VARIÉTÉ

Le nouveau Président
des États-Unis
Une élection compliquée.-
M. Warren G. Harding. - « L'Associée ». - Les sentiments
du nouveau Président pour la France,
M. Warren G. Harding est assuré
d'être, le 4. mars prochain, Président des États
Unis,
Comment, me direz-vous, ne l'est-il pas dès à présent
?
Il 1'est sans l'être, tout en l'étant. Expliquons-nous.
La procédure employée pour l'élection du Président
de la République aux États-Unis n'a rien de commun avec
le système en usage chez nous pour la nomination du premier magistrat
de l'Etat.
La Constitution américaine de 1787 stipule expressément
que le Président ne doit être nommé ni par le peuple,
ni par le Parlement. Voici donc comment les Américains s'y prennent
pour respecter cette exigence de leur constitution.
L'élection présidentielle comprend trois phases.
La première phase a pour but de désigner les candidats
à la présidence. Les électeurs se réunissent
pour nommer leurs délégués à la «
Convention » qui sera chargée de choisir le candidat de
chaque parti.
C'est ainsi que, dès le mois de juin dernier, la « Convention
» républicaine avait désigné M. Harding et
la « Convention » démocrate, M. Cox.
Alors commence la campagne électorale menées par le candidat
soutenu par toutes les forces du parti. Cette campagne est généralement,
aux États-Unis, d'un pittoresque achevé. Toutes les ressources
de la publicité américaine y sont mises en oeuvre.
Seconde phase : le peuple est appelé à voter, non pas
pour nommer le Président, mais pour nommer les « électors
» qui l'éliront.
C'est ce scrutin qui a eu lieu ces jours derniers. Chaque État
choisit un nombre d' « électors » égal au
nombre de représentants qu'il possède au Parlement. Or,
ces « élertors » reçoivent mandat impératif
d'avoir à voter pour le candidat désigné par le
parti. Et, comme l'élector du 2 novembre a donné une majorité
considérable aux «
électors » du parti républicain, on peut en conclure
que M. Warren G. harding , candidat du dit parti, sera Président
de la République des États-Unis.
Car, en fait, l'élection est acquise, et la troisième
phase n'est que de pur formalisme. Le deuxième lundi de janvier,
les « électors » se réuniront dans la capitale
de chaque Etat et expédieront leurs bulletins sous enveloppe
à Washington. Le deuxième, mercredi de février,
les enveloppes seront ouvertes devant les deux Chambres du Parlement,
munies au Capitole, et le nom du nouveau Président sera proclamé.
Enfin, le 4 mars. celui-ci s'installera définitivement à
la Maison Blanche, qui est le palais présidentiel des États-Unis.
Quand je dis qu'il s'y installera le 4 mars, ce n'est pas tout à
fait exact. A la vérité, il y viendra en compagnie de
Mme Harding quelques jours auparavant. C'est une tradition établie.
Une semaine environ avant la date officielle, le nouveau Président
et sa femme se rendent à la Maison Blanche, où le Président
sortant les accueille les deux Président et leurs familles vivent
en commun pendant quelques jours, et l'ancien met le nouveau au courant
des devoirs de la fonction, tandis que l'épouse du premier initie
celle du second aux coutumes, aux aîtres du logis et, à
toutes les particularités qui sont du ressort de Mme la Présidente.
Tout cela, vous le voyez, se passe avec une patriarcale simplicité.
Le 4 mars venu, les deux Présidents se rendent au Capitole dans
la même voiture. Au départ, le sortant est à droite,
l'entrant est à gauche ; au retour, les places changent l'entrant
prend la place de droite.
Dans la grande salle des séances du Capitole, le Président
entrant, debout en face du Chief-Justice, met la main sur une Bible
et prononce ce serment
« Je jure solennellement de remplir avec fidélité
les fonctions de président et de protéger, de garder et
de défendre, du mieux que je pourrai la Constitution des Etats-Unis.
