VARIÉTÉ

Les cites reconquises
LENS
La ville noire qui vient enfin de rentrer dans
le giron français, n'était, il y a une soixantaine d'années
qu'une modeste bourgade de 2.000 habitants.
C'est pourtant une vieille ville, camp romain, d'abord, forteresse dressée
ensuite contre les invasions des Normands, puis apanage de Godefroy
de Bouillon tantôt française, tantôt flamande, tantôt
bourguignonne, tantôt espagnole.
La vaste plaine qui l'entoure, aujourd'hui semée des ruines d'innombrables
villages, et dominée par les beffrois des mines, jadis coupée
de marécages et de forets semblait appeler la bataille.
Là, en 436, un lieutenant d'Aétius écrasa les hordes
de Clodion le chevelu. Là, au cours des XIVe, XVe et XVIe siècles,
se heurtèrent à maintes reprises les troupes françaises
contre les milices de Flandre ; là, en 1648, le vainqueur de
Rocroi mit en pièces l'armée de Léopold d'Autriche,
qui ne parlait de rien moins que de venir en promenade militaire jusqu'à
Paris.
Ce fut un retentissant triomphe, et qui ne coûta pas cher à
la France. Condé. en effet, n'avait perdu que cinq cents hommes.
Le destin réservait à la plaine de Lens de voir à
deux siècles et demi de là, d'autres carnages.
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Lens, devenue française, fut d'abord une paisible petite ville
sans importance. Un de ses fils, un fermier du pays nommé Decrombecque,
lui apporta un premier élément de prospérité
en défrichant la plaine qui l'entourait et en transformant les
bosquets et les marécages en fertiles terrains de culture.
Mais un autre élément de richesse, autrement important,
devait bientôt surgir du sol et transformer la modeste bourgade,
en un grand centre industriel.
Au milieu du XIXe siècle on découvrait le charbon dans
le Pas-de-Calais, et Lens devenait le centre, la capitale de ce pays
noir, dont la production, en un demi-siècle, a, sous forme de
charbon extrait, accru le patrimoine national d'une somme qui dépasse
cinq milliards.
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L'invasion allemande est venue interrompre cette
prospérité.
Depuis le 4 octobre 1914, Lens était occupée par les Boches.
Ils exploitèrent librement ses richesses minières jusqu'au
jour où l'avance anglaise les força enfin à quitter
la place. Lens aura subi quatre ans leur tyrannie.
On sait qu'ils la détruisirent de fond en comble et que la ville
n'est plus qu'un informe tas de pierres.
Un Allemand qui visita récemment ces ruines écrivait :
« Devant les yeux du spectateur ému s'étend une
vaste mer de pierres, d'un ton de brique, une mer dont les vagues se
seraient figées et transformées en crevasses et en monceaux
de ruines... »
Et devant cette désolation, le Boche assure qu'une ville ainsi
ruinée ne pourra jamais être relevée.
Le Boche se trompe ; il ne connaît pas l'âme énergique
de nos populations septentrionales. Lens sera reconstruit: Lens reprendra
son labeur ; les traces de la batterie allemande seront effacées
; le « pain de l'industrie » sortira du sol plus abondant
que jamais ; et, après avoir souffert vaillamment pour le pays,
nos régions minières du Nord et du Pas-de-Calais travailleront
non, moins vaillamment pour lui rendre la force et la prospérité.
ARMENTIÈRES
Comme beaucoup de cités du Nord, Armentières
ne fut définitivement acquise à
la France qu'après le traité d'Aix-la-Chapelle. Auparavant,
France et Flandre se l'étaient disputée pendant des siècles.
Ce n'est pas la première fois qu'elle éprouve toutes les
horreurs de la guerre : elle fut prise et incendiée par les Anglais
en 1339 ; pillée par les Français en 1382 ; détruite
par les calvinistes en 1566 ; occupée par les maréchaux
de Gassion et de Rantzau en l645 ; par l'archiduc Léopold en
1647 ; par les Français en 1667,
Depuis lors, l'ère de ses vicissitudes semblait close. Elle avait
pu, grâce à l'esprit industrieux de ses habitants, se développer
commercialement et vivre en-paix. on sait qu'elle avait acquis une grande
importance dans l'industrie des toiles. On fabriquait annuellement à
Armentières pour 150 millions au moins de moins blanches ou écrues,
de treillis, de toiles bleues pour blouses.
Maintes autres industries assuraient avec celle des toiles la prospérité
de la ville. La barbarie allemand a détruit tout cela.
