Nos gravures
La scène que représente notre
première gravure s'est passée tout récemment en Algérie.
Un train de marchandises se rendait de Souk-Abras à Tebessa quand
il dérailla, une partie des rails ayant été enlevée
de la voie. C'est ce qu'attendait une bande de pillards arabes qui avaient
préparé ce guet-apens. Ils tirèrent des coups de fusil
et lancèrent des grenades sur le train pour se rendre maîtres
des conducteurs et piller les marchandises.
Par bonheur surgit bientôt un train de voyageurs qui mit en fuite
les bandits.
Un conducteur, un serre-frein et un gendarme ont été grièvement
blessés dans ce coup de main audacieux.
VARIÉTÉ
Les Chercheurs d'Or
Un puisatier de Gif, en Seine-et-Oise, crut, ces jours derniers, voir des
paillettes d'or dans le sable qu'il venait d'extraire d'un puits. Désillusion
! cet or n'était que du quartz. Nous n'aurons point « l'eldorado
» aux portes de Paris. Consolons-nous. Partout où, dans les
temps passés, on découvrit de l'or en abondance, cette découverte
fit monter le coût de l'existence des taux insensés. La fièvre
de l'or engendre la vie chère. Et la vie est, chez nous, bien assez
chère comme cela.
Donc, il n'y a pas d'or à Gif. Est-ce a dire qu'il n'y en ait pas
en France ?... Il y en a partout dans le monde. Mais encore faut-il qu'ici
ou là, l'or soit assez abondant pour qu'il vaille la peine d'être
extrait.
Il y en eut, parait-il, beaucoup, en Gaule, au temps jadis. Du moins, Strabon
et Pline l'Ancien l'affirment. Les mines de les région de Tarbes
étaient particulièrement riches. C'était avec le produit
de ces mines que l'on fabriquait les bijoux d'or dont se paraient les Gaulois.
Les Romains, qui n'ignoraient pas l'existence de ces richesses, en firent
une rafle générale lors de la conquête.
Beaucoup de rivières, l'Ariège et la Garonne notamment roulaient
des paillettes d'or. Et les riverains avaient, pour les recueillir, un procédé
fort simple : quand ces rivières débordaient, ils étendaient,
le long des rives, des peaux de moutons sur lesquelles les paillettes restaient
fixées quand les eaux s'étaient retirées.
La Toison d'or, vous le voyez, est aussi une légende française.
Besançon, dans des temps très anciens, avait été
surnommée Chrysopolis - ville d'or - à cause des
sables du Doubs qui roulaient le précieux métal en abondance.
Le droit, de recherche dans ces sables était encore affermé
au Moyen Âge. Et la plupart des villes du Midi avaient encore, à
cette époque, des « orpailleurs », dont ne métier
consistait à tamiser le sable des rivières pour en retirer
l'or.
Bien qu'on crût généralement, au XVe siècle,
que le meilleur moyen d'avoir de l'or était de trouver la pierre
philosophale, et qu'on le cherchât plus volontiers dans les cornues
des alchimistes que dans le sein de la terre ou dans le sable des fleuves,
le roi Louis XI avait foi dans les richesses aurifères de la France.
La preuve en est qu'il prit, en 1472, un édit pour encourager les
chercheurs. Quelques travaux furent entrepris qui restèrent à
peu près infructueux.
Il en résulta une telle indifférence peur les recherches d'or
qu'on alla jusqu'à abandonner les mines jusqu'alors exploitées.
Sous Henri III, tout le monde était persuadé qu'il n'y avait,
en France, aucune mine d'aucun métal.
Pourtant, un jour, on apporta à Heuri IV une pépite trouvée
dans une mine du Forez. Le Béarnais, émerveillé, ordonna
qu'on poursuivit les travaux. Mais les mineurs n'obtinrent que de médiocres
résultats. L'or n'apparaissait guère et l'argent manquait.
On délaissa la mine ; et ce fut, cette fois, le complet et définitif
abandon.
***
A la veille de la découverte de l'Amérique, la quantité
totale d'or et d'argent, sous toutes les formes : monnaies, objets d'art,
bijoux, etc., qui se trouvait en Europe, ne dépassait pas la valeur
d'un milliard. Ce n'était guère. Mais, si les Européens,
en ce temps-là, manquaient de métaux précieux, ils
avaient, par contre, la vie à bon marché.
Après Christophe Colomb, après la découverte du Mexique
et du Pérou - pays d'or - par Cortez et Pizarre, les choses changèrent
rapidement. De 1493 à 1560, une moyenne de 25 millions d'or par an
furent apportés du nouveau monde dans l'ancien. Le résultat
le plus clair ce fut que, dans cette période d'un peu plus de soixante
ans, le prix de la vie quadrupla pour le moins.
C'est un phénomène constant dans l'histoire économique.
Partout et en tous temps, l'afflux de la richesse - fiduciaire aussi bien
que réelle - a eu pour principal effet de faire monter le coût
de l'existence.
