Un nouvel hôte va entrer cette semaine à l'Elysée.


N'est-il pas intéressant, à ce propos, de retracer rapidement le passé du palais de nos présidents.
L'Élysée s'élève sur un vaste terrain dont Louis XV fit don, à la prière du régent, en 1718, à Henri de la Tour d'Auvergne, comte d'Evreux, qui y fit aussitôt construire, par l'architecte Molet, une des plus délicieuses résidences de Paris. Ce palais fui habité ensuite par Mme de Pompadour, puis par son frère, le marquis de Marigny, qui le Vendit à Louis XV.
Nous voyons, en 1774, l'ancienne demeure de la favorite devenue la propriété du trop fameux abbé Terray, contrôleur des finances, qui le vendit à M. de Beaujon, banquier de la cour. En 1786, M. Durney, conseiller d'État, fut chargé par le roi d'acquérir le palais de l'Élysée. Un arrêt du conseil royal, de la même année, daté de Fontainebleau, le destinait exclusivement à servir de logement aux princesses et aux princes étrangers que leurs voyages amèneraient dans la capitale, ainsi qu'aux ambassadeurs extraordinaires. La duchesse de Bourbon l'ayant acheté peu de temps après, l'habita d'abord, puis le loua à un industriel, le sieur Hovyn, qui en fit un jardin public. L'hôtel portait déjà, dès cette époque, le nom d'Élysée-Bourbon. A la Révolution la duchesse de Bourbon, ayant émigré, l'hôtel de l'Elysée-Bourbon, devenu domaine national, fut mis en vente et acheté par Mlle Hovyn.
Cette dernière le céda sept ans plus tard, à Murat, qui, en partant pour son royaume de Naples, en fit don au domaine impérial Napoléon accepta le don et prit en affection cette demeure, qui ne fut bientôt plus connue que sous le nom d'Élysée-Napoléon. Il y allait souvent. Après le désastre de Warterloo, ce fut à l'Élysée qu'il se retira ; ce fut là que, le 22 juin 1815, il signa en faveur de son fils sa célèbre abdication.
En 1814 et en 1815, nous voyons l'Elysée Napoléon devenu le séjour passager de l'empereur Alexandre de Russie. A la Restauration, la duchesse de Bourbon, rentrée en France, revendiqua la propriété de son ancien hôtel : ses ancien hôtel : ses droits furent reconnus, mais on parvint à lui faire accepter, à titre d'échange, l'hôtel Monaco (habité depuis par Cavaignac}, situé rue de Varennes, et qu'elle légua par testament à la princesse Adélaïde d'Orléans, soeur de Louis-Philippe. Le duc et la duchesse de Berry fixèrent jusqu'en 1820 leur résidence à l'Élysée redevenu l'Élysée-Bourbon ; mais près l'assassinat du duc, la duchesse refusa d'y rester davantage. Ce furent les derniers hôtes fixes du palais qui, pendant sept ans, resta inoccupé.
De 1827 à 1848, l'Elysée fut la demeure réservée aux hôtes princiers qui venaient à Paris.
En 1848, l'Assemblée, Constituante décida qu'il serait.la résidence du Président de la République. C'est en cette qualité que Louis-Napoléon vint l'habiter deux ans plus tard.
Et c'est dans cette demeure où avait sombré la fortune de Napoléon I que commença celle du futur Napoléon III. Le coup d'État fut préparé à l'Élysée. C'est là que, dans la nuit du 1er décembre 1851, le prince-président signa le décret de dissolution de l'Assemblée.
Au cours de l'année suivante, le palais s'agandit par la suppression de deux immeubles voisins, l'hôtel Castellane et l'hôtel Sebastiani. Une aile nouvelle fut construite et le palais fut dégagé de tous côtés. I'Elysée a dès lors, la physionomie que nous lui connaissons aujourd'hui .
Le palais fut encore la demeure de Mlle de Montijo, après les fiançailles impériales, Pendant les Expositions de 1855 et de 1867, il reçut les souverains qui visitèrent Paris. En 1871, il eut la chance d'échapper aux fureurs de la Commune.
Enfin, depuis 1873, il est le palais de nos Présidents.
On voit que les destins de cet illustre logis parisien furent singulièrement variés.
Souvenirs de grâce du temps où la Pompadour l'habitait, du temps où le richissime Beaujon y vivait, entouré de jolies femmes ; souvenirs des joyeusetés populaires de la Révolution et du Directoire, souvenirs tragiques de l'abdication de l'empereur, s'y mêlent et s'y confondent.
Que d'événements s'y sont déroulés ! Que d'hôtes illustres ont passé là ! Les scènes les plus importantes de l'histoire politique contemporaine ont eu l'Élysée pour théâtre.
Et l'on peut dire que de tous nos palais il n'en est pas un qui, depuis deux siècles, ait été plus intimement mêlé aux destinées de la France et de Paris.

E. L.

 

Le Petit Journal , Dimanche 15 février 1920