VARIÉTÉ
DU CHARBON
Ce que nous avons
Ce que nous devrions avoir.
Dans une lettre qu'il adressait récemment au président du
Conseil, M. Pevroux, député de la Seine-Inférieure,
produisait ces chiffres, bien peu consolants pour nous:
« En tenant pour certain, écrivait-il, que les Allemands
nous livrent les 1.600.000 tonnes mensuelles promises - ce qui n'est pas
encore démontré du tout - nous n'allons avoir
annuellement à notre disposition qu'environ 50 millions de tonnes,
ce pendant que les Anglais en auront 220 millions, les Allemands 80. En
outre, et c'est là ce qui est particulièrement inquiétant,
alors que les Anglais auront leur charbon à 75 francs la tonne,
les Allemands à 80 francs, nous serons forcés de la payer
225 francs au moins...»
Ainsi non seulement nous aurons infiniment moins de charbon et nous le
paierons beaucoup plus cher que nos amis et alliés anglais ; mais,
même, tandis que nous souffrirons encore d'une pénurie et
d'une cherté qui résultent surtout des destructions opérées
dans nos régions houillères par l'ennemi, celui-ci aura,
comparativement à nous, le charbon en abondance et bon marché.
Ne trouvez-vous pas que cela révolte la conscience ? Et n'eût-il
pas été de la plus stricte équité que l'Allemagne
ne pût disposer d'une seule « gaillette » de son charbon,
avant d'avoir entièrement et gratuitement compensé le manque
de production dont nous souffrons par suite des destructions sauvages
dont elles s'est rendue coupable dans nos bassins du Nord et du Pas de-Calais
?
***
A l'inverse de ce qui se passe en Amérique, en Angleterre et en
Allemagne, notre production de charbon a toujours été inférieure
aux besoins de notre consommation.
Les Etat-Unis produisent près de 300 millions de tonnes ; l'Angleterre;
plus de 220 ; l'Allemagne près de 110 millions, alors que nous
arrivions péniblement avant la guerre à en produire un peu
plus de 40 millions.
Or, notre consommation s'élève à 63 millions de tonnes.
Nous étions donc tributaires, pour plus de 22 millions de tonnes,
des pays voisins : l'Angleterre, la Belgique et de Allemagne. Ce déficit
a été considérablement augmenté par les ruines
que la guerre a accumulées dans nos département producteurs,
et dont nous aurons à souffrir longtemps encore ; car si l'on a
pu recommencer depuis peu à extraire du charbon de notre bassin
houiller du Nord, de longs mois se passeront encore avant que la plupart
de nos mines du Pas-de-Calais, anéanties par la sauvagerie allemande,
puissent être remises en état d'exploitation.
Et quand, cela sera fait, il restera encore à faire plus et mieux.
On évalue à 60 millions de tonnes la production annuelle
du charbon en France si on mettait en valeur les gisements, inexploités.
Il en un peu partout ; il en est en Lorraine, en Dauphiné, en Bourgogne,
dans le Nivernais, dans la Creuse, dans les Alpes-Maritimes, etc. Pendant
plus de vingt ans, par l'effet d'une politique funeste, qui ne voulait
admettre l'exploitation du sous-sol qu'au profit exclusif de l'Etat, on
n'a pas accordé la moindre concession nouvelle en matière
de mines. De ce fait, notre production est restée stationnaire.
La guerre est venue encore aggraver les effets de ce malthusianisme économique.
La France, qui était déjà tributaire de l'étranger
avant 1911, se trouve aujourd'hui plus dénuée que jamais.
Or, une des conditions essentielles de l'avenir réparateur que
nous devons préparer à notre pays, c'est de faire cesser
cet état de pénurie. Comme les Américains, comme
les Anglais, comme les Allemands, comme les Belges, nous devons savoir
tirer un profit complet des richesses que la nature a accumulées
dans notre sous-sol. Notre relèvement industriel ne sera réellement
assuré que si nous savons trouver dans notre propre fonds les quelque
vingt millions de tonnes de combustible qui nous manquent.
***
Si nous en croyons notre excellent confrère Je Sais Tout,
la France, si elle se contentait de ses ressources actuelles, n'aurait
de charbon que pour deux cents ans. Encore faudrait-il améliorer
le rendement de nos exploitations minières pour atteindre à
ce résultat.
Il faut donc trouver de nouveaux gisements et les exploiter sans retard
; il faut aussi reconstituer nos forêts, si dévastées
par la guerre ; et il faut encore ne négliger aucune ressource
de combustible. Nous avons en France des tourbières nombreuses
qui ont été jusqu'à présent beaucoup trop
dédaignées. La tourbe, mieux employée dans le chauffage
domestique, permettrait de consacrer aux besoins de l'industrie la plus
large, part de notre production houillère. Notre relèvement
économique n'en serait que mieux et plus rapidement assuré.
Un jour viendra peut-être où la houille blanche et la houille
verte, c'est-à-dire l'utilisation des chutes d'eau et celle des
marées, nous donneront une force motrice suffisante pour toutes
nos industries ; un jour viendra peut-être où nous saurons
capter la chaleur solaire et la conserver pour nous chauffer l'hiver.
A la science, rien d'impossible ; et nos arrière-neveux devront
peut-être ces bienfaits aux rechercher actuelles de nos savants.
Mais en attendant le beau jour où la force et la chaleur nous viendront
de la mer ou nous tomberont du ciel, ne négligeons pas les richesses
que nous offre la terre, et sachons lui demander tout ce qu'elle peut
donner.
Ernest Laut.
Le Petit Journal Illustré du dimanche 15 août 1920