La charité de Mireille

Dans les ruines lamentables d'un pauvre village
ardennais, le village d'Herpy, on vit passer dernièrement la silhouette
gracieuse des filles d'Arles. Que venait donc faire Mireille en ces campagnes
de désolation ? Mireille venait faire la charité et apporter
à l'humble bourgade ardennaise, victime de la guerre, un peu d'aide
et de consolation.
Un jour de l'été dernier M Braibant, maire d'Herpy et député
des Ardennes, vint à Arles faire une conférence afin de
solliciter la pitié de la Provence en faveur des pays dévastés.
Son appel éloquent fut entendu. La municipalité vota une
subvention importante. Mais les habitants ne voulurent pas s'en tenir
à cette générosité officielle ; leur solidarité
prit un caractère plus intime et plus touchant : Arles avait adopté
Herpy ; des famines arlésiennes adoptèrent des familles
du village ; des enfants arlésiens adoptèrent des enfants
d'Herpy. Du linge, dos ustensiles de ménage, du mobilier furent
expédiés par Arles à sa filleule. Les maisons d'Herpy
sont aujourd'hui meublées à l'arlésienne ; et les
fermes du village ardennais portent les plus jolis noms provençaux.
N'était le ciel, la seule chose que les Arlésiennes ne pouvaient
donner à leur filleule, on se croirait, maintenant, à Herpy,
transporté dans un bourg de Provence. Les fonds nécessaires
à la résurrection du village adopté par Arles ont
été fournis par des souscriptions, et aussi par de pittoresques
fêtes aux arènes. Il y eut musique provençale, jeux
des écharpes et des aiguillettes, jeu de l'épervier par
les « guardians », ( bergers à cheval de la Camargue),
farandole avec fifres et tambourins, courses provençales de taureaux
emboulés ; le tout précédé, la veille, d'une
retraite aux flambeaux, ou si vous préférez, d'une pegoulado,
comme on dit en Provence.
Ainsi, grâce à la générosité d'Arles,
un pauvre village dévasté a pu revivre. Mireille , Vincenette
et leurs compagnes y ont porté la consolation de leur sourire,
les secours de leur pitié.
Les mânes du doux Mistral en ont dû tressaillir de joie.
Ernest Laut
Le Petit Journal illustré
du 19 octobre 1919
|