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Les Allemands entrèrent pour la première
fois à Armentières le 9 octobre 1914. ils n'y restèrent
que quelques jours, jusqu'au 16, et se contentèrent de piller
les magasins d'alimentation et les caves.
Forcés de reculer, ils s'arrêtèrent à quatre
kilomètres de la ville. Le bombardement commença le 20
octobre 1914 Beaucoup d'habitants s'enfuirent. Ceux qui restèrent
subirent des souffrances sans nom. on comptait souvent plus de 500 obus
par vingt-quatre heures. Et pourtant, si grand est l'esprit de labeur
de ces populations du Nord, qu'on travaillait quand même dans
la ville assiégée. Les tissages continuaient à
fonctionner. Plus de 20 millions de toiles purent être fournis
à l'état.
Au mois de juillet 1911, au moment de l'offensive anglaise, il ne restait
plus qu'un millier de personnes à Armentières. Ces obstinés
durent eux-mêmes quitter la ville, car les Allemands, furieux
de n'avoir pu la garder, l'empoisonnèrent. Ils la couvrirent
d'obus toxiques, la noyèrent sous le flot des gaz asphyxiants.
Armentières est enfin reconquise, définitivement, cette
fois ; et bientôt, dans la cité relevée de ses ruines,
le travail reprendra. Quoi qu'aient pu espérer les Boches, la
ville empoisonnée, la ville asphyxiée renaîtra.
LA BASSÉE
Cette ville est-elle, comme le prétendent
les historiens locaux, la cité des Bassi dont parle Pline ?...
Il est certain qu'elle est très ancienne. De nombreux vestiges
antiques exhumés à diverses époques, témoignent
de son existence au temps de l'occupation romaine.
Les textes n'en font mention qu'à partir du XIIe siècle.
Elle faisait partie alors du domaine des comtes de Flandre. Du XIVe
siècle jusqu'au début du XVIIIe, époque où
elle fut réunie définitivement à la France par
le traité d'Utrecht, elle ne changea pas moins de dix-neuf fois
de maîtres.
Tour à tour aux Français, aux Flamands, aux ducs de Bourgogne,
aux Espagnols, elle subit siège sur siège, vit ses fortifications
plusieurs fois démantelées et reconstruites, sa population
décimée.
Mais de toutes les vicissitudes qu'elle aura subies dans l'histoire,
les plus terrible , à coup sûr, furent celles que lui imposèrent
l'occupation allemande et la série de combats dont ses abords
furent le théâtre depuis quatre ans.
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M.Alexandre Crespel, conseiller d'arrondissement
de Lille et maire de la Bassée, disait ces jours derniers au
Petit Journal tout ce qu'ont souffert les 2.500 habitants qui, restés
dans la ville, vécurent là, plus de six mois, à
deux kilomètres des tranchées, sous les obus et sous les
balles il racontait les pillages, les fusillades, les incendies, les
emprisonnements d'otages, la suspicion permanente, les, arrestations
de chaque jour sous les prétextes les plus divers, les douleurs
de l'évacuation brutale, les déchirements de la séparation,
et, l'admirable résignation avec laquelle toutes ces horreurs
turent subies.
Quant l'état de la ville « Déjà, en avril
1915, disait-il, notre magnifique église n'était plus
qu'un tas informe de pierres et de bois, l'hôtel de ville était
éventré et le beffroi abattu, toutes les maisons avaient
été atteintes et plus de la moitié d'entre elles
étaient rasées .. »
Depuis, les dévastations ont continue.
« N'importe ! s'écriait le maire de La Bassée. C'est
avec une émotion joyeuse que nous foulerons ces ruines sacrées,
rédemptrices de la patrie ! An milieu d'elles gisent des germes
de résurrection que nos vaillants semeurs jetteront avec confiance
dans notre sol, malgré tout fécond ; et bientôt,
j'en ai la conviction, nous verrons surgir de ces ruines aujourd'hui
lamentables une cité nouvelle que nous aimerons comme nous avons
aimé la disparue et que nous travaillerons à rendre toujours
plus belle et toujours plus prospère..»
***
Ainsi, partout, vous le voyez; parmi les habitants de ces villes dévastées,
expriment les mêmes sentiments de fermeté d'âme,
la même volonté de résurrection par le travail.
Pas une plainte ! Rien que des paroles de confiance, rien que des cris
d'espoir !
Quel noble et sublime exemple nos populations septentrionales auront
donné au pays !
Ernest LAUT.