Les prix des effets d'habillement en 1914 et en 1920

 

Plusieurs années déjà avant la guerre, on se lamentait sur la cherté croissante de l'existence. Les salaires ouvriers ayant augmenté dans toutes les branches de l'industrie par suite du mouvement syndical, le prix de la vie, par une conséquence toute naturelle, s'était accru en proportion.
Un savant économiste estimait, naguère, que , de 1789 à 1900, en plus d'un siècle, la vie avait simplement doublé. Or, le renchérissement de toutes choses, dans les douze ou treize premières années du XXe siècle, avait amené un résultat à peu près pareil. Au début de la guerre, toutes les choses nécessaires à la vie se payaient prés le double des prix de 1899.
Mais qu'était cela auprès de ce qui nous attendait auprès de ce que nous réservait la guerre, ou plutôt l'après-guerre !
Car c'est surtout depuis que la guerre a pris fin que les augmentations de toutes choses ont atteint des taux fantastiques.
Les économistes expliqueront ce phénomène par maintes raisons : la trop grande quantité de monnaie de papier en circulation, l'« inflation fiduciaire », pour employer le terme technique, dont le résultat aboutit fatalement à l'élévation du prix de la vie ; le mouvement des changes qui fut et qui reste: si défavorable à notre pauvre pays, victime de la finance internationale ; la crise de production, aggravée chez nous par la destruction de nos mines. de nos usines et, en général, de toutes les industries de nos départements envahis : la « vague de paresse », qui déferla sur le monde après les quatre années d' épreuves et de périls ; le trouble social causé par maintes grèves politiques ; enfin, il faut bien le dire, le mercantilisme qui se développa à la faveur de la guerre et précipita dans le commerce, l'industrie, les affaires, une foule d'intermédiaires, de profiteurs aux dents longues, d'agioteurs, d'accapareurs, de spéculateurs sans scrupules.
Toutes ces causes, agissant simultanément, ont fait monter le prix de la vie à des taux jusqu'alors inconnus et que nul n'eût osé prévoir.
Or, de toutes les augmentations, celle qui frappe les objets d'habillement fut, peut-être, la plus rapide, la plus excessive, la plus cruelle pour les classes modestes de
la société.
Al'heure où l'on commence à parler d'une baisse possible, ou l'on peut, tout au moins, entrevoir l'espérance d'un arrêt dans l'élévation des tarifs, il nous a paru intéressant de présenter, dans des tableaux, plus propres à frapper l'esprit que de simples énumérations, les différences entre les prix de 1914 et ceux de 1920, pour tout ce qui touche au costume des civils des deux sexes, à l'uniforme de l'officier, à L'habillement du prêtre.
Les chiffres moyens que nous avons établis dans ces tableaux sont ceux de la bonne confection ou du tailleur très modeste, s'il s'agissait, non pas même du grand tailleur ou du grand couturier, mais seulement du tailleur, de la couturière de quelque importance, du cordonnier, qui ne « fait » que sur mesure, du chapelier en vogue, il faudrait plus que doubler ces prix.
Ce que nous avons voulu, c'est donner la différence entre les prix minima que l'ouvrier, l'employé, le petit bourgeois devait payer en 1914, et ceux qu'il doit payer aujourd'hui pour s'habiller, se coiffer, se chausser.
De même, les prix que nous donnons, pour 1914 et pour 1920, de l'uniforme de l'officier et du costume ecclésiastique, s'appliquent au tarif minimum.
Nos lecteurs verront, en additionnant les chiffres, que, même en s'habillant au plus juste prix, les citoyens les plus modestes d'aujourd'hui doivent payer infiniment plus cher que ne payaient, avant la guerre, les clients et clientes des grands tailleurs et des grands couturiers.
Et l'on se plaignait de la vie chère en 1914 !

E. L.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 4 juillet 1920