comme président du Conseil la succession de M. Sarrien : il resta au pouvoir jusqu'au 20 juillet 1909.
A la fin de 1915, M. Clemenceau fut appelé à la présidence de la commission de l'armée et, à la commission des affaires extérieures du Sénat.
M. Clemenceau est l'auteur de plusieurs ouvrages. De la génération des éléments anatomiques, le seul livre qu'il ait écrit en sa qualité de médecin ; la Mêlée sociale, le Grand Pan, recueils d'articles sur des sujets d'ordre politique : Les plus forts, roman , des nouvelles littéraires, parmi lesquelles le Bouvreuil et le Sabotier, un petit chef-d'oeuvre que nos lecteurs trouveront dans l'Almanach du Petit Journal de 1918.
Tout le monde sait que, dans les heures angoissantes que nous traversons, M. Clemenceau a toujours témoigné d'un patriotisme absolu, intransigeant et qu'il n'a qu'une préoccupation ; la guerre, et qu'un but : La victoire.

M. Stéphen PICHON

Ministre des Affaires étrangères

Il est inutile de présenter M. Pichon à nos lecteurs, qui, depuis près de quatre ans, ont eu l'occasion d'apprécier, à côté de son talent d'écrivain, sa compétence particulière dans les questions extérieures.
Si l'on l'on veut se rappeler ce qu'il a écrit, à propos des Japonais, des sentiments réels des Bulgares à notre égard, de la politique à suivre en Orient, en Russie, ou dans les autres parties du monde au fur et à mesure que se déroulaient les événements, on pensera avec nous que nul de nos compatriotes n'a vu comme lui les dangers qui nous menaçaient, les pièges qui nous étaient tendus, et l'on doit regretter que ses conseils, toujours formulés avec la réserve d'un homme qui sait les difficultés, n'aient pas été mieux suivis. Notre politique extérieure, sera en bonnes mains.
M. Pichon est né à Arnay-le-Duc (Côte-d'Or), le 10 août 1857.
En 1880, il est l'un des collaborateurs de M. Clemenceau à la Justice. Dès 1883, il est élu conseiller municipal de Paris et en 1885 il est élu député de la Seine.
Ensuite, M. Stephen Pichon fut nommé ministre plénipotentiaire à Port-au-Prince, Saint-Domingue, à Rio-de-Janeiro, à Pékin : il occupait ce dernier poste lors de la fameuse révolte des Boxers.
Revenu dans la métropole, M. Stéphen Pichon ne tardait pas à être envoyé à Tunis comme résident général (1901).
Devenu sénateur du Jura, il fit partie du ministère Clemenceau le 25 octobre 1906, avec le portefeuille des Affaires étrangères, portefeuille qu'il conserva également dans les deux cabinets Briand, d'abord du 24 juillet 1909 an 30 octobre 1910, puis du 3 novembre de la même année au 27 février 1911 et en 1913, dans le cabinet Barthou.
M. Stéphen Pichon poursuit auprès de M. Clemenceau au ministère une collaboration qui, remonte à prés de quarante ans. Cette longue intimité n'est-elle pas à l'honneur de l'un et de l'autre

M.PAMS

Ministre de l'Intérieur

M. Jules Pams, d'abord avocat, propriétaire terrien, puis industriel, est né le 14 août 1852 à Perpignan. Il siégeait au conseil général des Pyrénées-Orientales, quand en 1893 il fut élu député par les électeurs de Céret, qui le réélurent, d'une façon ininterrompue ; en 1904, les électeurs sénatoriaux des Pyrénées-Orientales l'envoyèrent au Sénat. De 1911 à 1913, il a fait partie comme ministre de l'Agriculture de cabinets Monis, Caillaux et Poincaré. En 1913, il donne sa démission pour se présenter à la présidence de la République ; il recueillit 327 voix tandis que M. Poincaré en obtenait 429. M. Pams, qui est membre du conseil supérieur des beaux-arts, s'intéresse d'une façon effective aux arts et aux artistes.

VARIÉTÉ

Ministères et ministres

Les plus longs ministères et les plus courts. - Une fantaisie d'Alphonse Karr. - La journée d'un ministre. - Habits et galons. - Le grand ministre.

