VARIÉTÉ

 

Pour la Paix Universelle

La paix universelle, c'est le rêve généreux que caressent les hommes depuis des siècles, et qu'ils caressèrent surtout dans les jours qui suivirent les guerres sanglantes par lesquelles avait été décimée l'humanité.
A l'inverse de l'adage latin qui dit : « Si tu veux la paix prépare la guerre », les philosophes pacifistes disaient généralement aux nations qui venaient de s'entr'égorger : « Si vous voulez la paix durable, unissez-vous pour la préparer. »
M. Vesnitch; aujourd'hui président du Conseil de Serbie, a naguère exhumé, au temps où il représentait son pays à Paris, le nom d'un de ces deux philosophes, le premier peut-être qui ait rêvé chez nous de paix perpétuelle entre les peuples.
C'était un avocat de Coutances, nommé Pierre Dubois. Il avait présenté à Philippe-le-Bel un long mémoire dans lequel il préconisait un congrès de la Paix pour assurer l'entente entre les nations.
Mais il faut croire que Pierre Dubois ne s'illusionnait guère sur la possibilité de réaliser ses projets, car il avait intitulé son travail : les « Rêves » d'un homme de bien.
La question, en effet, devait rester longtemps encore dans le domaine des rêves.
Cependant, elle ne laissait pas de préoccuper de temps à autre de généreux esprits. Un écrivain français, nommé Emeric Crucé, lui consacrait, au début du XVIIe siècle, tout un livre : le Nouveau Cynée.
« Tant pis, disait-il, si les guerriers m'appellent par mépris « homme de plume et d'écritoire », je propose une chose non seulement possible, mais de laquelle les anciens ont eu l'expérience. Sous l'empire d'Auguste, toutes les nations étaient pacifiées. Qui nous empêche d'espérer un bien dont les siècles passés ont joui ? Je crois qu'il n'y a rien de si facile que cette affaire, si les princes chrétiens la veulent entreprendre. Il ne faut pas dire que les propositions qui se font de la paix universelle sont chimériques... »
Par malheur, parmi les princes chrétiens, il n'y en eut qu'un seul qui entendit l'appel de l'ami de la paix. Mais celui-là en valait bien d'autres. C'était notre bon roi Henri, qui ne se contentait pas de vouloir la poule au pot pour ses sujets, mais souhaitait encore mettre désormais leurs foyers à l'abri des horreurs de la guerre.
Avec son grand ministre Sully, le Béarnais avait jeté les bases d'une grande « République chrétienne » qui devait se constituer par l'union d'une douzaine d'États d'Europe et la création d'un grand tribunal international chargé de résoudre tous les conflits entre ces États.
C'était, trois siècles auparavant, la même idée d'où devaient naître et le tribunal de La Haye et l'aréopage de Genève.
Seulement Henri IV, qui était un esprit réalisateur, avait prévu un détail auquel ses prédécesseurs n'avaient pas songé et que ses successeurs ont jusqu'à présent négligé. Il avait prévu les sanctions nécessaires contre celles des nations associées qui manqueraient à la foi jurée.
La force morale ne lui paraissait pas suffisante pour assurer le respect des verdicts rendus par le tribunal international qu'il projetait de constituer ; il voulait que les juges eussent à leur disposition une force matérielle capable d'appuyer leurs verdicts et de contraindre tout État réfractaire à s'incliner devant eux. Son pacifisme était donc, si l'on peut dire, un pacifisme armé. Il croyait qu'il n'était possible d'avoir la paix certaine et durable qu'en préparant ta guerre contre ceux qui manqueraient à la foi internationale.
Et ce n'était pas si mal raisonné.
Le poignard de Ravaillac ne laissa pas à Henri IV le temps de poursuivre la réalisation de ses projets.
Les guerres continuèrent à désoler le monde, et les rêveurs du pacifisme universel à tenter de le consoler en caressant leur douce espérance.
Saluons au passage le plus célèbre d'entre eux : le doux abbé de Saint-Pierre, dont saint Simon a dit : « Il avait de l'esprit, des lettres, des chimères. »
Des chimères ? Non ! mais une seule chimère qui occupa toute sa vie : la paix perpétuelle entre les peuples.
Le bon abbé la croyait possible par la création d'un Sénat ou tribunal arbitral européen qui réglerait toutes les difficultés entre nations sans effusion de sang.
Il rédigea maints mémoires, alla trouver les ministres. Le cardinal Fleury lui rit au nez ; le cardinal Dubois haussa les épaules et lui répondit : « Vous êtes un brave homme, mais vous n'entendez rien à la politique. » Les guerriers, comme il était advenu à son prédécesseur, Emeric Crucé, se gaussèrent de cet « homme de plume et d'écritoire » qui prétendait régler le sort des peuples sans bataille. La masse resta totalement, indifférente. Le bon abbé n'en poursuivit pas moins sa chimère. Il cultiva son idée fixe pour sa joie intime et personnelle.
Ayant exposé en un gros livre son Projet de Paix perpétuelle, il écrivait dans la préface :
« Je vais voir, du moins en idée, les hommes s'unir et s'aimer ; je vais penser à une douce et paisible société de frères, vivant dans une concorde éternelle, tous conduits par les mêmes maximes, tous heureux du bonheur commun ; et, réalisant en moi-même un tableau si touchant, l'image d'une félicité qui n'est point m'en fera goûter quelques instants une véritable. »
Le digne abbé n'était pas, vous le voyez, tout à fait dupe de sa chimère ; mais, du moins, savait-il se contenter de peu : l'illusion suffisait à le rendre heureux.
Les hommes de la Révolution étaient plus exigeants. Ils voulaient le désarmement universel et souhaitaient que la France donnât spontanément l'exemple aux autres peuples. Une proposition dans ce sens fut déposée à l'Assemblée Constituante le 15 mai 1790 par Robespierre : « La nation française, contente d'être libre, ne veut s'engager dans aucune guerre et veut vivre avec toutes les nations dans cette fraternité qu'avait commandée la nature ».
Aussitôt tous les rêveurs de l'assemblée, tous les amis de l'humanité renchérirait : il fallait licencier les troupes, briser les armes.
C'est alors que le bon sens protesta par la voix puissante de Mirabeau : « La paix perpétuelle, s'écria le grand tribun, est un rêve et un rêve dangereux s'il entraîne la France à désarmer devant une Europe en armes... » .
La motion de Robespierre fut cependant votée . Deux ans plus tard, les paroles de Mirabeau se trouvaient tragiquement confirmées. Les Prussiens de Brunswick envahissaient la France, sans souci des protestations pacifiques de ses représentants. La nation, heureusement, se levait tout entière pour repousser l'invasion. - Si le peuple plus sensé que ses députés, n'avait pas résisté à la propagande internationaliste, la France était perdue.
La généreuse chimère continua de vivre et de prospérer. Les hommes de 48 lui donnèrent un essor nouveau. Lamartine écrivit la Marseillaise de la Paix.

