Les
Transports en commun à Paris, autrefois et aujourd'hui

A
propos de l'augmentation des autobus, tramways et métro
- 1.Un omnibus il y cent
ans. - 2 . Les boulevards avec les voitures publiques sous la Restauration.
- 3 . Une « Dame Blanche » sous Louis-Philippe.
- 4 . « L'enterrement » du dernier omnibus à chevaux
en 1913 . - 5 . Le métro, coupe de la station de l'Opéra.
- 6 Un type disparu : l'omnibus . - 7 . L'autobus actuel .
- 8 . Le tramway de pénétration. - 9 . Le tramway parisien.
Le prix des transports
en commun à Paris
Autrefois et
aujourd'hui
Ces prix, comparés
à ceux d'avant-guerre, sont aujourd'hui plus que doublés.
Où est le bon temps de la correspondance alors que l'on pouvait
prendre deux omnibus et traverser tout Paris pour six sous ?...Où
est le temps où, pour la modique somme de trois sous, un tramway
vous menait de son point de départ au bout de sa carrière
? Où est donc l'époque heureuse où, moyennant trois
sous en second et cinq en première, nous allions dans le métro
aussi loin qu'il nous plaisait ?...Les reverrons nous jamais ces temps
bénis où les voyages à travers la capitale étaient
à la portée de toutes les bourses ? ...
***
Nul n'ignore que la
première idée d'un service de transports en commun à
Paris revient à Baise Pascal, l'auteur des Provinciales.
On lui en a quelquefois discuté la paternité, mais on
a retrouvé un acte passé le 6 novembre 1661, par devant
Me Gallois, notaire à Paris, entre Pascal et bailleurs de fonds
de l'entreprise, et cet acte fait foi qu'il en était l'initiateur.
Au mois de janvier 1662, les lettres patentes accordant le privilège
des carrosses publics aux concessionnaires, étaient signées
par le roi ; et, le 27 février suivant, le Parlement les enregistrait.
Les initiatives d'intérêt public étaient en ce
temps-là, réglées plus rapidement que de nos
jours. Elles étaient aussi plus rapidement réalisées
Le 18 mars, les «carrosses publiques (sic) établies dans
la ville et faux bourgs de Paris pour les bourgeois et habitants d'icelle
» étaient mis en service. Dans sa « Muse historique
», le gazetier Loret, en ces versiculets empreints de verve
gouailleuse, a noté, à cette date, la création
nouvelle.
L'établissement des carrosses
Tirés par des chevaux non rosses,
Mais qui pourraient, à l'avenir,
A commencé d'aujourd'hui même
- Commodité sans doute extrême -
Et que les bourgeois de Paris
Considèrent le peu de prix
Qu'on donne pour chaque voyage
Prétendent bien mettre en usage.
Les carrosses étaient,
en effet, d'un prix modeste : pour cinq sols on pouvait faire tout
le parcours. Mais l'institution n'était pourtant rien moins
que démocratique, car il était fait défense «
à tous soldats, laquais, gens de livrée, manoeuvres
et gens de bras d'y entrer, pour la plus grande commodité et
liberté des bourgeois.... » La première ligne
allait de la place Royale (aujourd'hui place des Vosges) au Luxembourg
par la rue Saint-Antoine, la rue Saint-Denis, le pont au Change, la
place Dauphine, le pont-neuf, la rue Dauphine et la rue de tournon.
Il n'y avait point d'arrêts fixes, et le carrosse devait aller
tout droit son petit bonhomme de chemin « sans se détourner
ni arrêter que pour recevoir ou descendre ceux qui voudront
y entrer ou en sortir en quelque endroit que ce soit». Le contrôleur
et la correspondance n'étaient pas encore inventés,
et pourtant la voiture n'en allait pas plus vite, et les voyageurs
lui reprochaient de faire une lieue en une heure.
Cinq autres lignes furent créées successivement, dans
la même année ; le succès s'affirma à tel
point que le prix de la place fut augmenté d'un sol ; et puis
la faveur, peu à peu, abandonna les carrosses. Ceux qui n'avaient
pas de voitures particulières reprirent l'habitude d'aller
à pied; et, après seize ans de bons et loyaux services,
les carrosses à cinq sols disparurent comme ils étaient
venus.
***
Paris, pendant cent quarante ans,
n'eut pas de service de voiture régulièrement organisé.
Enfin, en janvier 1828, M.Debelleyme, préfet de police, rendit
une ordonnance autorisant l'entreprise de
transports en commun au-moyen d' « omnibus ».
L'inventeur de ces omnibus était un nommé Baudry qui,
après avoir d'abord établi ses voitures à Nantes,
les fit connaître et circuler à Paris. Le
début n'en fut pas très heureux. Baudry se brûla
la cervelle. Il avait trop désespéré, car son
entreprise devait prospérer après lui. Telle est la
malheureuse destinée de la plupart des inventeurs : ils ont
semé, d'autre récoltent.