Nous avons un nouveau ministère.
Ce doit être à peu près le cent cinquantième depuis la Révolution et, environ, le soixantième depuis 1871. Les ministères ont été terriblement vite pendant la troisième République.
Livrons-nous au petit jeu ordinaire.
Depuis 1789, quels furent les ministères les plus courts ?
En tête vient celui du 12 juillet 1789, formé après le renvoi de Necker et qui tomba le 16, gardant le nom de « ministère des cent heures ».
Un autre cabinet fut dit plus tard « le ministère des trois jours ». Ce fut le ministère Bassano, formé le 10 novembre 1834 et décédé le 14.
Le 9 janvier 1851 était constitué le ministère Rouher, Drouyn de Lhuys, général Regnault, de Saint-Jean-d'Angély, etc.; il tombait le 19.
Le 9 août 1870, le ministère Palikao se formait pour être emporté par la tourmente le 4 septembre.
Un ministère Dufaure dure sept jours, du 18 au 25 mai 1873.
Mais tout cela n'est rien : nous eûmes plus récemment un ministère Ribot, qui dura ce que durent les roses : l'espace d'un matin.
Quant aux ministères les plus longs, si nous nous en tenons seulement à ceux de la troisième République, nous trouvons le ministère Waldeck-Rousseau, le ministère Combes, le ministère Méline et le ministère Clemenceau, qui durèrent chacun de deux à trois ans.
Trois ans !... C'est un maximum de durée qu'atteignirent rarement nos ministères.
Cette instabilité ministérielle étonne quelque peu les gens qui ne connaissent pas nos moeurs politiques. Il y va quelques années, le sultan du Maroc Moulay-Hafid, apprenant que France venait encore de changer de ministère, disait en ricanant à notre consul à Fez
- C'est curieux comme vous changez souvent de grand-vizir, chez vous. Depuis mon avènement, vous en êtes au quatrième. alors que, moi, j'ai toujours le même.
Avouez que la réflexion du souverain marocain ne manquait pas de justesse. Nous changeons vraiment trop souvent de vizirs. Dans la législature qui précéda la guerre, nous eûmes sept ministres de l'Intérieur, autant des Affaires étrangères et huit ministres de la Guerre.
En quatre ans ! ... Tant de changements de personnes, entraînant chaque fois des modifications dans le personnel, dans les méthodes, dans la politique, ne font-ils pas préjudiciables à la bonne marche des affaires du pays ?
Qu'importe ! diront les sceptiques ; les ministres passent, mais les ministères restent. C'est, en somme, l'administration qui nous régit, l'administration aux routines immuables, quel que soit le ministre. Peu nous chaut qu'on nous mette un médecin à l'agriculture et un avocat à la marine. N'est-il pas entendu que nous vivons aujourd'hui sous 1e règne de l'incompétence ?
Aujourd'hui, braves gens?... Consolez-vous donc ! Ce n'est pas seulement d'aujourd'hui que nous vivons sous ce règne.
Laissez-moi vous citer, à ce propos, une jolie fantaisie satirique d'Alphonse Karr qui, je crois bien, sera éternellement d'actualité.
Il y est question d'un chef d'Etat qui - le ministère avant donné sa démission - se préoccupe de nommer un nouveau cabinet.
On le voit, livré à de profondes méditations. C'est qu'il entend donner les portefeuilles aux plus dignes, les aux plus capables, en même temps qu'aux plus honnêtes et aux plus dévoués à la patrie.
- Je vais, se dit-il, appeler aux Finances un homme qui, plus que tous les autres, aura fait, dans le commerce ou l'industrie, une grande fortune, contre laquelle ne s'est jamais élevée la moindre réclamation.
Et le bon chef d'Etat se flatte, en agissant ainsi, d'imiter le tsar Pierre le Grand qui, lorsqu'il voulait nommer un maire, se promenait dans le village, cherchait la maison la mieux tenue, le jardin le mieux cultivé, et confiait au propriétaire la conduite des affaires de la commune.
Pour l'instruction publique, le chef d'Etat médite de s'adresser à un littérateur ou à un philosophe ayant autant de sagesse que de talent ; pour la Guerre, il se propose de solliciter le concours de quelque général illustré par de grandes actions et mûri par l'expérience.
Quant à l'Agriculture, il entend choisir pour la diriger un homme qui aura conduit un domaine, petit ou grand, dans la voie du progrès et en aura tiré le meilleur parti.
De même pour les Affaires étrangères : il lui faut un ministre qui connaisse à fond, non seulement la géographie, l'étendue, la situation, les forces, les faiblesses, les intérêts et les prétentions de tous les Etats du monde, mais sache aussi l'histoire de tous leurs rapports avec la France dans tous les temps...
De même encore pour la Marine, les Travaux publics, le Commerce, Bref, il veut que chaque département soit gouverné par l'homme qui y a montré et prouvé le plus d'aptitudes, de lumières d'activité et de dévouement.
Or, tout en méditant ainsi, le bon chef d'Etat feuillette distraitement une bible qui se trouve sur la table à portée de sa main. Et voilà que ses veux tombent sur cette parabole :

