Les villes décorées de la légion d'honneur


Metz

« Ville dont la fidélité obstinée n'a connu nulle défaillance au cours d'une captivité de quarante- huit ans ;
«Riche d'un passé glorieux et sans taches ; que ses malheurs n'ont pu tenir, exposée durant des siècles aux convoitises de l'ennemi tout proche, a bien mérité d'être à l'honneur parce qu'elle a été longtemps à la peine ;
« Symbolise, dans l'affection émue de la mère-patrie, la Lorraine, enfin reconstituée dans son intégralité de province Française.»

Tel est le texte de la citation accordé à la noble cité Lorraine.

Il est des villes jadis conquises sur l'étranger et qui devinrent, par la suite, de fervantes cités française. Metz, pourtant, peut se dire plus française que ces villes-là. Car Metz ne fut jamais conquise. Metz se donna librement à la France. Il n'est donc aucune cité de France qui puisse se proclamer plus française qu'elle.
Petite république autonome durant tout le moyen âge, Metz dès le XVe siècle, comprit qu'elle ne pourrait rester longtemps libre entre ses trois puissants voisins : L'empereur d'Allemagne, le duc de Lorraine et le roi de France. Il fallait opter pour l'un des trois. Metz ne balança pas longtemps. Toutes ses sympathies l'attiraient vers la France : volontairement elle s'offrit au roi de France, lui confiant la garde de ses franchises et libertés.
Et, depuis lors, même dans les pires heures d'adversité, elle a partagé fidèlement les destins du pays auquel elle s'était librement donnée, Française par sa volonté, même en dépit de la conquête étrangère.
Plus qu'aucune autre ville, elle a souffert cruellement sous la botte prusienne, « L'annexion de 1871, dit le chanoine Collin, le vaillant directeur du Messin, fut pour elle une surprise d'une douleur inexprimable, et occasionna dans sa vie familiale, sociale et politique un bouleversement qui fit de toute la cité, de ses traditions, de ses souvenirs de ses aspirations, de ses intérêts, un inextricable chaos...»
Beaucoup de Messins émigrèrent pour demeurer Français. Mais tous ceux qui ne purent s'en aller n'en demeurèrent pas moins fidèles à la patrie momentanément perdue. Ils restèrent, élevant leurs enfants dans la tradition française ; et c'est ainsi que la France a retrouvé la cité aussi français qu'a la veille de l'annexion - plus française encore, s'il est possible : car les années de souffrances, de sacrifices et d' humiliations avaient accru chez les habitants de Metz l'amour pour la France en même temps que leur haine pour l'Allemagne allait grandissant.
Le sot orgueil et la rude maladresse des Allemands servaient admirablement les intérêts de la France. Les Messins aimaient leur ville et ses coins les plus sombres. La France avait toujours respecté la physionomie de la vieille cité ; les Allemands, au contraire, s'empressèrent de la bouleverser. Ils jetèrent bas les antiques fortifications et firent une ville nouvelle selon leur esthétique ; une ville d'horreurs, où l'on rencontre d'affreuses maisons aux aux façades tourmentées, de ridicules brasseries gothiques et une gare monstrueuse qui est le triomphe du grotesque. 
Ils dressèrent sur l'esplanade, qui était la promenade favorite des Messins, de hideuses statues de leurs empereurs; et, dès lors, les vieux Messins renoncèrent à leur promenade et se résignèrent à plus passer sur l'Esplanade, pour ne pas voir ces monuments détestés.
Ils défigurèrent même la cathédrale où ils eurent la stupide audace de placer sur un portail la statue de leur kaiser en prophète Daniel. Ils enlaidirent la belle rue Serpenoise et multiplièrent partout les témoignages de leur stupide vanité et de leur goût détestable. 
Enfin, partout, ils traquèrent la langue française, la seul langue que les Messins avaient parlée de tout temps ; ils la traquèrent, dit le chanoine Collin, « à l'école, sur les magasins, dans les cimetières même où, en bien des endroits, nos morts, n'avaient plus le droit de dormir sous la bénédiction d'une inscription français.»
Toutes ces vexations, toutes ces tortures murales qu'ils imposaient scient aux annexés n'eurent, à Metz comme ailleurs, d'autre résultat que d'entretenir la haine et le mépris, qu'ils inspiraient, et de rendre plus ardent l'espoir de là délivrance
Cet espoir, enfin s'est réalisé. La vieille cité, volontairement française, demeurée française encore sous le joug étranger, est rentrée dans: le giron de la France pour n'en plus jamais sortir,,.
Elle a su attendre, souffrir, résister, sans jamais se résigner, sans perdre confiance, sans douter un instant. Il lui fallut un noble et fier courage pour témoigner, pendent près d'un demi-siècle, d'une telle fidélité.
Et c'est justice qu'on l'en récompense en plaçant désarmais la croix des braves dans son blason.


Ernest Laut

 

Le Petit Journal illustré du dimanche 14 décembre 1919