A vrai dire, Baudry avait
eu un précurseur en la personne d'un certain Godot qui, en
1819, avait proposé d'établir un service de voitures
publiques sur les boulevards et les quais. Mais l'Administration,
tutélaire et prévoyante comme elle fut de tout temps,
repoussa le projet parce que sa réalisation serait de nature
à causer de graves embarras dans les rues .
Les premiers omnibus qui sortirent dans Paris parcoururent la ligne
...« Madeleine- Bastille » , qui est encore aujourd'hui
l'une des plus fréquentées.
Les lignes qui furent créées ensuite allaient du boulevard
Beaumarchais à la barrière de passy bientôt,
d'ailleurs, les parcours se multiplièrent en même temps
que s'affirmait la vogue des omnibus et que naissaient les concurrences.
Successivement, Paris vit se créer les Dames-blanches,
ainsi dénommées à la suite du succès
de l'opéra de Boïeldieu ; les Tricycles, qui
n'avaient d'abord que trois roues, deux grandes au milieu et une
petite en avant,et qui bientôt s'en octroyèrent une
quatrième sans pour cela changer de nom ; les Favorites,
les Orléanaises, les Diligentes, les
Ecossaises, les Béarnaises, les Carolines,
les Citadines, les Batignollaises , les Parisiennes
les lHirondelles, les Joséphines.
En 1840, trois cent quatre vingts voitures publiques sillonnaient
Paris en tous les sens de huit heures du matin à minuit.
Quelques-unes, celles des boulevards, notamment, faisaient merveilleusement
leurs affaires. On évaluait à plus de cent mille le
nombre des voyageur qui prenaient quotidiennement l'omnibus, et
la recette atteignait une moyenne de 30.000 francs par jour.
Est-ce en souvenir des carrosses à cinq sols ? Le prix de
la place avait été fixé d'abord à vingt-cinq
centimes ; mais le entrepreneurs ne tardèrent pas à
prendre texte d'une hausse sur les fourrages pour l'élever
à six sous. Et, depuis lors, les fourrages n'ont pas dû
diminuer, car, jusqu'à l'apparition de l'autobus, il est
resté fixé à ce chiffre immuable.
Il n'y avait pas, en ce temps-là, d'impériales. La
création des places à trois sous « en l'air
» . Comme disaient pittoresquement les conducteurs, date de
1853. Il fallait, pour y accéder, et s'y maintenir, avoir
fait de véritables études de gymnastique et n'être
pas sujet au vertige. Quand on avait à l'aide des étroits
marchepieds que nous avons encore connus à certains petits
omnibus, on arrivait sur une plate-forme sans garde-fous... Et alors,
gare les cahots !... Quiconque avait un instant de distraction et
oubliait de se cramponner à la banquette était précipité
sur le pavé...
- Et l'on ose soutenir - écrivait un caricaturiste du temps,
au-dessous d'un dessin représentant des voyageurs sur l'impériale
d'un omnibus - et l'on soutenir que l'homme ne descend pas du singe
!...
***
En 1855, la ville de
Paris donnait le monopole des omnibus à une compagnie unique
; et, depuis lors, notre bonne ville a joui d'une organisation régulière
de transports en commun.
Mais, pendant plus de cinquante ans, les progrès furent rares
et difficiles à obtenir. Enfin, en 1912 apparut l'autobus,
et la traction mécanique se substitua définitivement
à la traction animale dans les transports en commun.
Un tarif raisonnable, basé logiquement sur le système
des sections, rendait l'autobus relativement moins cher que l'omnibus
d'autrefois. Hélas !... les Parisiens auront joui peu d'années
de cet heureux régime. Ce tarif est maintenant plus que doublé.
Et les transports en commun à Paris manquent aujourd'hui à
la condition essentielle de telles entreprises qui est d'être
à la portée de tout le monde.
Car il en est de même
pour le Métropolitain qui fit ses premiers débuts à
Paris il y a tout juste vingt ans. En cette première année
d'exploitation, le métro transporta 16 millions de voyageurs.
L'an dernier, il en a transporté plus de 550 millions ; et
sa recette globale a dépassé 85 millions.
Mais il paraît que cela n'est pas suffisant. On a augmenté
les billets d'un sou en 1919 ; on les augmente aujourd'hui de deux
en seconde et quatre en première. C'est exactement le double
des tarifs d'avant-guerre.
Les besoins de la ville de Paris - qui prélève simplement
un tiers des recettes du métro - nécessitent, dit-on,
de telles augmentations. Or, les besoins de la ville s'accroissent
d'année en année. En restera-t-on là ?
Ou ne se décidera-t-on
pas enfin à chercher des ressources nouvelles dans l'économie,
plutôt que de les prendre sans cesse dans le porte-monnaie des
Parisiens ?
Ernest Laut.
Le Petit Journal
Illustré du dimanche 25 Avril 1920
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