VARIÉTÉ

 

 

LE MARTYR IRLANDAIS


Chaque jour, depuis plusieurs mois, la sombre énergie des révolutionnaires irlandais emplit la chronique du récit d'incidents mystérieux ou d'épisodes dramatique. Mais parmi tous ces événements où se reflète l'indomptable volonté des sinn-feiners, voilà, certes, le plus tragique.
A la mairie de Cork, en Irlande, la police, au cours d'une perquisition, découvrit des documents établissant les rapports du conseil municipal de cette ville avec le parlement sinn-feiner.
Le lord-maire de Cork, M. Térence Mac Swiney, fut arrêté à la suite de cette découverte, et, en vertu de la nouvelle loi qui donne à l'état-major anglais en Irlande des pouvoirs illimités, traduit devant un conseil de guerre, et condamné à deux ans de prison.
Transféré à Londres, dans la prison de Bixton, le 17 août, M. Mac Swiney a refusé dès ce moment toute nourriture, déclarant protester contre cette condamnation par la grève de la faim.
En vain la famille du prisonnier, en vain les prélats d'Irlande, Mgr Mannix et deux autres évêques se sont-ils rendus auprès de lui pour essayer de le faire revenir sur sa décision, M. Mac Swiney a continué à repousser les aliments qui lui étaient présentés.
« Si je cédais, a-t-il dit, j'abandonnerais la cause irlandaise ; je préfère mourir que d'accomplir une telle action. »
Et le 23 août, au sixième jour de son jeûne volontaire, il a adressé un message au peuple irlandais.
« Préparons-nous à subir des pertes dans la dernière bataille pour la liberté irlandaise, v disait-il.. Que chaque homme offre sa vie, et l'avenir de la République irlandaise sera sauf. que Dieu soit avec nous ! »
Cependant l'état de santé du prisonnier allait s'affaiblissant de jour en jour. Le gouvernement anglais, sollicité de le mettre en liberté, s'y refusa. « Ce serait, déclara M. Lloyd George, créer un précédent déplorable. Une loi qui fait des distinctions de personnalités n'est plus une loi, et il faudrait mettre en liberté tous les Irlandais qui imiteraient le maire de Cork. Si l'en faisait une exception pour son cas particulier, l'administration et la justice du Royaume-Uni s'écrouleraient..»
Le 25 août le prisonnier, très affaibli, reçut l'extrême-onction. Les cloches des églises et des couvents environnants se mirent à sonner le glas. Des milliers de personnes assemblées sous les murs de la prison se jetèrent à genoux et chantèrent le cantique des martyrs.
La soeur du condamné télégraphia à Lucerne à M. Lloyd George qu'elle le rendrait responsable de la mort de son frère.
Le premier ministre resta inflexible.
La démence du roi fut alors implorée par les Irlandais en faveur du prisonnier. La reine fut sollicitée d'intervenir. Les amis de M. Mac Sviney Sollicitèrent de même l'appui des plus hautes personnalités politiques de l'étranger.
Le roi, fidèle observateur de la constitution, ne put accorder la grâce sans l'avis favorable des ministres : et le ministère donna pas cet avis. Ainsi, tous les arguments de sentiment et de pitié vinrent échouer devant un principe.

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Du jour où a commencé sa détention, les manifestations les plus émouvantes n'ont cessé d'agiter l'Irlande. Partout les cloches des églises tintaient, partout le peuple emplissait les sanctuaires et priait pour le martyr. Dans les rues, sur les places, les fidèles se réunissaient et soudain s'agenouillaient dans une pieuse et unanime pensée pour l'homme qui, délibérément, subissait les tortures de la faim et sacrifiait sa vie à la liberté de son pays.
A Londres même, les démonstrations en faveur du maire de Cork ont été nombreuses et pressantes. Les partisans les plus déterminés de l'unité du royaume n'ont pas échappé eux-mêmes à l'émotion générale et personne, en Angleterre, ne se méprend sur le résultat d'un tel sacrifice ; personne ne doute que la pacification de l'Irlande et sa réconciliation avec la Grande-Bretagne n'en deviennent que plus difficiles à réaliser.
C'est dans le martyre que les causes patriotiques ou religieuses trouvent les plus abondante sources d'énergie. « Ne faites pas de martyrs ! » criaient au gouvernement anglais ses meilleurs amis.
Le gouvernement a répondu : « Force doit rester à la loi ». Mais, de même qu'il est un adage latin qui dit que le droit poussé jusqu'à l'extrême peut aboutir à l'extrême injustice, de même, l'application inflexible de la loi, sans souci de l'indulgence et de la pitié, peut affaiblir les principes les plus forts.
Dans le martyre volontaire qu'un homme s'impose pour une idée, il y a des semences d'énergie qui germeront en dépit de toutes les lois et de toutes les répressions.
La force implacable excite les résistances ; seule la pitié peut les désarmer.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 19 septembre 1920