A la veille de l'expiation. Ce qui se passe.


0n a vu, dans les journaux quotidiens, que Landru a conservé jusqu'à la dernière minute son sang-froid étrange et mystérieux. Nul aveu n'est sorti de ses lèvres. Aucun signe même n'a pu révéler le drame intérieur qui se jouait en lui.
Car ce drame s'est joué. Il n'en peut pas être autrement. Et c'est ce drame, précisément, que notre dessinateur a voulu suggérer dans notre grande page en couleurs.
A quoi songeait Landru, seul dans la cellule de la prison de Versailles, à la veille du châtiment suprême? Cherchait-il, une dernière fois, parmi les dossiers du procès, quelque moyen juridique de reculer l'heure fatale ou bien, par un retour inattendu, sur son passé, évoquait-il le souvenir de quelqu'une de ses trop nombreuses victimes? Sur ceci, comme sur le reste, l'obscurité reste aussi entière. Il ne servirait à rien de chercher de nouvelles explications. Justice est faite. Maintenant que cet homme est mort, oublions-le, et que surtout son nom cesse d'être un sujet de plaisanterie de mauvais goût !

 

La semaine
Les vertus du Carême. - Un escroc de génie. - Prestige du titre et du galon.
Nous voici donc plongés dans les austérités du carême. A la vérité, le carême n'est austère que pour qui le veut bien, et nous ne risquons plus, quand nous mangeons de la viande en temps prohibé, de nous voir attacher au pilori des Halles avec une fressure de veau autour du cou.
Nous sommes plus libres que nos pires dans le choix de notre alimentation, mais il faut dire aussi que nous sommes plus raisonnables qu'eux. Les Français d'autrefois avaient un amour immodéré de la viande ; ils mangeaient peu de poisson, et pour cause : l'insuffisance des moyen de transport ne permettant guère à la marée d'arriver fraîche dans les villes éloignées de la mer.
Quant aux légumes, ils avaient peu de place dans l'alimentation d'autrefois. Il en est un bon nombre que nous consommons régulièrement aujourd'hui, et que nos pères ne connaissaient pas. Ceux qu'ils connaissaient étaient rares et peu estimés. On les servait quelquefois à la fin des repas, à l' « yssue », mais on ne les mélangeait pas aux viandes comme nous le faisons aujourd'hui. On mangeait généralement les viandes seules, avec des sauces, avec des épices, beaucoup d'épices, et quand on avait consommé force bœuf, veau, mouton, force volailles et venaison sous la forme ordinaire, on en reconsommait sous la forme de pâtés. Car nos aïeux avaient le génie du pâté.
On conçoit qu'avec une telle alimentation, les jours de jeûne et d'abstinence étaient nécessaires au repos de l'estomac et de l'intestin. Autrement, je vous laisse à penser avec quelle fureur eussent sévi les gastrites, les dyspepsies et les entérites.
Or, ces aïeux ne semblent guère avoir souffert exagérément de ces maladies qui affectent aujourd'hui tant d'appareils digestifs.
C'est, apparemment, que d'abord, leur alimentation pour abondante qu'elle fût était de qualité meilleure que la nôtre. Ils mangeaient des choses saines et honnêtement fabriquées, la chimie n'étant point encore devenue l'auxiliaire de la cuisine. Et c'est qu'en outre ils étaient obligés d'imploser de temps à autre à leur estomac un repos nécessaire et bien gagné.
Ces lois d'abstinence avaient l'approbation des médecins et même celle des philosophes. Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Diderot, qui ne sont point suspects de respect pour les lois de considéraient le carême comme une abstinence sanitaire. La Révolution elle-même, ayant aboli la religion, décréta un carême civique.
Nous avons, sur nos ancêtres, l'avantage de savoir nous faire des lois à nous-mêmes. Imposons-nous de temps en temps celle d'abstinence. Notre santé y gagnera.

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Cet Espagnol qui, en six mois, est arrivé à voler près quatre millions, efface tous les escrocs de la légende et de l'histoire. Le fameux « capitaine de Kripenik », qui eut naguère tant de succès. se contenta de prendre trois galons :
celui-ci était officier supérieur des armées de terre ou de mer. tantôt évêque, tantôt ambassadeur tantôt même souverain, car il parvint un jour à se faire passer pour Alphonse XIII.
Les escrocs, psychologues avisés, pour la plupart, exploitent volontiers la confiance aveugle que les hommes. de quelque pays qu'ils soient, éprouvent devant le titre ou le galon. Nous avons vu naguère un faux commissaire de police, ceinturé de tricolore, pénétrer dans un tripot et rafler les enjeux : personne n'osa seulement le prier d'exhiber son mandat. Nous vous avons vu cet autre coquin, qui se disait administrateur principal des colonies et se promenait avec un magnifique costume tout brodé d'or, escroquer tout un département, mettre dedans campagnards et citadins, commerçants et fonctionnaires. et jusqu'aux conseillers - généraux, jusqu'aux curés, jusqu'au colonel du régiment.
A défaut du galon, la fonction officielle : vous rappelez-vous cet ingénieux filou qui mit en coupe réglée les châtelains de toute une région de l'Ouest, auxquels il se présentait comme
« ingénieur de l'État, vérificateur des paratonnerres »
Ne rions pas trop de ceux qui se laissent prendre inconsidérément au prestige du titre, de l'uniforme, voire de la simple casquette galonnée : c'est une vieille faiblesse humaine à laquelle on n'est jamais sûr de ne pas succomber.
Et les escrocs le savent si bien !

Ernest LAUT.

Le Petit Journal illustré du dimanche 5 mars 1922