« Les arbres, avant voulu élire un roi, s'adressèrent aux plus utiles d'entre eux. Mais l'olivier se récusa, occupé qu'il était à faire son huile. La vigne s'excusa sur le soin de son raisin et de son vin. Enfin, tous refusèrent. Seule, la ronce accepta, parce que, seule, elle n'avait rien à faire.»
Et le chef d'Etat, avant lu cela, comprit qu'il ne pourrait pas composer son ministère comme il l'eût rêvé, et qu'à défaut des compétences spéciales qu'il eût voulu réunir, force lui serait de se rabattre sur les hommes qui ne font que de la politique, c'est-à-dire sur ceux qui, pareils à la ronce, ne produisent rien.
Le badinage est joli, n'est-il pas vrai ? Mais ce n'est qu'un badinage. Et injuste, comme toutes les généralisations. Il y a, certes, parfois, dans les ministères, bien des incompétences - nous en avons eu, depuis la guerre, trop de preuves, hélas ! Mais il y a des compétences aussi, de hautes valeurs, politiques, diplomatiques, financières. Et n'avons-nous même pas vu des hommes abandonner leurs propres affaires, si lucratives, si prospères fûssent elles, pour se consacrer tout entiers à l'œuvre du salut national.

***
Etr' ministr', y a pas d'chos' meilleure,
Suivant l'opinion d'bien des gens,
Car, s'il y a de fichus quarts d'heure,
Il y a bien plus d'joyeux moments.

