L'audace des contrebandiers n'a cessé
de croître au fur et à mesure que les progrès
accomplit des ressources nouvelles à leur activité.
Depuis un certain temps, sur quelque point de notre frontière
du nord, se reproduit chaque nuit la scène que représente
notre gravure. Et les douaniers sont sur les dents.
Car il ne faudrait pas croire, comme le bon M. Perrichon, que la fonction
du douanier consiste uniquement à visiter les bagages des voyageurs
dans les gares. Ce service sédentaire est assuré par
les heureux de la corporation qui en sont d'ailleurs l'infime minorité.
Mais il y a aussi le service actif dans les postes à la frontière
ou dans les embuscades en pleine campagne. Et
si le bon M.Perrichon voyait tout ce que les douaniers qui assurent
ce service dépensent d'énergie, d'abnégation
et de courage dans le danger, il cesserait certainement de les appeler
« méchants gabelous
».
***
Parmi ces douaniers du service actif, ceux qui demeurent au poste
ont du moins un toit et le repos du lit de camp, mais leur vigilance
doit être sans cesse en éveil, car c'est là que
se manifeste de mille façons l'inépuisable imagination
du contrebandier ; c'est là que passe la grande fraude, dans
des voitures à double fond, truquées comme un plancher
de théâtre, là aussi qu'arrive, telle une trombe,
« la voiture d'attaque ». Combien de douaniers grièvement
blessés, tués même, dans les rencontres avec ces
terribles véhicules de contrebande lancée à fond
de train sur les routes !
Quand les douaniers quittent le poste pour se rendre en embuscade,
ils laissent le plus souvent, le fusil au râtelier et se content
du revolver d'ordonnance et d'une sorte de lance armée d'un
crochet qui leur sert à saisir au passage les chiens et les
chevaux des fraudeurs. En outre, ils emportent un équipement
composé d'un cadre pliant en bois et d'un sac de peau de mouton,
dans lequel ils peuvent s'introduire jusqu'au cou. C'est sur ce lit
primitif qu'ils passent, dans l'attente, les longues heures de la
nuit.
Quiconque a habité les frontières a pu les rencontrer
souvent, à la tombé du jour, s'en allant par couples
à travers la campagne ou les bois, avec leur campement sue
le dos et leur molosse en laisse. Car, dans toutes ses expéditions,
le douanier est toujours accompagné de son fidèle collaborateur,
de son ami : son chien. Ce chien est admirablement dressé.
Couché près de son maître, il veille pendant que
celui-ci repose. Un fraudeur passe-t-il à portée de
son odorat ? Le chien l'a senti. Il n'aboie pas, mais se contente
d'avertir son maître en le poussant du bout de son museau. L'homme
s'éveille ; il est sur ses gardes ; il n'a plus qu'à
mettre la main au collet du contrebandier. Mais l'opération
ne va pas généralement sans un échange de quelques
horions. Parfois même, si les fraudeurs sont en nombre, ce sont
de véritables batailles. Et les douaniers y reçoivent
plus de coups qu'ils n'en donnent, car ils ont ordre de saisir les
délinquants sans leur faire de mal, et ils ne doivent se servir
de leurs armes que s'ils sont à bout de forces, en état
d'infériorité, déjà blessés ou
en danger de mort.
***
Mais la fraudes en automobile a multiplié
encore les risques pour les malheureux gardiens de nos frontières.
La « voiture d'attaque », aujourd'hui, est un camion blindé,
à l'épreuve des balles, muni d'un puissant moteur qui
lui permet de franchir aisément les fossés et les obstacles
semés devant lui, et garni souvent, à l'avant, de fortes
lames pareilles à celles des chars de guerre antiques, qui
coupent, comme de simples fils, les câbles de fer que les douaniers
tendent en travers de la route.
Je vous laisse à penser si les gens qui montent de tels véhicules
se soucient de l'arrêt pour la visite de la douane.
Ils passent en trombe, et la contrebande entre ainsi par tous les
points de la frontière, sans que les douaniers puissent faire
autre chose pour arrêter que de risquer inutilement leur vie.
Il en est des douaniers aux frontières comme des gendarmes
dans les campagnes, comme des agents dans les rues de Paris. Ni les
uns ni les autres ne sont outillés pour lutter utilement contre
leurs adversaires. Les progrès de la science et de la civilisation
sont toujours utilisés par les malfaiteurs avant de l'être
par les gardiens de l'ordre. Ceux-ci n'ont à opposer à
l'organisation de ceux-là que le courage, l'abnégation,
le sentiment du devoir.