Et pourquoi nous haïr et mettre entre les races
Ces bornes ou ces eaux qu'abhorre l'oeil de Dieu ?...

Proudhon proclamait : « La guerre est arrivée à la fin de son oeuvre... L'humanité ne veut plus la guerre. »
Mais la guerre continuait de s'imposer à l'humanité. Et l'espérance en un avenir meilleur n'en était pas atteinte chez les poètes et les philosophes. Au lendemain de l'Année Terrible, Victor Hugo écrivait :
« Nous aurons la République européenne . Nous aurons ces grands États-Unis d'Europe qui couronneront, le vieux monde comme les États-Unis d'Amérique couronnent le nouveau...
En attendant, nous avons eu la guerre, la plus affreuse guerre que l'univers ait jamais connue. Mais de la grandeur du mal le bienfait naîtra-t-il ?
Les nations, du moins, s'essayent à la fraternité. L'union entre les peuples sera-t-elle cette fois accomplie ?
Et si elle l'est, quelle force la garantira contre les défaillances ou les trahisons .
A la première séance du Congrès de Genève, M. Viviani disait à ses collègues :
« En vérité, nous sommes une assemblée impuissante, parce qu'on nous a chargés d'une responsabilité alors qu'on ne nous a donné aucune autorité... »
C'est pourtant par là qu'il aurait fallu commencer : l'autorité, la force d'abord, les responsabilités ensuite.
Le bon roi Henri IV avait raison quand il voulait que sa « République européenne » eût une armée capable de mettre au pas les nations qui manqueraient à la foi jurée. Les peuples, hélas ! sont comme les individus : il n'est rien de tel que la crainte du gendarme pour les tenir dans le droit chemin.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 5 décembre 1920