L'Espagne, alors, roulait sur l'or. Chaque année une douzaine de
galions de mille à douze cents tonneaux lui apportaient l'or du Mexique
et du Pérou. Le pays tout entier vivait sur cet apport de métal
précieux. On n'y travaillait plus. Le commerce, l'industrie, l'agriculture
étaient abandonnés. A quoi bon produire, puisqu'on était
riche sans effort ?... Et puis, un beau jour, l'Espagne perdit ses colonies.
Et elle se trouva, du jour au lendemain, dans une extrême misère.
Il en est des peuples comme des individus : rien ne les déprime comme
l'opulence obtenue sans travail.
Arrivons à l'époque contemporaine. En 1848, on trouve de l'or
dans les eaux du Sacramento, en Californie. Aussitôt, de vingt-cinq
lieues à la ronde, la population se précipite vers les gisements.
Trois mois après, plus de dix mille chercheurs d'or lavent fiévreusement
les sables du fleuve. On fait des gains fabuleux. Un mineur ramasse pour
cinq mille francs de métal dans un jour ; un autre amassé
en deux semaines, cent mille francs de bénéfice. Mais tout
manque aux chercheurs d'or, habitations, vivres, vêtements. L'existence
est hors de prix. On paie un chapeau 350 francs, une bouteille d'eau-de-vie
100 francs, une couverture 400 francs. Une petite boite de sardines se paie
10 francs ; un oeuf coûte 25 francs.
En quelques années, une ville de soixante mille âmes est sortie
du sol. Mais quelle population ! Quelle vie de fièvre et de meurtres
! « Aux mines, écrit un voyageur, travail excessif ; dans la
ville, orgie continuelle. Ce ne sont que rixes et assassinats. L'absinthe
et le sang coule à flots ».
***
Des bandes organisées pillent les magasins, les boutiques, et tuent
qui leur résiste. A cinq reprises, en deux ans, de 1849 à
1851, elles incendient la ville et la détruisent de fond en comble.
Ces moeurs atroces se renouvellent en Australie en 1851, au Transvaal en
1884, où l'on trouva l'or à l'endroit où s'élève
aujourd'hui. Johannesburg ; enfin, au Klondyke, où le pécheur
Georges Cormack et le trappeur Joë Ladue découvrent l'or en
1896.
C'est une histoire extraordinaire que celle ce Joë Ladue, fondateur
de Dawson City. Chasseur de castors, trafiquant en fourrures, il parcourt
pendant vingt ans le Colorado, le Wyoming, le Dakota, vivant une existence
misérable. Un beau jour, il entend dire que des Indiens ont trouvé
de l'or sur les rives du Yukon, au village de Klondyke. Il n'hésite
pas à s'y rendre, souffre la faim durant des mois se meurt de froid,
échoue pendant longtemps dans toutes ses investigations et réussit
enfin, grâce à une persévérance héroïque.
A quarante-cinq ans, il est archi-millionnaire. Mais que d'années
de recherches vaines, que de misères subies !
Bientôt, autour de la cabane qu'il a élevée de ses mains,
d'autres cabanes surgissent. Une grande ville est née dans ce pays
désolé. C'est Dawson City. Les mineurs accourent en foule
de l'Amérique du Nord et du Canada. On conte, sur la richesse des
placers, des histoires invraisemblables. Des hommes, partis les poches vides
et n'ayant pour tout bien que leur pelle et leur pioche, ont fait des gains
de 25.000 francs par jour. Et les imaginations s'enflamment, et le «
rush » américain se poursuit sans relâche. La route qui
mène à l'eldorado glacé est jonchée de cadavres,
car elle est effroyablement pénible. Combien de chercheurs sont partis,
pleins d'espoir, et n'ont pas atteint le but ! Combien d'autres, après
avoir fait fortune, n'ont pu jouir de leur opulence et sont morts sur leurs
sacs d'or, morts de froid, dans ces contrées inhospitalières
où le thermomètre, en hiver, atteint parfois 50 degrés
au-dessous de zéro. Et combien encore, comme jadis leurs devanciers
en Californie, sont tombés sous le poignard ou le revoler des bandits
qui pullulent en cet enfer doré.
***
Car telle est la vie en ces pays de l'or vie de fièvre et de lutte,
de dangers et de sacrifices. Pour un mineur qui réussit et peut jouir
de sa chance et de ses travaux, il en est mille qui succombent à
la peine.
Que le ciel préserve les pays de travail et de bon sens sommé
le nôtre de voir jamais leur existence bouleversée par de telles
des découvertes. La fièvre de l'or est destructrice de tout
sentiment humain, de toute morale, de toute honnêteté.
Si le puisatier de Gif avait vraiment trouvé de l'or, que de calamités
nous menaçaient ! 1l n'a trouvé que du quartz ; le sort en
soit loué ! Braves gens de Seine-et-Oise, ne regrettez rien ! Et
dites-vous bien que les terres qui ne contiennent point d'or ne sont pas
les moins fécondes.
Écoutez le conseil du bon fabuliste; « Remuez votre champ.
»
Creusez. fouillez, bêchez, ne laissez
nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Et vous en retirerez mieux que de l'or. C'est toujours le bonhomme qui a raison:
Le travail seul est un trésor.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal Illustré du dimanche 2 mai 1920