»
Ce serment est prêté
sur une Bible neuve qui demeure la propriété du Président.
C'est même, disait naguère un de nos confrères américains,
le seul souvenir palpable qui lui reste de son passage à White
House, et du poste éminent qui lui a été confié.
***
Warren G. Harding, le Président de demain, est essentiellement
ce qu'on appelle aux États-Unis un self made man.
Il est né dans une petite ferme de l'Ohio qui appartenait à
son grand-père. Tout jeune, on le mit en apprentissage dans une
imprimerie de Marion, la ville voisine où se publiait le Marion
Star, journal de 1a localité.
Le jeune homme commença par composer
le journal, le corriger et le mettre en pages. Bientôt il se risqua
à y insérer des article qui furent appréciés.
Enfin, il en devint le directeur.
Le Marion Star est demeuré son entreprise principale.
Marion, qui n'avait qu'une population de 4.000 habitants au temps de
la jeunesse de Harding, en a aujourd'hui 30.000. La petite feuille est
devenue un journal important et influent. Son directeur se vante de
n'avoir jamais en une grève dans sa maison. Il est vrai que,
de puis une douzaine d'années, il a établi un système
d'actions de participation qui assure à tous ses collaborateurs,
ouvriers, employés et rédacteurs, leur part dans les bénéfices
de l'imprimerie et du journal. Il faut dire que Hardin a été
puissamment aidé dans sa
carrière par Mme Harding, sa femme. Celle-ci est la fille de
M. Amos Kling, riche banquier de Marion. Alors que le futur Président
n'était encore qu'un petit prote d'imprimerie, Mlle Kling avait
été impressionnée par sa mâle beauté
(Harding est un superbe gaillard de six pieds de haut) aussi bien que
par son intelligence et son activité. Elle s'éprit de
lui. : Le banquier, d'abord, refusa son consentement au mariage. Il
rêvait pour sa fille un parti plus brillant. Mlle Kling s'obstina.
Le père dut céder à la fin ; Mais il fit grise
mine au jeune ménage et lui refusa tout subside.
M. et Mme Harding durent mener pendant plusieurs années, une
existence très modeste. Ils n'en travaillèrent qu'avec
plus de courage: Mme Harding collaborait avec son mari, l'aidant à
faire le journal, le secondant à la salle le rédaction
à l'atelier. Elle l'aida de même dans sa vie politique.
Elle a été pour lui « l'associée »
dans toute la force du terme ; aussi répète-t-on volontiers,
en Amérique, qu'une grande part lui revient dans le succès
de sont époux, et que la nouvelle Présidente a bien mérité
d'entrer à la Maison Blanche.
M. Warren G. Harding a 55 ans. Sa robustesse physique, sa superbe santé
morale réjouissent les Américains qui y voient le gage
d'une présidence paisible et bien équilibrée. M.
Harding est d'ailleurs, un sporsman accompli. Il a passé la journée
des élections à jouer au golf, et, en attendant sa proclamation
définitive, il est parti dans le Texas se livrer aux plaisirs
de la pêche.
Dans les nombreux discours qu'il a prononcés durant la période
électorale, M. Harding a quelquefois parlé de la France.
Il a même, dit-on, résumé un jour ses sentiments
l'égard de notre pays d'un terme familier qui équivaut
à notre mot « béguin ».
La France aurait-il dit, j'ai un béguin « pour elle. »
Un « béguin », monsieur le Président, c'est
quelquefois par un béguin que commencent les grands attachements.
Laissez-nous espérer qu'il en sera ainsi du penchant naturel
qui vous porte à aimer notre pays, et que ce « béguin
» se transformera en une sympathie profonde et durable.
Combien nous serions heureux si vous faisiez, vôtre le mot célèbre
- si doux à tous les coeurs français - que prononça,
il y a un peu plus d'un siècle, votre illustre prédécesseur
Jefferson :
« Tout homme a deux patries,
la sienne et la France.»
Ernest Laut