LE GÉNÉRAL DIAZ

Le général Armando Diaz, qui vient
d'être nommé chef d'état-major de l'armée
italienne, est né à Naples le 5 décembre 1861.
Il appartient à l'artillerie et a été fait officier
le 24 août 1881.
Il a pris part à la campagne de Tripolitaine et a été
blessé en Libye, où il commandait le 93e régiment
d'infanterie. Sa conduite lui valut à ce moment d'être
décoré de l'Ordre militaire de Savoie et d'être
appelé au côté du général Porro, alors
chef d'état-major général, en qualité de
chef du secrétariat.
Le général Armando Diaz fut fait major général
en 1914, fonction qu'il occupa jusqu'à la mobilisation, époque
à laquelle il prit le commandement d'une division sur le Carso.
Il s'y distingua en s'emparant de positions qui passaient pour imprenables
et en soutenant les autres corps qui opéraient à ses côtés.
Nommé lieutenant général en juin 1916, il commandait
depuis cette époque le 23e corps, qui s'est particulièrement
distingué au cours de la retraite.
Le général Diaz jouit de la plus grande autorité
dans les milieux militaires en Italie.
VARIÉTÉ
Faut-il fumer ?
La Régie dit non. - Quelle drôle
de commerçante ! - Le tabac attaqué et défendu
par la science. - L'excès en tout est un défaut.
Faut-il fumer ?... Ne faut-il pas fumer ? Si,
en ce moment, vous demandez l'avis de la Régie, elle vous répondra
qu'il ne faut pas fumer.
La Régie est une bien bonne personne. Elle prend un souci singulier
de notre santé ; et, depuis quelque temps, elle envoie à
la presse des petites notes variées dans lesquelles elle déclare
invariablement que les fumeurs fument trop.
Que diriez-vous d'un marié qui se plaindrait que la mariée
est trop belle ?... Que diriez-vous d'un commerçant qui bougonnerait
parce que sa marchandise est trop demandée ? La Régie
est ainsi : elle trouve que les amateurs de ses produits sont trop nombreux,
et qu'ils en font un usage immodéré. Et pour les punir
d'être trop gourmands, elle les met à la diète.
Que dis-je, à la diète ... Au jeûne absolu.
Ah ! c'est vraiment une chose admirable qu'un monopole !
Or, savez-vous ce que ce monopole rapporte annuellement au Trésor
national quand la Régie consent à servir les fumeurs ?
Un demi-milliard, tout simplement.
Divisez par trois cent soixante-cinq jours. C'est une belle et bonne
somme de treize cent soixante-dix mille francs que l'État perd
journellement quand les produits de la Régie manquent totalement
chez le débitant.
Sans doute, j'exagère : il y a du tabac au front ; il y en a
peut-être aussi dans certaines régions favorisées.
Mais le déficit fut-il seulement de moitié, que la perte
supportée par le Trésor s'élèverait encore
à tout prés de sept cent mille francs par jour.
Ce n'est vraiment pas le moment de priver l'État de pareilles
ressources.
Mais qu'importe à la Régie ?... Ses intérêts
n'ont rien de commun avec ceux d'un commerçant qui risque de
perdre sa clientèle s'il la mécontente. La Régie
n'a pas de clients : elle a des contribuables ; et elle sait bien que
le contribuable est une manière d'esclave attaché au monopole
comme jadis le serf à la glèbe.
Au surplus, les pertes entraînées par là pénurie
présente n'ont même pas de quoi l'émouvoir. Ce qu'un
impôt ne donne pas, un autre impôt le donnera : le budget
s'équilibrera tout de même. Après ça le public
peut pester et les débitants se lamenter. La bonne Régie
ne s'en fait pas !
***
Mais revenons à notre proposition : faut-il, ne faut-il pas fumer
?
Négligeons, si vous le voulez bien, l'avis de la Régie,
qui n'est, évidemment, qu'une opinion de circonstance, et qui
peut, j'imagine, se traduire ainsi : ne fumez pas quand moi, Régie,
je n'ai pas de tabac à vous vendre, mais quand mes débits
sont fournis, fumez donc comme des locomotives ; je n'y vois nul inconvénient.
