VARIETE

Bains de mer


L'histoire de la villégiature, à la mer ne serait ni longue ni difficile à faire, car la mode en est toute moderne.
Jadis, qui donc eût songé à s'aller plonger dans l'immensité bleue ?
« Ah ! Zézu, ma cère de Grignon, écrivait en patoisant Mme de Sévigné à sa fille, Zézu, la drôle de soze que d'être zetée toute nue dans la mer !... »
C'était une drôle de chose en ce temps-là. Les voyages étaient longs, fatigants, parfois dangereux, et les gens prudents, avant de se mettre en route, ne manquaient jamais d'ordonner leurs affaires et de dresser leur testament.
Les plages fameuses d'aujourd'hui n'étaient alors que de modestes villages de pêcheurs, et là où pullulent à présent villas et casinos, on ne voyait que dunes et falaises.
On n'envoyait aux bains de mer que les personnes qui avaient été mordues par un chien enragé, ou encore les aliénés. Le bain dans l'onde amère n'était considéré que comme un remède contre l'hydrophobie et la folie.
C'est encore Mme de Sévigné qui raconte qu'en 1671, Mmes de Ladres, de Coëtlogon et de Rouvroi, filles d'honneur de la reine, furent envoyées à Dieppe pour y prendre trois bains de mer. C'était le nombre des ablutions fixé par la Faculté pour les sauvegarder de la rage. Toutes trois avaient été mordues par une petite chienne atteinte de la terrible maladie. Mme de Sévigné ne nous dit pas si elles guérirent.
Un siècle et demi plus tard, la mode des bains de mer n'existait pas encore.
Mme de Boigne, raconte dans ses « Mémoires » qu'en 1806, elle voulut aller prendre, elle aussi, quelques bains à Dieppe. « Lors de mes premiers bains, dit-elle, il v avait foule sur la grève. On demandait à mes gens si j'avais été mordue d'un chien enragé. J'excitais une extrême pitié. Il semblait qu'on me menait noyer. Un vieux monsieur vint trouver mon père pour lui représenter qu'il assumait une grande responsabilité en permettant un acte aussi téméraire... »
Cependant, l'habitude des bains de mer commençait à se répandre en Angleterre et ne tardait pas à gagner la France.
En 1822, une société se forma à Dieppe pour l'exploitation de la plage. Deux ans plus tard, la duchesse de Berry s'y rendait, accompagnée d'une cour jeune et joyeuse. Dès lors, il fut de bon ton de s'y rendre à son exemple, et ce fut pour Dieppe le commencement d'une vogue qui n'a fait que croître depuis.
La création de Trouville est plus récente. Alexandre Dumas fut l'un des premiers Parisiens qui s'y aventurèrent. Il a d'ailleurs, conté avec humour de quelle façon il en avait fait la découverte.
Venu au Havre en 1831, il se mit en quête d'un trou perdu, d'un coin de falaise où il pût s'isoler, pour écrire son drame Charles VII chez ses grands vassaux. Quelqu'un lui indique Trouville. Et voilà notre explorateur qui s'embarque sur un petit voilier, et, longeant la côte, arrive à l'embouchure de la Touques.
Le soir tombait. Le village de Trouville - quelques maisons de pêcheurs blotties sur la droite de la rivière - était devant lui, mais la mer était basse. Les matelots prirent sur leurs épaules Dumas et l'ami qui l'accompagnait et les déposèrent à terre.
Les voyageurs s'en furent chez la mère Oseraie, à l'unique auberge du village.
La mère Oseraie, qui n'avait jamais vu de Parisiens, et qui n'hébergeait en été que quelques peintres attirés là par le pittoresque de la côte, la mère Oseraie n'avait rien de l'urbanité de nos hôteliers d'aujourd'hui.
Dumas lui demande deux chambres.
La mère Oseraie se récrie :
- Vous voulez deux chambres ?
- Parfaitement !
- Eh bien ! vous les aurez, mais j'aurais mieux aimé que vous n'en prissiez qu'une.
« Je n'affirmerais pas, ajoute Dumas, qu'elle dit prissiez, mais le lecteur me pardonnera cet enjolivement. »
- Bon ! je vous vois venir, lui répond-il ; vous nous l'eussiez fait payer comme deux, et vous en eussiez eu une de plus à louer aux voyageurs.
- Justement !... Tiens, vous n'êtes pas encore trop bête pour un Parisien, vous !...
Bref, notre explorateur envoie la servante conduire son ami à la chambre qu'on lui destine, et il déclare qu'il veut encore causer avec la patronne :

- Pourquoi ça ?
- Parce que je trouve votre conversation agréable.
- Farceur !
- Et puis, je désire savoir un peu ce que vous me prendrez par jour.
- Et la nuit, ça ne compte donc pas ?
- Par jour et par nuit.
- Il y a deux prix : quand ce sont les peintres, c'est quarante sous.
- Comment, quarante sous ?...
Quarante sous, pour quoi ?
- Pour la nourriture et le logement, donc.
- Et quand ce ne sont pas les peintres ?
- Cinquante sous...
Ainsi Dumas s'en tira avec cent sous par jour pour lui et son compagnon...
Les prix ont quelque peu augmenté depuis, mais le confortable aussi, j'imagine.
Le grand conteur commença la fortune de Trouville : il y amena tous ses amis... et Dieu sait s'il en avait ! Si bien que la maison de la mère Oseraie se trouva bientôt trop petite. Alors, on se mit à percer des rues, à bâtir hôtels et villas. En dix ans l'humble village de pêcheurs était devenu une élégante ville de bains.
Et, pendant ce temps, un autre écrivain créait une autre plage : Alphonse Karr découvrait Etretat, et peu à peu, les villages se transformaient en villes ; c'étaient Saint-Valéry, le Tréport, Villers, Houlgate, Cabourg, d'autres encore.
Est-il aujourd'hui un creux de la falaise normande qui n'ait son casino ?...
Au début du second Empire, la mode des bains de mer se répandit dans les classes bourgeoises.
Dès lors, des fortunes s'échafaudèrent sur ces terrains du littoral qui naguère étaient sans la moindre valeur, et, d'année en année, la foule des baigneurs vint, de plus en plus nombreuse, apportant avec elle la richesse et la vie.

Ernest LAUT.


Le Petit Journal Illustré du dimanche 18 juillet 1920