Trois fois déjà
les espérances de la Russie antibolcheviste s'étaient effondrée
lamentablement : Koltchak, Denikine, Youdenitch avaient échoué
contre les armées rouges. Wrangel se montrait plus habile ; on croyait
qu'il serait plus heureux.
Originaire d'une vieille famille militaire suédoise, le général
baron Pierre-Nicolaïévitch Wrangel comptait parmi ses aïeux
un feld-maréchal : Charles-Gaston Wrangel, qui avait combattu les
Allemands aux côtés de notre grand Turenne. C'était
là le quoi nous rendre son nom sympathique.
Au début de la guerre, en 1914, Wrangel, simple capitaine dans la
cavalerie de la garde du Tsar, s'était signalé par plusieurs
actes de bravoure téméraire qui lui firent une popularité
parmi les soldats.
On le retrouve plus tard parmi les lieutenants de Denikine, et quand celui-ci,
battu, doit quitter ses troupes, c'est Wrangel
qu'il désigne pour lui succéder et qu'il rage seul capable
de reconstituer l'armée.
Wrangel, en effet, réussit d'abord, en dépit des difficultés
Avec le noyau de 35.000 hommes et de 5.000 officiers qui subsistait, il
refit une armée. Solidement retranché en Crimée, il
s'organisa.Des volontaires vinrent à lui. Il disposa bientôt
d'une bonne cavalerie - et c'est d'ailleurs à l'héiroïsme
de cette cavalerie, qui se sacrifia pour retarder l' avance des Rouges,
que Wrangel dut de pouvoir évacuer la population de Sébastopol
et sauver les débris de son armée.
Ses premières entreprises avaient été couronnées
de succès. Son armée, d'une marche sûre, était
montée vers le nord. Elle occupait dans le bassin du Donetz, des
territoires riches en charbon, en fer, en céréales. Et déjà
Wrangel avait pu nous envoyer quelques bateaux chargés des blés
de la Russie méridionale.
A l'inverse de Denikine, qui négligeait d'organiser ses conquêtes,
Wrangel se montrait administrateur vigilant. Ses troupes ne vivaient pas
sur le pays ; elles avaient des services de ravitaillement bien organisés
; partout le général assurait l'ordre en respectant les droits
des paysans sur la terre.
Il s'avançait donc, entouré des voeux de la population russe,
excédée par la tyrannie des Rouges. De même, les voeux
de la plus grande partie de l'Europe l'accompagnaient, car il s'était
engagé à reconnaître les droits des créanciers
de la Russie et à reconstituer un pouvoir établi sur la volonté
populaire.
Mais il advint que la guerre entre la Pologne et les Bolcheviks ayant pris
fin, ceux-ci purent disposer de forces considérables. Ils les jetèrent
tout d'un bloc sur la petite armée de Wrangel. Elle en fut écrasée.
Sans munitions, sans pain, sans vêtements, les malheureux soldats
de l'ordre, résistèrent autant qu'ils purent et reculèrent
pied à pied jusqu'à Sébastopol. Là, à
bord de navires français, les débris de l'armée Wrangel
furent recueillis et transportés à Gallipoli, à Lemnos,
à Constantinople.
Aux premiers bruits de l'approche des Rouges, la population civile avait
également fui la ville. Les habitants de Sébastopol, hantés
par le souvenir des horreurs commises par les Bolcheviks dans les villes
conquises et craignant d'en subir de pareilles, étaient venus se
mettre sous la protection de la France à bord de nos navires. Près
de 90.000 personnes furent évacuées sur Constantinople ; et
toutes, disent les dépêches, « rendent hommage au dévouement
des Français qui les ont aidées à s'embarquer et qui
ont partagé leurs ressources avec elles. »
Ainsi la France, une fois de plus, a rempli là-bas son rôle
de bienfaisance et de pitié, ce rôle maternel auquel elle n'a
jamais failli, ,et qui fait qu'à travers les siècles, c'est
toujours vers elle que les peuples opprimés ont tendu les bras.
Le Petit Journal Illustré du dimanche 28 Novembre 1920