C'est un refrain d'opérette qui dit cela.
Mais ce refrain d'opérette n'a certainement pas été écrit par un ancien ministre. Il est certain, en effet, que, dans la fonction ministérielle, il y a beaucoup plus du fichus quarts d'heure que de joyeux moments.
D'abord vous imaginez vous ce que peut être la journée d'un ministre ?... Un de nos anciens secrétaires d'État, humoriste à ses heures, disait naguère que les ministres étaient, en France, avec les cochers d'omnibus, les citoyens qui donnaient à leur pays la plus grosse somme de travail.
M. le ministre se lève de bonne heure. Pourtant, il s'est couché la veille très tard, car il n'a guère que la nuit pour travailler en paix. Le jour, il appartient à son cabinet, à son ministère, au Parlement ; mais il ne s'appartient jamais ; il n'appartient jamais à sa famille.
Certes, il ferait volontiers la grasse matinée, mais l'impérieux devoir l'appelle. Il saute du lit, procède aux soins de sa toilette, avale son premier déjeuner, puis mande auprès de lui son secrétaire particulier qui lui apporte sa correspondance personnelle... des monceaux de lettres, la plupart sollicitant une faveur, c'est-à-dire une injustice ou un passe-droit.
« Que d'amis, que de parents naissent en une nuit à un ministre ! » dit La. Bruyère. En effet, les nouveaux ministres se découvrent, du jour au lendemain, des centaines de vieux camarades, d'amis très intimes dont ils ont oublié même le nom, mais qui se rappellent à leur bienveillance. On s'est perdu de vue, sans doute, mais on s'est tutoyé il y a trente ou trente-cinq ans... Rappelez-vous, mon cher ministre !... Et le ministre est, bien obligé de se souvenir : il répond de sa main au vieux camarade, pour qu'on ne l'accuse pas d'indifférence et d'orgueil.
Cela le mène jusqu'à neuf heures. Déjà son antichambre regorge de solliciteurs. Électeurs, parlementaires, fonctionnaires se succèdent dans son cabinet, apportant leurs réclamations, leurs sollicitations, leurs requêtes. Le ministre écoute d'une oreille, tandis qu'il prête l'autre à son chef de cabinet qui l'entretient à mi-voix des affaires du service et lui demande des signatures.
Dix heures !... M. le ministre est attendit au conseil. Il monte en voiture et parcourt, pendant le trajet, les feuilles du jour, où, parfois, les notes désobligeantes ne lui sont pas ménagées.
Il est plus de midi quand le conseil prend fin. M. le ministre n'a pas longtemps pour déjeuner. Les directeurs de son ministère sont déjà là, qui lui demandent audience.
Force lui est de s'en rapporter à eux pour toutes les affaires qui n'engagent pas la politique du cabinet. Ce n'est pas le désir qui lui manque, bien souvent, de s'occuper des détail administratifs, de secouer les vieilles routines, mais comment le pourrait-il ?... Comment pourrait-il lire les lettres, compulser les dossiers ?... L'opposition le harcèle, les interpellations se multiplient.
Vite, vite ! aujourd'hui, l'ordre du jour appelle l'interpellation Machin... Le ministère est menacé. Le président du conseil va poser la question de confiance. Il faut être à la Chambre de bonne heure. Quelle après-midi !... De trois heures à sept heures, la séance se déroule au Palais- Bourbon. On lutte ! Discours, attaque, riposte vote final. Le gouvernement se tire d'affaire, mais au prix de quels efforts !
M. le ministre revient en hâte de la Chambre. Enfin, il va pouvoir s'asseoir à la table de famille. Bienheureux quand quelqu'un de ses proches ne vient pas entraver sa digestion en lui apportant quelque recommandation ; car un ministre trouve des quémandeurs et des quémandeuses jusque dans sa propre maison.
Et je passe sur les jours où il y a des déjeuners ou des dîners officiels, des cérémonies, des inaugurations, des réceptions, et où il faut prononcer des discours que le ministre ne peut préparer qu'en prenant
sur les heures de son sommeil.
Voilà comment un ministre passe sa journée. Et quand il a vécu ainsi tout un jour dans le travail, dans la trépidation, dans la fièvre, il recommence le lendemain.
Cette existence justifie le mot de lord Rosebery, qui disait :

- Il y a deux plaisirs suprêmes dans la politique : l'un idéal, l'autre réel. L'idéal, quand on reçoit le portefeuille ministériel ; le réel, quand on le passe à son successeur.

***
Savez-vous que nos ministres pourraient porter un superbe costume brodé sur toutes les coutures, avec chapeau à plumes et l'épée au côté.
Napoléon qui, bien qu'il fût son propre premier ministre et s'occupât de toutes choses avec une égale compétence, trouvait encore le moyen de s'attacher à toutes les questions de décorum, avait, dès son avènement à l'empire, fixé le costume que devraient porter ses ministres.
Le Livre du Sacre nous en donne la description. « Habit, manteau et culotte de velours bleu, brodé d'argent, doublure en soie blanche, ainsi que les parements du manteau brodés d'argent ; ceinture de moire brodée et garnie de torsades d'or ; cravate de dentelles. Epée suspendue à l'écharpe blanche. Chapeau relevé par devant, orné de plumes blanches. »
Les seules broderies de ce costume revenaient à 1.300 franc, celles du manteau 2.800 francs

