VARIÉTÉ

 


La patronne des jeunes
et des vieilles filles

C'est sainte Catherine.
Si nous en croyons la légende, cette bienheureuse aurait eu, dès son tout jeune âge, un songe dans lequel Jésus lui serait apparu et lui aurait dit qu'il la voulait prendre pour épouse. L'enfant, en s'éveillant, le matin, aurait même trouvé la bague des fiançailles mystérieusement glissée à son doigt.
Voilà pourquoi Catherine resta fille. Bien que de haute naissance, belle, riche, entourée de soupirants, elle refusa de se marier, afin de demeurer fidèle au voeu de Jésus. Et c'est ainsi qu'elle devint la patronne des jeunes fille.
Mais, par quelle malicieuse déformation de la légende est-elle- devenue plutôt celle des vieilles ? Et d'où vient l'expression « coiffer sainte Catherine » qu'on applique aux filles qui ont perdu tout espoir de trouver un époux ?
Il est, en maintes provinces françaises, une vieille tradition qui veut que, lorsqu'une jeune fille se marie, celle de ses amies qu'elle choisit pour l'aider dans sa toilette, et à laquelle elle confie le soin d'arranger sa coiffure nuptiale, aura bientôt la chance de se marier à son tour. C'est l'espérance de celle qui coiffe la mariée : beaucoup de jeunes filles se laissent aller à cette innocente superstition ; elles ne manquent jamais d'assister à la toilette de celle de leurs amies qui se marie, et, surtout, elles s'efforcent de placer la première épingle dans la coiffure de la mariée. La première épingle, tout est là. La jeune fille qui a planté la première épingle est sûre de trouver à son tour un épouseux dans l'année.
Or, comme sainte Catherine est demeurée fille, vous concevez que personne n'a jamais pu l'aider dans sa toilette d'épousée. Voilà pourquoi celles qui restent pour « coiffer sainte Catherine » n'ont aucune chance de trouver un mari.
Je vous offre l'explication pour ce qu'elle vaut. Et je crois bien qu'elle ne vaut guère. Mais je voudrais offrir également une
épreuve de consolation à celles qui n'ont jamais eu l'occasion de planter la première épingle dans le bonnet d'une mariée. A celles-là - si elles veulent se marier - il reste une ressource : c'est d'aller planter leur épingle dans le nez de saint Guirec, à Plournanach.
Ce saint Guirec est un de ces bienheureux pittoresques comme il en est tant dans la vieille Armorique. Au milieu des rochers de porphyre rouge qui jonchent la grève, sa statue se dresse dans une niche que supportent quatre colonnes de granit rongées par le vent de mer. Toute l'année, mais plus particulièrement le 25 novembre (car saint Guirec passe pour être au ciel le meilleur ami de sainte Catherine), les filles qui désirent un mari viennent rendre visite à saint Guirec. Elles grimpent jusqu'à hauteur de sa figure impassible et lui enfoncent dans le nez - un vieux nez de bois vermoulu - une épingle. Si bien que l'appendice nasal du pauvre saint a constamment l'air d'une pelote.
Car les filles sont nombreuses qui viennent au sanctuaire de Ploumanach et qui, ayant piqué le nez du saint, s'en retournent avec l'espérance de trouver avant un an l'époux rêvé.
L'espoir, il est vrai, nous soulage. N'enlevons pas l'espoir aux dévotes de saint Guirec.
***
Il est des contrées de France où la fête de sainte Catherine prend des allures de réjouissance publique. En quelques vieilles cités de Flandre - c'est sans doute un ressouvenir de l'occupation espagnole - toute la nuit du 24 au 25 novembre, des groupes de jeunes gens parcourent les rues et chantent des sérénades aux jeunes filles à marier.
A Paris, nos gracieuses midinettes mettent en joie le boulevard et la rue de la Paix. On a, depuis quelques jours, préparé mystérieusement, dans les ateliers, les bonnets les plus fantaisistes. Les « Catherinettes » de vingt-cinq ans cri sont coiffées. Après quoi on les promène pour la plus grande joie des passants et des curieux.
Vingt-cinq ans !... Mimi Pinson se considère donc vieille fille à vingt-cinq ans. Avouons pourtant qu'en voyant passer ces « Catherinettes » coiffées du bonnet fatidique, nous ne pouvons nous défendre de les trouver bien jolies pour des vieilles filles.
Grisettes, cousettes, midinettes, c'est un peu de la joie et de l'esprit de Paris, c'est un peu du génie parisien qui passe. Il y a deux siècles déjà, les chroniqueurs de la capitale chantaient leur grâce
Brunes piquantes ou blondes sans fadeur, l'oeil bien ouvert, le nez bien tiré, les dents du plus bel émail du monde, qu'il faisait beau les voir dans leurs ajustements du dimanche, vêtues de zinzolin, coiffées d'un cabriolet charmant, avec un fichu de gaze, un collier de cailloux du Médoc et une pair de mitaines à jour ornées de bracelets à boucles pour les retenir aux bras.
Dans cet équipage, leurs amis les menaient aux boulevards, tout comme les grandes dames, boire du lait à la ferme de la Grange-Batedière, danser aux Porcherons, parfois meure plus loin, jusqu'à Pussy, jusqu'à Chaillot, ou bien encore tout là-haut, à Montmartre, où l'on dégustait la piquette du cru en regardant tourner les moulins.
Elles sont toujours aussi gracieuses qu'en ce temps-là. Regardez-les passer le matin, guettes et vives, lorsque, des quartiers excentriques, elles descendent vers la rue de la Paix ; écoutez-les, éveillant le boulevard par l'écho de leurs joies au jour de la Sainte-Catherine ; suivez-les, le soir quand elles rentrent au logis, à peine lasses d'une journée de travail. Elles répandent autour d'elles un parfum de jeunesse et de bonne humeur.

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Elles ont eu leurs historiographes, leurs peintres, leurs romanciers. Janin leur a consacré ses meilleures chroniques, Paul de Kock et Murger les ont peintes en leurs romans ; Gavarni, Daumier, Henri Monnier les ont célébrées par leur crayon ou leur pinceau.
Elles ont eu leur poète. Et quel poète !
Le plut; éternel des poètes : Musset.
Et ce poète a dit :

Mimi Pinson peut rester fille

Oui, Mimi Pinson peut rester fille, parce qu'elle est capable de gagner sa vie.

Elle aura toujours son aiguille
Landerirette.
Au bout du doigt.

Et voilà, pourquoi, sans doute, elle se moque si bien de ses vingt-cinq ans et s'affuble avec une aussi souriante résignation du bonnet de la Sainte-Catherine.
Mais Mimi Pinson est trop jolie pour rester fille : ce serait dommage en vérité.
Sainte Catherine, saint Guirec, nous vous en prions : donnez donc un mari à Mini Pinson !

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 21 novembre 1920