CAMBRAI


La lutte qui se déroule entre les glorieuses troupes du général Byng et la deuxième armée allemande, et qui fut marquée déjà par les grands succès de nos alliés, attire tous les regards vers Cambrai.
Cambrai est une des vieilles cités de France. La Civitas Cameracensium figure dans la notice des provinces de la Gaule, rédigée au IVe siècle ; on la trouve sous la forme Cameraco sur la carte de Peutinger et sous la forme Cameracum dans l'itinéraire d'Antonin.
Au Ve siècle, c'est déjà une cité importante, puisque le roi franc Ragnacaire en fait sa capitale. Clovis la réunit à ses États en 509. Elle fait partie du royaume de Soissons en 511. En 584 ; Chilpéric s'y retire avec ses trésors, et Frédégonde y donne le jour à Clotaire II. On ne dira pas de Cambrai que c'est une ville qui n'a pas d'histoire.
Je passe sur les luttes des Austrasiens et Lotharingiens qui se déroulèrent aux siècles suivants. Cambrai en fut souvent l'enjeu. Finalement, la ville demeura comprise dans la Lotharingie, dont elle suivit les destinées sous les rois de Lorraine, puis sous les empereurs d'Allemagne.
Au Ve siècle, Cambrai devint ville épiscopale ; et bientôt les évêques furent les véritables souverains du Cambrésis. les empereurs leur laissant toute latitude d'administrer et d'exploiter le pays en leur nom.
Mais l'autorité épiscopale eut maintes fois maille à partir avec la population. Le Cambrésien est épris de liberté ; il a la tête près du bonnet. A maintes reprises, le peuple se révolta contre les exactions des évêques. Plus d'un prélat fut chassé de son palais épiscopal, conduit hors de la ville après quoi les portes étaient refermées sur lui.
Dès l'an 1076, les Cambrésiens proclamaient la Commune. Leur ville est une des Premières de France qui s'administrèrent ainsi par elles-mêmes. Elle donna l'exemple de l'indépendance et de la liberté à toutes ces « frankes villes » de Flandre, de Hainaut et d'Artois, qui, sagement administrées par leurs bourgeois élus, devinrent les plus actives, les plus belles et les plus riches du monde.
En vain l'empereur d'Allemagne vient-il chaque fois au secours de l'évêque ; en vain les bourgeois sont-ils cruellement châtiés de leur rébellion, flagellés publiquement, contraints aux plus dures humiliations, ils recommencent bientôt à se soulever contre leurs maîtres. Tant il est vrai que rien ne saurait entraver chez un peuple énergique l'amour de l'indépendance et de la liberté.
Au XIVe et au XVe siècle, Cambrai est ardemment disputé par les rois de France et les ducs de Bourgogne. Elle est enfin française, et définitivement, au XVIIe. Louis XIV s'en empare en 1677, et la paix de Nimègue, en 1678, en assure la possession à la France.

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Nous donnons plus loin quelques vues pittoresques de la vieille métropole du Cambrésis, notamment une partie de ses anciennes fortifications et la superbe porte Notre-Dame , qui fut respectée heureusement lorsqu'il y a quelques années la ville fut démantelée. Nous donnons également son beffroi qui date du XV siècle, et la façade centrale avec le campanile de son hôtel de ville.
On remarquera, de chaque côté de ce campanile, deux statues qui ne sont autres que celles de Martin et Martine, les deux « jaquemarts » cambrésiens, bizarrement accoutrés à l'orientale.
Ces statues passent pour avoir été données à la ville par Charles-Quint.
Dans presque toutes les villes du nord de la France, on retrouve cette tradition des jaquemarts, statues de fer ou de bois, qui, adaptées à un mécanisme de l'horloge, sont chargées de frapper les heures sur la cloche.
Ce nom de jaquemart viendrait de l'ouvrier qui inventa ces statues animées et qui, si l'on en croit Furetière, s'appelait Jacques Marc.
Les plus célèbres jaquemarts sont ceux de l'horloge de Dijon, laquelle fut enlevée jadis, à Courtrai, par Philippe le Hardi, ceux de Compiègne et de Calais, qui sont des chevaliers jouant de la lance à chaque heure. Valenciennes avait un jaquemart qu'on appelait Jean du Gaugnier ( du noyer, parce qu'il était fait de ce bois). Montdidier en a un qu'on appelle Jean du Quesne, parce qu'il est fait de bois de chêne.
Martin et Martine, de Cambrai, comptent parmi ces automates célèbres. Tout bon « Camberlot » ne jure que par ses jaquemarts traditionnels ; et j'imagine qu'en ce moment les habitants de la vieille cité qui en sont éloignés font les vœux les plus ardents pour que les hasards de la guerre épargnent le campanile de leur hôtel de ville, et pour qu'ils puissent, au retour, retrouver sans blessure, de chaque côté de leur cloche, Martin et Martine sonnant pour la cité l'heure de la délivrance et de la victoire.

 

Le Petit Journal illustré du 16 décembre 1917