VARIÉTÉ
France et Pologne
S'il est un peuple auquel peut s'appliquer
le mot célèbre prononcé jadis par Jefferson : «
Tout homme a deux patries, la sienne et la France », c'est bien le
peuple polonais. Jamais, au cours des siècles, son amitié
pour notre pays ne s'est un seul instant démentie.
Sous le premier Empire, les Polonais furent les meilleurs et les plus fidèles
soldats de Napoléon. Leurs plus célèbres chefs : Dombrowski,
Kniaziewicz, Poniatowski mirent leur épée à son service.
En 1812, la Grande Armée ne comptait pas moins de 80 bataillons et
de 76 escadrons polonais.
Et la Pologne resta fidèle à la France vaincue comme à
la France victorieuse.
En 1814, lorsque tout fut perdu, les Polonais demeurèrent inébranlables
dans leur attachement à notre pays et eu donnèrent des preuves
éclatantes an cours de la campagne de France. A Berry-au-Bac, à
la Ville-au-Bois, les lanciers polonais mirent les Cosaques en déroute.
A Paris, ce sont des Polonais qui tirèrent des hauteurs de Montmartre,
les derniers coups de canon contre les Russes du comte de Langeron. Jamais
la France ne s'est battue sans qu'ils fussent à ses côtés.
En 1870, ils étaient à Châteaudun avec Lipowski, à
Dijon avec Bossak-Hanke.
Et l'on n'a pas oublié avec quel enthousiasme ils s'engagèrent
dans nos corps étrangers dès le début de la grande
guerre.
C'est toujours sur la France que la Pologne a compté pour recouvrer
son indépendance. En 1812, quand Napoléon, s'en allant vers
son destin tragique, s'arrêta à Varsovie, le chef de la délégation
polonaise qui le reçut, lui dit : « Depuis trois siècles,
la Pologne, dans ses malheurs, a toujours tourné les yeux vers la
France... »
Plus d'un siècle encore, elle devait tendre désespérément
vers nous ses espérances. Mais sa confiance, enfin, n'a pas été
vaine et la France ne l'a pas trompée.
***
Si l'on connaissait encore les chansons de Béranger, si l'on ne tenait
pas dans un dédain excessif et injustifié les oeuvres du chansonnier
dont nos pères savaient par coeur les vers que nous avons le tort,
nous autres, d'ignorer totalement, il est un de ces petits poèmes
que, nous aurions vu exhumer ces temps
derniers.
C'est celui qu'inspira au poète la détresse de la Pologne
et qui porte pour titre le nom du plus illustre des soldats polonais qui
servirent la France et moururent pour elle : Poniatowski.
Le comte Joseph Poniatowski, que sa bravoure fit surnommer le Bayard polonais,
avait, en 1812, amené à Napoléon une armée de
cent mille hommes. Il se conduisit, pendant la campagne de Russie, de la
façon la plus glorieuse. Pendant la retraite il fut blessé
grièvement. Guéri, il rejoignit Napoléon avec un corps
de Polonais fidèles.
A Leipzig, son héroïsme le fit nommer maréchal de France
sur le champ de bataille.
C'était le couronnement de sa gloire militaire. Mais, à ceux
qui l'en félicitaient, il répondit :
« Je suis fier seulement d'être le chef des Polonais. Quand
on a le titre unique et supérieur au maréchalat, celui de
généralissime des Polonais, tout autre ne saurait compter.
D'ailleurs, ma mort approche je vais mourir comme général
polonais, et non comme maréchal de France. »
Le pressentiment du grand soldat n'était que trop exact. Trois jours
après, chargé de protéger la retraite, et n'ayant avec
lui qu'un petit nombre de soldats, il contint les colonnes ennemies jusque
sur les bords de l'Elster. Là, pressé par des forces supérieures,
ne pouvant traverser le fleuve, dont les Français avaient détruit
les ponts, couvert de blessures, il refusa néanmoins de se rendre,
poussa son cheval dans le fleuve et essaya de le traverser à la nage.
Mais emporté par le courant, il se noya.
Son corps, retrouvé quelques jours plus tard fut inhumé à
Cracovie, près de celui de Kosciusko.
