Autour
du Congrès

Versailles. - On déjeune. - La salle.
- Ce que coûtent les congrès. - La buvette. - Le passé
et l'avenir.
Versailles, cité élue
de notre histoire parlementaire vient, pour la dixième fois,
depuis 1871, de donner asile aux membres de nos deux Assemblées,
réunies pour nommer le premier magistrat de la République.
Les grandes avenues mélancoliques ont vu passer ce jour-là
une foule animée et bruyante ; les restaurants ont été
envahis. Malheur à qui n'avait pas retenu sa place.
On conte qu'il y a trente-deux ans, en décembre 1917, le jour
où l'on devait élire le successeur de Jules Grévy,
un député entra timidement dans la salle du plus célèbre
restaurant de Versailles, pensant y trouver à déjeuner.
La salle était comble, tout le monde parlait haut ; on discutait
les mérites des deux candidats : MM de Freycinet et Jules Ferry,
qui briguaient la succession présidentielle. Personne ne faisait
attention au nouveau venu, et celui-ci jetait de toutes parts des regards
désespérés.
1l allait se retirer quand des journalistes, qui occupaient une table,
l'aperçurent et le prirent en pitié ; ils se serrèrent
un peu et lui offrirent une place.
L'après-midi, le congrès vota, ; aucun des deux candidats
ne put obtenir la majorité. Alors, on résolut de faire
l'accord sur le nom - un nom célèbre dans l'histoire républicaine
- d'un troisième candidat que quelques parlementaires proposèrent.
Celui-ci fut élu. Or, le député qui avait failli
ne pas trouver à déjeuner, n'était autre que ce
candidat improvisé : Sadi-Carnot.
A midi, personne ne faisait attention à lui , le soir, il était
président de la République.
***
La salle dans laquelle se tiennent les congrès n'a qu'un médiocre
intérêt historique. Elle est de date récente. L'architecte
de Joly la construisit en 1875 sur l'emplacement d'une cour. Il l'édifia
en quatre mois - on bâtissait plus vite en ce temps là
qu'aujourd'hui.
Comme elle n'avait que 860 sièges, on en ajouta une trentaine
en 1905. II eût fallu. Comme elle n'avait que 860 sièges,
on en ajouta une trentaine en 1905. i1 eût fallu en ajouter encore
aujourd'hui, mais les architectes y ont renoncé ; la place manquait,
et quelques parlementaires ont dû rester debout dans l'hémicycle.
On s'est contenté d'aménager la salle, de poser des tapis
propres, de rajeunir l'étoffe des fauteuils. L'indispensable,
quoi !
Mais, par le temps qui court, le strict indispensable coûte encore
assez cher.
Les précédents congrès ont coûté en
moyenne de 20.000 à 30.000 francs chacun. Pourquoi, me direz-vous
ce prix variable ?
C'est bien simple : vingt mille francs, c'était le prix des congrès
imprévus, c'est-à-dire des congrès survenus par
suite de démission ou de décès. On n'avait, en
pareille occurrence, que vingt-quatre heures pour les préparatifs
nécessaires. il fallait se contenter de l'indispensable ; le
temps manquait pour le superflu.
Mais quand l'échéance présidentielle arrive comme
dans les trois derniers congrès, à la date normale, alors
on peut s'y prendre en temps opportun, et l'on a tout loisir de dépenser
de l'argent. Vous pensez bien qu'on n'y manque pas.
Un de nos confrères, membre du Parlement écrivait naguère,
à ce propos.
« Ce qu'il y a de curieux dans cette installation d'un congrès,
qui dure deux heures tous les sept ans, c'est qu'on le prépare
comme si les gens qui descendent du train devaient passer là
toute leur existence, Les présidents ont des appartements avec
chambres à coucher, tables de nuit et bibliothèques garnies,
des salons, des salles à manger munies de services complets.
Tout le monde semble être attendu ; et d'inutiles casseroles emplissent
les cuisines dans lesquelles personne n'a jamais pénétré
ni ne pénétrera jamais... »
Et notre honorable ajoutait :
« Ce qui justifie ce remue-ménage sans utilité,
c'est qu'il coûte très cher. On sait. que chez nous c'est
le point essentiel... »
Un congrès ainsi préparé coûtait, en ce temps-là,
dans les trente mille francs. Mais ce serait peu à notre époque
de vie chère. Combien a dû coûter celui qui vient
d'avoir lieu ?
Et notez que, généralement, les frais de la buvette ne
sont pas compris dans le chiffra prévu peur les dépenses
du Congrès.
Car il y a une buvette... Vous n'imaginez pas une assemblée de
parlementaires sans buvette.
La buvette au congrès de 1913, se composait de deux salles abondamment
pourvues de bière, liqueurs variées, thé, chocolat,
lait, consommé, sandwiches, brioches, petits pains au jambon
et au foie gras, gâteaux secs, vins généreux et
eaux minérales.
La consommation totale était évaluée à 1.500
francs pour chaque tour de scrutin, ce qui, somme toute, étant
donné qu'il y avait plus de 850 membres au congrès, n'était
pas trop cher, et ne portait guère la dépense qu'à
environ 2 francs par tête.
***
La galerie qui sert d'antichambres à la salle s'appelait autrefois
la galerie des Tombeaux. Elle contenait autrefois, en effet, divers
sarcophages. Elle n'est plus décorée aujourd'hui que de
sculptures ; et elle s'appelle la galerie des Bustes. Un Voltaire, assis
dans un fauteuil, y sourit de son sourire sarcastique.
Dans la salle voisine, la salle Marengo où a lieu le dépouillement
du scrutin, se trouve la réduction en bronze par Seurre de sa
célèbre statue du « Petit Caporal ».
Il paraît que ce Napoléon, qui voit passer le premier les
présidents nouvellement élus, présente une particularité
singulière. Il est mobile. En appuyant légèrement
sur les pieds, on lui fait faire demi-tour.
Et voici la raison de cette mobilité.
Lorsque la statue fut apportée à Versailles, on la plaça,
au bas de l'escalier des Princes, à la demande du roi Louis-Philippe
à qui elle plaisait tout particulièrement. Mais l'architecte
du palais ne partageait pas, à l'endroit du grand Empereur, les
goûts du monarque. N'ayant pu obtenir que la statue fût
reléguée dans les greniers, il la fit monter sur un pivot.
et par un demi-tour adroitement donné il mit Napoléon
en pénitence... Chaque fois que le Roi devait passer par l'escalier
des Princes, cet architecte, plus royaliste que le Roi, tournait l'Empereur
du bon côté ; puis il le tournait vers le mur dès
que le Roi n'était plus là.
Nous n'avons pas besoin d'ajouter qu'aujourd'hui le « Petit Caporal
» n'est plus mis en pénitence. Bien droit dans sa redingote
il assiste impassible aux conciliabules des parlementaires et au passage
de l'élu. Et son image, symbole de la gloire d'autrefois, semble
avoir été mise là pour rapprocher la grandeur d'hier
à ceux qui ont pour mission de nous préparer demain .
Ernest Laut
Le Petit Journal
, Dimanche 25 Janvier 1920