La Résurrection de la Dentelle des Flandres

 

A Bailleul et dans les environs, les dentellières revenues travaillent au milieu des ruines

Au mois de mai 1918, alors que se livrait la terrible bataille pour la possession des « monts » de Flandres, et que le canon boche détruisait la jolie petite ville flamande de Bailleul, patrie et dernier refuge de l' art de la dentelle à la main , nous évoquions ici le souvenir des temps paisibles où , dans ce charmant pays , on n' entendait d 'autre bruit que le cliquetis des fuseaux. En ce temps-là, par les jours d'été , à Bailleul, à Méteren, et dans toutes les localités environnantes, on voyait les dentellières assises au seuil des maisons, le carreau sur les genoux, et maniant d'une main agile leurs « bloquelets » .Vous connaissez les délicieux tableaux où Gerard Dow, Ver Meer, de Delft, Metsu ont peint de dentellières flamandes ou des brodeuses hollandaises. Ces tableaux-là se reproduisaient à presque toutes les portes de Bailleul, les soirs d' été. Et , dans les maisons, on entendait le bruit du métier sur lequel les hommes tissaient la toile pendant que les femmes faisaient la dentelle.
Bailleul était la dernière ville du nord où survivait l' art de la dentelle à la main, la ville où se faisait la vraie Valenciennes, depuis que Valenciennes elle-même avait renoncé aux fuseaux. Les dentellières, autrefois, y étaient très nombreuses. Mais, peu à peu, les progrès du machinisme, les perfectionnements apportés dans la fabrication des dentelles à la mécanique avaient nui à l'art de la dentelle aux fuseaux. D' autre part, les difficultés de l' apprentissage, l' attirance que le travail, mieux rétribué, des usines, exerce sur les femmes dans la région du Nord, avaient déjà éloigné beaucoup de jeunes filles d ' un métier plus fatigant qu 'on ne l 'imagine , déprimant par l ' immobilité, l ' attitude penchée qu 'il exige , et , en fin de compte , peu rémunérateur .Il y avait pourtant encore, à Bailleul, au début de la guerre, plusieurs centaines de dentellières qui maintenaient les traditions de la belle dentelle à la main. Pauvres femmes !...Chassées de leur ville, évacuées en de lointaines régions de France, reviendraient-elles jamais au pays de Flandre, reprendraient-elles jamais, au logis dévasté, le travail interrompu par la guerre ? L 'art joli de la valenciennes au fuseau ne disparaîtrait-il pas, lui aussi, avec tant de belles choses du passé vénéré ?....Eh bien, non !...Les dentellières sont revenues. Mais tout leur manquait pour reprendre leur délicat travail : plus de carreaux, plus de fuseaux !...Heureusement, de généreuses bienfaitrices sont sont venues à leur aide. Sur l' initiative de Mme Georges Lyon, femme du recteur de l' académie de Lille, un Comité de la dentelle des Flandres s' est fondé. L'école dentellière a été reconstituée. Les fillettes du pays y viennent apprendre sous la direction de quelques vieilles dentellières les secrets de la belle dentelle à la main.

Et c' est une chose infiniment touchante que la résurrection, parmi les ruines, de cet art féminin qui est une des gloires de notre pays de Flandre si artiste et si laborieux

E . L .

Le Petit Journal Illustré du dimanche20 Juin 1920