C'est cette fin, du héros polonais qui inspira à Béranger
la chanson dont nous parlons plus haut. Nos pères la chantaient avec
ferveur.
Les couplets nous en paraissent aujourd'hui bien vieillots, mais le cri
que le chansonnier met dans la bouche de Poniatowski mourant demeure impressionnant
:
« Rien qu'une main, Français, je suis sauvé ! »
Ce cri qui s'élève encore, dit le poète, alors que le guerrier a roulé au fond des eaux, qui donc le pousse ?...
C'est la Pologne et son peuple fidèle
Qui, tant de fois, a pour nous combattu.
Elle se noie au sang qui coule d'elle,
Sang qui s'épuise en gardant sa vertu.
Comme ce chef mort pour notre patrie,
Corps en lambeaux donc l'Elster retrouvé.
Au bord du gouffre un peuple entier nous crie:
« Rien qu'une main, Français, je suis sauvé ! »
* * *
Cette main, dont la Pologne a longtemps implore le secours en vain, s'est
enfin trouvée assez forte pour se tendre vers elle. La France, après
avoir, pendant la guerre, aidé l'armée polonaise à
se reconstituer, a envoyé à la Pologne des chefs qui, en lui
donnant la victoire, ont définitivement assuré son indépendance
et sa grandeur.
On sait quel fut le rôle de nos officiers dans les opérations
qui viennent de sauver la Pologne et qui garderont apparemment dans l'histoire
le nom de Bataille de Varsovie.
On sait comment le général Weygand, envoyé en Pologne
à l'instant tragique où les bolcheviks n'étaient plus
qu'à quelques lieues de la capitale, accomplit en peu de jours ce
qu'on a appelé le « miracle de la Marne polonaise ».
Avec l'aide du général Henrys, chef, depuis plus d'un an,
de la mission militaire française en Pologne, avec le concours des
généraux, d'officiers et de sous-officiers français,
il reforma l'armée, lui rendit la confiance et l'envoya à
la victoire.
Une main française, la main dont Poniatowski réclamait le
secours, a sauvé la Pologne.
Et la Pologne a marqué de façon inoubliable sa gratitude à
la France. Chaque jour nos officier sont acclamés et fêlés
dans les rues de Varsovie. Le général Weygand, avant de quitter
le pays, a été l'objet du plus impressionnant hommage qui
se puisse imaginer.
Un témoin de la manifestation organisée en l'honneur du général
français écrit :
« Ce fut merveilleux et tout à fait in descriptible quand le
général quitta le palais pour se rendre à la gare.
Le peuple de Varsovie, massé devant le palais, sur la place, dans
les rues, sur tout le parcours, agitait des bras, des mouchoirs, des chapeaux,
des casquettes, et toutes les bouches criaient : « Vive Weygand !
Vive la France ! Ne partez pas ! Ne nous quittez pas ! Vive la France !
Vive la France ! » Puis cent mille bouches entonnèrent la Marseillaise,
et des fleurs, des roses, des dahlias, des bruyères, des chrysanthèmes
étaient jetés sous les pas du général ; des
femme, des enfants s'agenouillaient devant lui... On ne décrit pas
cela. Jamais peut-être depuis que la terre existe, un être humain
n'a été l'objet d'une telle ferveur dans la reconnaissance
et l'admiration. »
Les plus précieux souvenirs historiques ont été offerts
au général ; la municipalité de la capitale, l'a acclamé
citoyen de Varsovie, et le gouvernement, par l'organe du vice-président
du Conseil l'a publiquement remercié.
L'espoir caressé depuis des siècles par les Polonais - l'espoir
de redevenir libres par le secours de la France - est enfin réalisé.
Les échos lointains nous arrivent de leur enthousiasme. On chante
la Marseillaise à Varsovie ; on porte en triomphe nos soldats.
« C'est la Pologne et son peuple fidèle », comme disait
le vieux chansonnier, c'est la Pologne qui témoigne sa reconnaissance
à la France, amie de toujours et pour toujours.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal Illustré du dimanche 12 septembre 1920