Recherche de trésors engloutis pendant la guerre

 

Le sauvetage des trésors engloutis

On évalue à cinquante milliards la valeur leur des navires engloutis pendant la guerre ; et les ingénieurs qui se sont spécialisés dans la question des recherches sous-marines assurent qu'il ne faut pas compter, même au prix des travaux les plus difficiles et les plus coûteux, récupérer, sur ce chiffre formidable, plus de deux milliards.
C'est donc, du fait de la barbarie allemande, une valeur de quarante-huit milliards à jamais perdue pour l'humanité.
Or, ce n'est pas d'aujourd'hui que les trésors engloutis, soit pour cause de guerre, soit pour cause de naufrage, ont suscité la convoitise humaine. Maintes expéditions ont été organisées pour les rechercher.
Que de richesses, en effet, dorment au fond des océans, à des endroits que l'on connaît, mais où la profondeur des eaux n'a pas permis à l'homme d'atteindre jusqu'ici !
Les scaphandriers revêtus des scaphandres les plus perfectionnés, ne peuvent guère descendre utilement, c'est-à-dire travailler au-dessous de 50 mètres ; et combien de vaisseaux chargés d'or ou d'objets d'art ont coulé par des fonds qui excèdent dix et quinze fois cette profondeur !
Tout le monde a ouï parler des navires de l'Armada ou des galions de Vigo. Depuis plusieurs siècles, les uns et les autres enflamment les imaginations des chercheurs de trésors.
Dans la baie de Vigo, un scaphandrier descendit autrefois et vit les fameux galions couchés sur le fond. Mais il ne put les atteindre, et les pressions qu'il avait subies pour approcher de ces carcasses de navires qui recèlent dans leurs flancs tant de lingots d'or, lui furent funestes. Il en mourut le lendemain.
Pour l'Armada, on fut plus heureux. Le galion amiral de la fameuse flotte de Philippe II, qui se nommait l'Amiral-Florence, alla sombrer sur les côtes de la Grande-Bretagne dans la baie de Tober
mory. On a fait, depuis quelques années, des recherches dans cette baie où le galion espagnol se trouve par dix-huit mètres de fond, et on a retiré des canons et deux coffres pleins d'or et d'argent.
Un scaphandrier rapporte qu'il vit, dans la mer du Nord, un navire qui portait en Hollande, vers 1808, le trésor de Napoléon. Ce navire sombra avec cent millions d'or: On parvint à en extraire 56.
Dans la mer Egée, on a fait, il y a une quinzaine d'année, des explorations sous-marines qui donnèrent quelques intéressants résultats. En 1906, le gouvernement grec conclut un traité avec des associations de scaphandriers de Livourne pour opérer le sauvetage des 70 navires de guerre coulés à Navarin par les flottes combinées, française, anglaise et russe, en 1827. En outre, d'après ce traité, les scaphandriers devaient rechercher également des galères romaines coulées entre Cérigo et Candie, tandis qu'au cours des conquêtes romaines, elles transportaient de Grèce des trésors de toutes sortes. L'emplacement occupé par ces galères avait été signalé peu de temps auparavant par un scaphandrier qui avait rapporté d'une plongée un splendide vase antique que le gouvernement acheta 400.000 francs.
Ces recherches eurent lieu avec quelque succès. A Navarin, les plongeurs retrouvèrent, par trente-six mètres de profondeur, treize des vaisseaux turcs. Près de Cerigo, ils purent extraire d'une galère romaine onze amphores en terre de forme classique, qu'un archéologue estima devoir remonter au cinquième siècle avant l'ère chrétienne.
Mais la plus belle découverte fut faite par des scaphandriers génois qui, fouillant le fond de la mer près des rivages d'Anticythère, remontèrent par fragments une statue antique qui fut reconstituée et qui représente un admirable Apollon.
Ce sont là, à peu près, les seuls succès des chercheurs de trésors au fond de la mer dans les années qui précédèrent la guerre... Et au prix de quels labeurs et de quelles dépenses furent-ils obtenus !...

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Depuis la fin des hostilités, l'espoir de récupérer au moins une partie des trésors engloutis par les pirates allemands a suscité plus d'une initiative nouvelle.
On ne saurait dire, d'ailleurs, que cet espoir soit chimérique. Comme on l'a fait observer justement, beaucoup de vaisseaux engloutis l'ont été à des profondeurs où les scaphandriers peuvent atteindre.
Un certain nombre furent coulés par des mines ; or, les mines ne peuvent être mouillées dans les grandes profondeurs ; les autres furent atteints par les torpilles des sous-marins allemands ; or, les sous-marins se tenaient rarement au large ; c'est, le plus souvent, à la sortie des grands ports qu'ils guettaient leur proie.
C'est pourquoi il est rare que les navires sombrés reposent sur des fonds dépassant ou même atteignant. cent mètres. Il en est beaucoup qui ne se trouvent pas au-dessous de cinquante mètres ; on en a même signalé un certain nombre qui, sur nos côtes de Bretagne, notamment, ne sont guère à plus de dix-huit ou vingt mètres. Au prix de quelques efforts - longs évidemment, et coûteux, sans doute - ceux-ci pourront être renfloués ; tout au moins pourra-t-on ramener au jour les objets de valeur qu'ils contiennent.
En Angleterre et en Amérique, des entreprises officielles ou privées ont été créées pour le renflouement des navires coulés et le sauvetage de leurs cargaisons.
On assure que le Salvage department anglais aurait déjà récupéré 450 navires coulés représentant, avec ce qui a pu être sauvé de leur contenu, une valeur de 750 millions de francs. Parmi ces sauvetages on cite, comme un des plus importants, celui du croiseur auxiliaire Laurentic, qui fut coulé par un sous-marin allemand, à l'entrée du Lough-Swilly, en Irlande. Le Laurentic avait une cargaison d`or évaluée à 180 millions. Après six mois de travail, on est parvenu à en retirer 80 millions.
En Amérique, une compagnie, la Suter Ocean Submarine s'est créée dans le même but. De nouveaux appareils ont été construits afin de permettre aux scaphandriers d'atteindre de plus grandes profondeurs. On annonçait récemment que l'inventeur d'un de ces appareils avait pu descendre à cent-dix mètres et rester quarante-cinq minutes sous l'eau.
Un de ces appareils nouveaux se trouvé reproduit au premier plan, dans notre curieuse page en couleurs. C'est un formidable scaphandre constitué par des tôles d'acier chromé capables de résister à des
pressions énormes.
L'appareil pèse 1.200 kilogrammes. On comprend qu'un homme enfermé dans une aussi pesante carapace est incapable d'exécuter le moindre mouvement. Même sous l'eau, malgré la diminution de la charge, il lui serait impassible d'avancer d'un pas si l'électricité ne venait à son aide.
Mais grâce à d'ingénieux mécanismes, il peut manoeuvrer ses jambes, ses bras et ses mains d'acier au bout desquelles se trouvent d'un côté une pince, de l'autre une puissante lampe électrique.
On signalait encore récemment, en Amérique, l'invention d'un « plongeur », le Cannon Ball, véritable sous-marin qui a l'aspect d'un boulet de canon et qui est occupé par deux opérateurs dont la mission consiste à attacher à l'épave engloutie les pontons d'acier qui servent au relèvement et au renflouement du navire.
On voit que les Américains et les Anglais travaillent ferme dans le but de faire rendre à la mer le plus grand nombre possible des trésors que les pirates allemands ont coulés.
Et chez nous, que fait-on ?

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 23 mai 1920