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La Restauration ne voulut pas être moins somptueuse que l'Empire dans la tenue de ses ministres.
En 1816, ces dignitaires portaient la tunique et le manteau de cour en velours bleu avec broderies d'or sur toutes les coutures, la culotte, les bas et les souliers blancs, le glaive pareil à celui des maréchaux, le chapeau à la Henri IV surmonté de plumes blanches sans nombre.
Sous Louis-Philippe, les ministres, en grand apparat, portaient encore le costume surchargé de broderies.
La Révolution de 1848 supprima le costume des ministres. Le second Empire le rétablit. Il se composait d'un « habit de drap bleu national à neuf boutons dorés à l'aigle, brodé au collet, parements, poitrine, écusson de taille, bouquets de poche, baguette et bord courant. Gilet blanc à 5 boutons. Pantalon de casimir blanc avec galon sur la couture. Bottines vernies. Chapeau feutre noir orné d'une ganse brodée en or sur velours noir ; plumes blanches. Epée dorée à poignée de nacre.
Tel est le costume que nos ministres pourraient porter, car le décret qui le fixait n'a jamais été abrogé. Il est seulement tombé en désuétude sous la troisième République.
La République n'a pas que supprimé en fait la belle tenue des ministres ; elle a encore simplifié leur portefeuille.
Celui-ci, sous l'Empire, était en maroquin, rouge, orné de dorures au petit fer. Ce n'est plus aujourd'hui qu'une simple serviette avocat en cuir chagriné à petits grains, l'intérieur divisé en plusieurs compartiments, fermoir d'acier avec clef minuscule qui suffit pour tenir clos les plus grands secrets de l'État.
Chaque changement de gouvernement implique une fourniture nouvelle chaque ministre tombé ayant le droit d'emporter, dans sa chute, à titre de souvenir - souvenirs et regrets ! - la précieuse serviette.
Quant au traitement des ministres, il a varié suivant les régimes. Il était de 100.000 francs sous Napoléon et même de 120.000 pour les ministres de la Guerre et des Affaires étrangères. Il descendit à 48.000 francs en 1848. Il est aujourd'hui de 60.000 francs. Soit, par mois, 5.000 fr. Ils sont payés régulièrement le 30 par le caissier de chaque ministère et, chose curieuse, celui-ci s'efforce toujours de réunir, pour payer le « patron », des billets de banque neufs et des pièces d'or nouvellement frappées. C'est une tradition qui se continue régulièrement. Quand il y a changement de ministère et que ce changement s'effectue dans le cours d'un mois, on ne peut plus payer le traitement mensuel on paie alors par jour, tous les mois étant supposés avoir également trente jours. On verse à chaque ministre sortant autant de fois 1/30 de son salaire mensuel qu'il est resté de jours en exercice durant ce mois. Les autres trentièmes appartiennent au nouveau ministre.
L'État loge ses ministres. Mais un décret de 1911 met à leur charge tous les frais de la maison jusqu'aux livrées et cocardes de leurs gens, ainsi que les dépenses afférentes aux réceptions, repas, buffets, orchestres, vestiaires. Ils doivent solder également de leur poche les contributions et taxes dont le paiement incombe légalement aux personnes logées par l'Etat.
Il faut avouer que, par ce temps de vie chère, soixante mille francs pour payer tout cela et, représenter généreusement et dignement la France, ce n'est guère, et qu'un ministre qui n'a pas de fortune personnelle ne doit guère pouvoir, en quittant le ministère, s'acheter, comme le lieutenant de la Dame Blanche, un château sur ses économies.

***
Nous avons eu pourtant, et nous aurons encore de grands ministres à ce prix.
« Le grand ministre, disait Emile de Girardin est celui que résume dans sa pensée toutes les saines idées de son temps. »
Or, toutes les saines idées de ce temps-ci se résument en une seule : l'idée de patrie. Mener la France, par les voies les plus rapides, à la paix victorieuse, entretenir en elle la confiance, la certitude de vaincre qui donne la force de supporter les privations et les épreuves, telle est l'oeuvre à accomplir. Le ministre qui l'accomplira aura mérité d'être appelé grand ministre ; son ministère aura été un grand ministère.
L'opinion publique, qui fait confiance à M. Clemeneau, et qui connaît l'ardeur patriotique dont il a toujours témoigné au cours de sa carrière politique, a le ferme espoir que son ministère sera ce ministère-là.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du 2décembre 1917