Les grands faits

UNE TERRIBLE EXPLOSION


Prés de la gare Saint-Lazare se trouve un bar, aux décorations égyptiennes, que connaissent bien les voyageurs qui viennent s'y réconforter entre deux trains. Il a suffi d'un brusque courant d'air activant la flamme du percolateur ou bien, dit-on aussi, de la voracité des rats rongeant une conduite de gaz pour détruire cet établissement.
L'accident s'est produit au petit jour, à 5 heures du matin. Une vingtaine de personnes, pour la plupart des voyageurs arrivés par le train de Cherbourg, se trouvaient dans le bar, quand le gérant étant allé vérifier le compteur, une explosion formidable eut lieu. Les grandes glaces de la salle volèrent en éclats, les chaises, les tables, le matériel furent projetés avec une violence inouïe, une grande flamme traversa le bar comme un éclair.
Les secours aussitôt affluèrent. On recueillit une quinzaine de blessés dont cinq assez grièvement. Les pompiers en même temps accoururent et purent arrêter bientôt l'incendie qui venait de se déclarer. Il fallut même consolider les murs par crainte d'un accident plus important.

 

Clowns et clowneries

Footit, le célèbre clown, qui vient de mourir , avait, depuis plusieurs années, abandonné la souquenille et le chapeau pointu. Il s'était fait tenancier de bar. Avec l'âge, la souplesse s'en était allée : et puis le merveilleux comique sentait bien que le temps était passé des grandes clowneries et qu'au cirque, désormais, le goût publie allait plutôt, suivant, les tendances sportives du moment , aux exercices de violence qu'aux facéties de l'humour.
Et c'est ainsi que Footit est mort loin de la piste, témoin de ses exploits et de ses succès.
C'est le plus souvent le sort de ses grands amuseurs. Ce fut celui de Chocolat le non moins célèbre partenaire de Footit qui disparut obscurément au mois de novembre 1917. Ce fut aussi celui d'un clown: réellement génial. de l'inventeur, du créateur d'un genre clownesque, du prototype, en un mot, de ce personnage inénarrable que Paris avait baptisé Gugusse.
Celui-ci appelait James Guion. Il était simple garçon de piste à l'hippodrome de l'avenue de l'Alma, quand sa maladresse native lui donna, l'idée de créer ce type de jocrisse qui devait avoir tant de succès. Gugusse, on peu de temps, devint plus célèbre que les plus brillantes étoiles du cirque.
Et puis, l'âge vint avec les infirmités Gugusse dut abandonner la piste. Il était pauvre. On le recueillit à l'hospice anglais de Levallois-Perre où il mourut en 1911. Pendant les dernières années de sa vie, il n'avait d'autre consolation que d'aller parfois, spectateur mélancolique, assister aux prouesses bouffonnes de Footit et de Chocolat.
Ah ! le destin de ces amuseurs n'est pas toujours joyeux. Après la souquenille brillante de paillettes, et haillons !
Footit n'a-t-il pas conté naguère qu'à Nantes, au cours de la tournée qu'il fit avec son cirque, il avisa tout à coup, sur un quai, parmi des débardeurs qui déchargeaient du charbon, un visage tout noir qui ne lui était pas inconnu.
Il s'approcha. Et quelle ne fut pas sa surprise de reconnaître un de ses camarades le clown Bullen qui, peu d'années, auparavant, avait eu, avec son cochon savant, les plus grands succès à I'hippodrome de Paris.
On ne sait pas ce qu'un cochon peut tenir de place dans la vie d'un clown. Celui de Bullen était mort, et le maître, inconsolable, avait quitté la piste. De misère en misère, il en était arrivé à décharger les bateaux de charbon sur les quais de Nantes. Footit lui avait proposé de le tirer de là.. Mais Bullen avait refusé.
A quoi bon ?... C'est fini pour nous désormais.
En cette même année 1911, qui vit la mort de l'infortuné Gugusse. un autre clown fameux mourut à l'hôpital. Celui-ci s'appelait Whent. Pendant des années. il avait joui d'une réputation européenne. On l'appelait communément le « roi des clowns »
Whent, qui était d'une excellente famille, avait un cirque eut l'honneur de « devant toutes les têtes couronnées d'Europe ».. Il avait ainsi acquis une grande fortune qu'il perdit bientôt dans des spéculations hasardées. Le « roi des clowns » s'était alors retiré alors à Schwerin, sa ville natale ; Il y était devenu fou. On le mit au cabanon ; et il y demeura jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Après une vie de triomphes, quelle fin !
Mais n'allez pas conclure de tout cela que les Clowns son fatalement voués à toutes les injure du sort. Il est au moins un d'entre eux qui ne connut point ce contraste de la vie brillante du cirque à la vieillesse pauvre, douloureuse et et solitaire.
Vous rappelez-vous Boum-Boum ?...
Boum-Boum, c'était Médrano, une physionomie bien parisienne, bien montmartoise surtout, ; un brave homme qui allait, dans les hôpitaux, amuser les petits enfants malades ; un homme brave qui, dans sa jeunesse, sous Garibaldi, s'était couvert de gloire à Mentana.
Boum-Bomn, après une brillante et fructueuse carrière, mourut entouré de sympathies, dans son joli cirque du boulevard Rochechouart. Il a comme un bon bourgeois, au cimetière Montmartre, son tombeau cossu où ses admirateurs et ses anis vont porter des fleurs.
Ah ! pourquoi ces clowns charmants, qui firent la joie de notre enfance, ont-ils si rarement des pages heureuses au livre du destin ?

Ernest LAUT.

 

Le Petit Journal Illustré du dimanche 11 Septembre 1921