Les " Bateaux-Parisiens " vont-ils être définitivement supprimés ?
Ne reverrons-nous plus les gracieuses " hirondelles " de la Seine ?
La disparition des Bateau- Mouches
Les bateaux-mouches parisiens
sont menacés de disparition complète. Le service, interrompu
pendant la guerre, n' a pu être repris depuis la paix, en raison de
la pénurie du charbon et quelques autres difficultés qui résultent
de la vie chère. La compagnie a dû renoncer à son exploitation
et, récemment, elle a mis en vente sa flottille. Pour la modique
somme de 60.000 francs, les Parisiens désireux de s' offrir un yacht,
ont pu acquérir un de ces bateaux. Donnons un souvenir à ces
gracieuses « mouches »
au moment où elles disparaissent de
nos horizons parisien. Le « coche d 'eau » fut
l' ancêtre de ces jolis bateaux. Il mettait jadis Paris en relation
avec les villes situées en amont sur la Seine, et les aimables villages
sis en aval .
L'entreprise générale
des coches d'eau dépendait, au XVIIIe siècle, de la ferme
des diligences royales et fonctionnait avec une parfaite régularité.
La région de la haute seine communiquait avec Paris par une dizaine
de coches d'eau : ceux d' Auxerre, de Briare, de Choisy, de corbeil, de
Fontainebleau, de Melun, de Montargis, de Montereau, de Nemours, de Nogent
et de Sens. Les départs avaient une ou deux fois par semaine ou tous
les jours suivant la distance. Le coche de Fontainebleau mettait toute une
journée pour arriver à destination ; la place y coûtait
2 livres, 18 sols, 6 deniers, plus 12 sols pour aller en voiture du débarcadère
à la ville de Fontainebleau. Le coche qui faisait le plus long trajet,
était celui d' Axerre ; la place y coûtait 9 livres, 7 sols,
6 deniers. C' était relativement cher, mais on avait l' agrément
de voyager longtemps et de contempler à l' aise les bords fleuris
qu' arrose la Seine. Du côté d 'aval, les coches d 'eau n'
allaient pas bien loin ; Saint-Cloud et Sèvres étaient terme
du voyage. Et l'on y mettait le temps. Les « galiotes » pour
Sévres et Saint-Cloud, partaient à 8 heures du matin du pont
Royal. En 1735, le prix était de quatre sols pour ces deux points
extrêmes, de 2 sols 6 deniers pour Auteuil et de 2 sols seulement
pour Chaillot et Passy. En 1754, c'est plus cher : 5 sols pour Sèvres
et Saint-Cloud. En 1787, on paie jusqu ' à 7 sols ... Tout augmente
- déjà ! déjà !
Un habitant de Nancy, qui visita Paris
en 1787, raconte qu'il fit, à Saint-Cloud, une excursion en bateau
: « Le dimanche 3 juin, nous
sommes partis de Paris à huit heures du matin sur la galiote. Après
une heureuse navigation de deux heures, nous avons débarqué
au pont de Sève ( Sèvres ) . Cette galiote, que l 'on appelle
aussi coche d 'eau, n 'est autre chose qu'un grand bateau couvert, qui contient,
dans l'intérieur et sur le pont, des gens de toute sorte, car il
n 'en coûte que sept sols pour faire deux lieues ...» Au XIXe
siècle, les coches d' eau disparurent, tués par les chemins
de fer. Et les galiotes de sèvres et Saint-Cloud suivirent leur sort
.
Ce n'est qu 'en 1867, à l occasion
de ' Exposition universelle que fut rétabli sur la seine, un service
régulier de bateaux. Ces « mouches » existaient déjà
à Londres et à Lyon. On décida de les acclimater à
Paris. Une décision du ministre des Travaux publics, en date du 19
juillet 1866, rendue exécutoire par un arrête du 10 août
1866 du préfet de police, autorisait, pour une durée de 15
ans, à compter du 1er février 1867, la circulation entre le
pont Napoléon et le viaduc d' Auteuil, d'un certain nombre de bateaux
pour le transport en commun des voyageurs. Le tarif fut fixé, le
28 mai 1867, à 25 centimes par place. La population parisienne, dit
Maxime du Camp, dans son ouvrage sur Paris, adopta ces bateaux avec empressement
.Pendant la durée de l'Exposition de 1867, du 1 er Avril au 30 novembre,
ils transportèrent 2.656.940 voyageurs. Dans un seul jour, le dimanche
30 septembre 1868, ils reçurent plus de 35.000 personnes. Pendant
près d'un demi-siècle, les « Mouches » et les
« hirondelles » devenues en suite les « Bateaux Parisien
» évoluèrent gracieusement sur la Seine, de Bercy à
Auteuil et du pont Royal au pont de Sèvres. Paris eut même
son bateau au long-cours,le Touriste,qui allait jusqu' à Rouen
. Mais la guerre vint, et notre flotte d'eau douce cessa de naviguer. Voici
maintenant ses unités livrées à l'encan.
L'escadre parisienne a-t-elle disparu
pour toujours ? Espérons que nom. On assure que des projets visant
sa reconstruction sont à l'étude à l' Hôtel de
ville. Souhaitons qu 'ils ne dorment pas trop longtemps dans les dossiers
administratifs. Ce n 'est pas au moment où l' on reparle de Paris-port
de mer qu'il faut priver la Seine de ses bateaux.
Ernest Laut .
Le Petit Journal Illustré du dimanche 27 Juin 1920