Par malheur, le goût du fumeur est impérieux et ne se règle
pas sur les fantaisies de dame Régie. La passion de la pipe ou
de la cigarette ne s'accommode pas de périodes d'abondance succédant
à des périodes de disette ; il faut au fumeur, même
avant son pain, son tabac quotidien : si la Régie n'est pas capable
de le lui donner, ça fera du vilain, et je prévois de
mauvais jours pour le monopole.
Le tabac, en effet, est un véritable despote. Quand il tient
son homme, il le tient bien.
Et, plus on veut empêcher le fumeur de fumer, plus il s'obstine
dans sa passion.
Jadis les amateurs de tabac furent persécutés un peu partout.
En Turquie, on leur enfonçait leur pipe dans le nez, en Russie,
on leur donnait le knout et on leur coupait le nez en cas de récidive
; en d'autres pays, on les mettait en prison. Le pape Urbain VIII les
menaça des foudres de l'Église. Ça ne les empêchait
pas de fumer ; et ça n'a pas empêché le tabac de
faire son petit chemin dans le monde. Je vous disais plus haut que rien
qu'en France on en fume pour plus de 500 millions par an ; et nous ne
sommes que de médiocres fumeurs, comparés aux Allemands,
aux Belges, aux Hollandais, à tous les peuples du Nord et aussi
aux Américains.
Il n'est pas de pays où l'usage du tabac ait été
plus longtemps interdit qu'en Allemagne. En 1832 encore, à Berlin,
il n'était pas permis de fumer dans la rue « par égard
pour les convenances publiques » ; et les délinquants étaient
passibles d'une amende de deux thalers et même de la prison s'il
y avait récidive.
Or, les Boches qui sont, en toutes choses, disciplinée jusqu'à
l'esclavage, ont pourtant résisté, en ce qui concerne
le tabac. Ils ont fumé de tout temps, malgré toutes les
défenses ; et ils sont aujourd'hui parmi les peuples qui consomment
la plus grande quantité de tabac.
Le tabac, en vérité, a une singulière puissance
: il vous possède, il vous envoûte. Et demandez aux fumeurs
pourquoi ils fument : pas un ne sera capable de donner une raison valable
à sa passion.
Il y a en Poméranie une légende qui attribue au diable
l'invention du tabac. Cette légende n'est-elle pas parfaitement
justifiée par ce pouvoir mystérieux et irraisonné
que le tabac a sur les hommes ?
Aujourd'hui, on ne persécute plus les fumeurs, mais on ne cesse
de s'évertuer à leur démontrer que leur passion
est absurde et funeste à leur santé.
Ils ne cèdent pas plus, d'ailleurs, aux raisonnements des hygiénistes
que leurs ancêtres ne cédèrent aux menaces et aux
supplices.
A vrai dire, les ennemis du tabac ne sont pas toujours habiles : ils
exagèrent. A les en croire, l'herbe à Nicot est le véhicule
de tous les maux : elle donne le cancer, amène l'angine de poitrine,
détraque le système nerveux, développe la tuberculose
pulmonaire, affaiblit les fonctions de la digestion, produit l'aphasie,
entraîne la perte de la mémoire, diminue la force musculaire...
Que sais-je encore ?
Sans doute, il y a du vrai dans tout cela, mais combien de fois le tabac
est-il innocent des maux dont on l'accuse, et qui sont dus à
d'autres causes. Seulement, le malade fume ; alors, haro sur le tabac
! Il y a bien un médecin boche qui a prétendu que le tabac
amenait la paralysie générale.
La passion des ennemis du tabac n'est pas beaucoup plus raisonnable
que celle de ses amis.
***
Dénigré par la science, le tabac, cependant, a trouvé
des défenseurs qui l'ont réhabilité au nom de la
science, et qui ont entrepris de démontrer que s'il a de nombreux
défauts, il faut bien reconnaître qu'il a quelques vertus.
