APRÈS LA GRÈVE LES MINEURS

 

Conditions du travail et salaires autrefois et aujourd'hui.


Il y a quelque cent trente ans, à la veille de la révolution, les mineurs d'Anzin gagnaient exactement vingt-deux sous six deniers par jour. Or, comme il fallait douze sous pour faire une livre et que la livre équivalait à peu près à 99 centimes de notre monnaie actuelle, vous voyez par là que la journée d'un mineur, en ces temps lointains, n'atteignait pas même la modique somme de deux francs.
Et quelle journée !... Douze heures de travail, pour le moins... Et quel travail !... Les mineurs d'alors faisaient une pénible besogne et couraient de graves dangers. Ils gagnaient le fond des mines au moyen d'échelles placées dans un puits spécial. Il leur fallait ensuite, après une rude journée, remonter par ces mêmes échelles mesurant toujours de trois à quatre cents mètres. Une minute de vertige, un échelon manquant et le pauvre diable était projeté dans 1e gouffre de boue qui stagne au fond des puits et que les mineurs désignent sous le nom de « bouniou ».
Cette gymnastique, outre qu'elle avait pour résultat de leur faire à tous les pieds plats, était si dangereuse que la plupart préféraient, pour peu qu'ils fussent asthmatique cas fréquent chez ceux qui vivent dans la poussière, rester huit jours sous terre et ne revoir le soleil qu'une fois par semaine. Certains obtenaient la permission de se faire remonter par le puits d'extraction ; mais là, les risques étaient plus grands encore. On amenait alors le charbon au jour par un procédé des plus simples : un treuil, une corde et deux tonneaux ; dont l'un descendait tandis que l'autre montait. Or, il arrivait souvent, lorsqu'an mineur prenait pour remonter ce dangereux moyen, que les deux tonneaux se rencontraient, ou que celui dans lequel se trouvait l'ouvrier allait heurter les parois du cuvelage, ou bien encore que le fond se détachait ; et, dans les trois cas, c'était pour le mineur la mort à peu près certaine.
J'ajouterai que les mines étaient alors très mal ventilées et que, par ce fait même, il y régnait une température insupportable et le grisou y faisait des ravages considérables.
Tels étaient alors le salaire et les conditions de travail du mineur.
Le progrès, en un siècle, a heureusement modifié tout cela. Si le travail du mineur demeure, en certains cas, singulièrement pénible. les découvertes de la science en ont amélioré les conditions.
Quant aux salaires, il faut bien dire que sauf en ces dernières années, ils se sont accrus avec une particulière lenteur. Il y a une vingtaine d'années, pour une journée de dix heures, comportant en réalité huit heures de travail effectif au fond, le mineur ne touchait guère que 6.50 à 7.50 en moyenne.
Ce salaire est aujourd'hui plus que triplé. Comme résultat de la sentence arbitrale prononcée par MM. Le Trocquer et Jourdain, à l'occasion de la grève qui vient d'être terminée, sentence ratifiée d'ailleurs par les délégués patronaux et ouvriers des mines du Nord et du Pas-de-Calais, nous voyons que, salaire de base et indemnité de vie chère réunis, porteraient le total de la journée de travail à 24 fr. 50. Des allocations familiales de 1 franc par enfant - allocations parfaitement justifiée , car les mineurs sont prolifiques et ont généralement un sentiment très vif de la famille - viendraient heureusement corser ce salaire respectable.
Enfin, les galibots - apprentis de 13 à 16 ans et fils de mineurs, le plus souvent - débuteraient (indemnité de vie chère comprise à 9 fr. 50 par jour. A seize ans, ils pourraient prétendre à recevoir le salaire d'un ouvrier.)
Nous sommes loin du salaire des « tayons » et des « ratayons » - ainsi nomme-t-on dans le vieux patois rouchi que parlent nos mineurs, les grands-pères et les arrière-grands pères - qui ne touchaient pas même quarante sous par jour.
Il est vrai que la vie depuis lors a pas mal augmenté et que le charbon, qui se payait, à la fin du XVIIIe siècle, 8 fr. 50 a tonne, se vend quelque peu plus cher aujourd'hui.

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Il nous a paru intéressant, à propos de la grève de nos mineurs du Nord, de donner à nos lecteurs un certain nombre le dessins et de photographies qui les édifieront sur les moeurs et le travail des ouvriers de nos houillères septentrionales.
Nous y avons joint le portrait du poète des mineurs,- Jules Mousseron, qui vient de publier son septième recueil de vers en patois rouchi, les Boches au pays noir, illustré par Lucien Jonas.
Jules Mousseron est « boiseur » à la concession de Denain de la Compagnie des mines d'Anzin. Mineur, il chante, dans son patois natal, la mine et tout ce qui l'entoure ; et il sait, dans le rude langage qu'il emploie, trouver des accents émus pour ce trouver le travail, les intimités des « corons » qui sont :les cités des mineurs, et le charme spécial de ces plaines septentrionales où se dressaient de toutes parts les « beffrois »: des fosses et les cheminées des usines.
Du dernier ouvrage qu'il vient de mettre au jour se dégagent à merveille maints traits de cette belle humeur, de cette énergie imperturbable, de ce stoïque esprit de résistance qu'opposèrent aux Allemands, pendant quatre années d'occupation, nos populations minières, qui se montrent parfois, dans la paix, un peu promptes aux coups de tête, mais qui furent, dans la guerre, si courageuses, si patriotes, si françaises en un mot.

Ernest Laut.

A suivre les photos.

les mineurs au travail

Le Petit Journal Illustré du dimanche11 avril 1920