J'ai naguère cité ici, des extraits d'un « journal
» tenu pendant les années 1636 et 1637 par un célèbre
médecin de Nimègue, le professeur Isbrand de Diemerbrook,
qui, au cours de ces deux années, combattit une peste terrible
qui ravages cette ville.
Ce savant docteur y déclare que, mieux que la thériaque,
le cardamone et le diascordium, qui étaient les remèdes
en usage, le tabac lui parut faire merveille dans la prophylaxie de
la peste.
Lui-même en usait largement pour s'immuniser contre la maladie.
Trois ou quatre fois, il se sentit atteint par le venin pestilentiel,
quelques pipes suffirent à chasser les vertiges, les nausées,
l'anxiété, le serrement de coeur qu'il considérait
comme les prodromes du mal.
« Pendant toute l'épidémie, dit-il, je m'en suis
tenu à cet antidote et ne me suis jamais servi d'aucun autre
parfum ni de tout ce qu'on met dans sa bouche en ce cas-là. »
Le praticien ajoute qu'au cours d'une peste qui avait ravagé
Londres, quelques années auparavant, on avait constaté
que les maisons des marchands de tabac n'avaient point été
attaquées.
Je vous donne l'opinion de ce vieux savant pour ce qu'elle vaut ; mais
on ne peut s'empêcher de la considérer avec quelque attention,
quand on se rappelle que les grandes épidémies de peste
ont disparu de nos contrées depuis la fameuse peste de Marseille,
en 1720, c'est-à-dire depuis l'époque où l'usage
du tabac s'est généralisé.
On ne saurait non plus méconnaître que l'Amérique
du Sud, où l'on a fumé de tout temps, n'a jamais connu
les horreurs de la peste.
Si les gens de Chine, de Mandchourie, de l'Inde, qui furent naguère
victimes d'effroyables pestes, avaient fumé du tabac au lieu
de fumer de l'opium, qui sait s'ils n'eussent pas été
mieux protégés contre la contagion.
Voici donc, démontrée, une vertu du tabac. Or, il parait
que ce n'est pas la seule. La plante à Nicot ne serait pas moins
efficace contre le choléra que contre la peste. C'est, du moins,
un fameux savant boche, le professeur Wenck, qui l'affirma il y a quelques
années.
Il y eut alors à Hambourg une assez violente épidémie
de choléra, Le professeur allemand constata que pas un seul des
ouvriers occupés à la manufacture de cigares de la ville
ne fut atteint : cependant un certain nombre d'entre eux habitaient
des maisons où des cas de contagion, s'étaient déclarés.
Il n'hésita pas à rapporter au tabac lui-même le
mérite de cette immunité. Il lui fut possible, en effet
de vérifier à diverses reprises que la fumée de
tabac tue en cinq minutes au plus les microbes cholériques contenus
dans la salive. Des microbes d'une extrême virulence prélevés
dans les déjections de malades gravement atteints moururent 25
ou 30 secondes, après avoir été mis en contact
avec la fumée de tabacs provenant du Brésil, de Sumatra
ou de la Havane. Bien mieux encore : le savant fit fabriquer des cigares
avec des feuilles longuement lavées dans de l'eau infestée
de vibrions cholériques - 1.500.000 bacilles-virgule par centimètre
cube - : au bout de 24 heures tous ces vibrions étaient morts.
Et de deux !
Ce n'est pas tout. Avant la guerre, des médecins-majors de plusieurs
régiments crurent pouvoir affirmer que le tabac conférait
une certaine protection contre l'une des plus terribles maladies de
ce temps la méningite cérébro-spinale.
Ils observèrent au cours d'épidémies qui avaient
éclaté dans leurs régiments que les hommes atteints
comptaient surtout parmi les non-fumeurs. Dans un de ces régiments
la proportion des malades était de 45 parmi les non-fumeurs,
de 30 % parmi les fumeurs d'occasion, de 25 % seulement parmi les vrais
fumeurs. Il est difficile de ne pas conclure, disait le major, qu'en
temps d'épidémie cérébro-spinale, la catégorie
des fumeurs jouit d'une immunité relative.
Enfin, il y a mieux encore : voici un médecin italien qui déclare
le tabac un excellent antiseptique de la bouche. « Il stérilise
la salive et ne nuit nullement aux dents qui deviennent et restent noires,
si on ne les soigne convenablement. La sécrétion salivaire
augmente sous l'influence d'une petite quantité de nicotine pour
diminuer de nouveau sous l'influence d'une quantité plus grande.
C'est à tort que l'on attribue a l'influence du tabac, chez les
fumeurs passionnés, l'inflammation des gencives et de la muqueuse
buccale : il n'agit que comme circonstance déterminante dans
un processus inflammatoire existant déjà d'une façon
latente ou, manifeste. Il n'est pas davantage démontré
que le cancer épithélial des lèvres et de la langue
soit à attribuer exclusivement au tabac. Il semble bien que dans
le cancer des fumeurs, le tabac ait un simple rôle « irritatif
».
Voilà donc maintenant que le tabac ne produit même plus
le cancer des fumeurs. C'est trop de vertus, en vérité
!
***
Tout cela, il est vrai, n'a pas d'importance pour les adversaires du
tabac. Ils ne désarment pas.
Parmi les méfaits dont ils accusent l'herbe à Nicot, il
en est même d'assez inattendus. « Le tabac, disent-ils notamment,
est une des causes de la dépopulation. »
Or la prolifique Allemagne vit dans un nuage de fumée ; la Belgique,
la Hollande, où l'on n'a jamais ouï dire que sévit
la dépopulation, sont des pays de grands fumeurs. Et le nord
de la France, qui est le client le meilleur de la Régie, est
de toutes les régions de France celle où l'on a le plus
d'enfants.
Le grief est mal choisi. En voici un autre :
« Le tabac, disent encore les adversaires de la cigarette et de
la pipe, diminue la longévité humaine. »
Rien n'est moins prouvé.
On a cité souvent les noms de plusieurs centenaires qui culottèrent
des pipes jusqu'au jour de leur mort. Le boulanger parisien Favrot,
décédé à l'âge de cent quatre ans,
avait fumé 30 grammes de tabac le jour de sa mort. Mme Rebecca
Sidenor, morte à cent deux ans à Deckertown (New-Jersey),
était une des plus enragées fumeuses américaines.
Enfin, il y a une vingtaine d'années, mourut à Aniche,
dans le Nord, à l'âge de cent douze ans, une femme d'origine
polonaise, que tout le pays connaissait sous le nom de Mme Daurel, et
qui avait fait, en qualité d'aide-chirurgien, les campagnes du
premier Empire. Malgré son grand âge cette femme fumait
par jour ses deux pipes et, peu de jours avant sa mort, elle déclarait
« qu'elle serait malade si elle ne pouvait se donner ce plaisir
».
Cela, évidemment, ne veut pas dire qu'il faille abuser du tabac
pour devenir centenaire.
Il ne faut être absolu en rien. D'abord, nous devrions imiter
les Anglais qui ont fait des lois très sévères
pour empêcher les enfants de fumer. Amende pour le gosse de moins
de seize ans qui fume, amende également pour le commerçant
qui lui a vendu du tabac, et retrait de la patente à la récidive.
Chez nous, il y a trop de gamins qui fument. Le tabac, qui peut être
absolument inoffensif chez l'adulte bien constitué, fait des
ravages sur un organisme à peine formé.
Quant à nous, si nous n'avons pas la force de résister
à la tentation de l'herbe diabolique, sachons du moins nous garder
des excès du tabac comme des autres excès. Fumons, si
tel est notre goût, Mais fumons avec modération : fumons
surtout du bon tabac s'il plaît à la Régie de nous
en octroyer. Et nous pourrons alors paraphraser le distique fameux :
Quoi qu'en dise Aristote et sa docte cabale, Le tabac est divin, il
n'est rien qui l'égale
Ernest Laut.