Mariage Princier
Nous n'avons pas été, en France,
sans marquer quelque étonnement de voir le roi d'Angleterre accorder
la main de sa fille à un très noble personnage Mais n'ayant
pas de sang royal dans les veines. Les Anglais eux, n'en éprouvèrent
point de surprise.
Très épris de la tradition, ils savent, en effet, que le cas
s'est produit bien des fois dans l'histoire de leur pays. En 1325, le roi
Henri III maria sa Soeur à l'un de ses favoris, le comte de Leicester.
Édouard III, en 1359, donna sa plus jeune fille au comte de Pembroke.
Plus tard, les mariages de ce genre furent nombreux. Enfin, dans ces dernières
années, on pût signaler la princesse Louise, soeur cadette
du roi George, épousant le duc de Fife et., plus récemment
encore la princesse Patricia , nièce du roi, épousant le commandant
de vaisseau Alexandre Ramsay.
Bien plus, de telles unions plaisent infiniment au peuple anglais. Talles
répondent au sentiment national ; celui-ci se sent doublement flatté
dans son orgueil légitime de race et dans son goût sentimental
pour les mariages d'amour.
Au reste, il ne faut, pas croire que le vicomte Lascelles, époux
de la princesse Mary, soit de mince lignée. Sa famille vaut, comme
ancienneté, celle des souverains, puisqu'il descend d'une façon
très authentiques d'un des compagnons de Guillaume le Conquérant.
II est curieux de remarquer il, ce propos que, parmi les cadeaux offerts
à la jeune princesse par la famille du vicomte Lascelles se trouvent
des bijoux qui, depuis plus de deux siècles, ont toujours appartenu
à la maison du lord et sont connus sous le nom de « pierres
du bonheur », Une prédiction ancienne assurait que ces bijoux
seraient portés un jour par la fille d'un roi. La prédiction
s'est réalisée.
Voilà qui ravira l'âme quelque peu superstitieuse des Anglais
! De même se réjouiront-ils d'apprendre qu'au cours de la cérémonie
nuptiale, la princesse Mary. s'est servie d'un livre de prières,
provenant des Hamilton, et qui passe, d'après une vieille tradition,
pour assurer le bonheur de ceux qui le portent le jour de leur mariage.
Enfin, parmi les usages particuliers à l'Angleterre, il convient
de signaler la coutume du gâteau de noces. Ce gâteau doit être
coupé, après le repas, par les jeune, mariés et les
tranches distribuées par eux-mêmes aux invités. Le gâteau
de la princesse Mary lui fut offert par la corporation des maîtres
boulangers, cuisiniers et confiseurs. On se doute bien qu'il fut de Taille
gigantesque. Il pesait en effet 155 kilos, sans la crème glacée
dont il était recouvert. Jamais, dit-on, même eu Angleterre,
ou n'avait vu un si imposant chef-d'oeuvre.
Mais tout ceci, c'est ce que la foule ne vit pas. Elle se pressa, par contre
, pour admirer les splendeur extérieures de la cérémonie.
les acclamations enthousiastes accueillirent la princesse Mary quand elle
arriva en compagnie de son père. des acclamations peut-être
plus vives encore la saluèrent quand elle sortit de l'église
avec le vicomte Lascelles, mais l'émotion populaire fut à
son comble quand la jeune princesse, passant devant le cénotaphe
élevé aux morts de la guerre, fit arrêter sa voiture
et Chargea un sous-officier de la garde de déposer au pied du monument
un splendide bouquet d'oeillets blancs et de lis, Nul geste ne pouvait toucher
davantage le cœur du peuple.
Claude Fancueil
La Semaine
C'est la « Semaine du vin ». - Comment on devrait célébrer les crus de France. - Un cortège à la gloire du « pinard ».
Cette semaine qui s'ouvre est la semaine
du vin. Des oenophies, des oenologues, des économistes éminents
et aussi, j'aime à le croire. quelques viticulteurs, vont discuter
sur la culture de ta vigne, la fabrication du vin, sa vente, sa diffusion
en France et à l'étranger.
Ce sont là des sujets bien dignes d'intéresser non pas seulement
les propriétaires de vignobles et les marchands de vins, mais encore
la géneralité des Français. La campagne des buveurs
d'eau d'Amérique a gagné l'Europe. Recemment. On signalait
ses manifestations en Angleterre. Or, tout le monde sait que l'Angleterre
a été de temps une des meilleures clientes de la France pour
les vins, et, en particulier, pour les vins de Bordeaux. Au temps où
Paris dédaignait encore les crus du Bordelais, les Anglais les appréciaient
déjà. Dès le Moyen-Ages les meilleurs vins de Guyenne
passaient en Angleterre où on les vendait sur les marchés
de Bristol et de Londres.
Depuis lors, nos voisins ont continué à aimer 1e « Claret
» qui vient de France. J'aime à croire que les violentes campagnes
de tempérance excessive que les buveurs d'eau d'Amérique font
déferler depuis quelque temps sur leur île ne suffiront pas
à les en dégoûter. Mais quelques précautions
sont tout de même bonnes à prendre. Les chambres de commerce
des régions viticoles et les chambres de commerce Française
en Angleterre s'entendront certainement pour cela : il est à souhaiter
qu'elles ne négligent rien, les unes et les autres, pour préserver
nos voisins contre le funeste exemple qui leur vient d'Amérique.
Nous ne rétablirons l'équilibre économique en notre
pays qu'en maintenant et en développant nos exportations. Or, le
vin est, de tous nos producteurs, le seul qui n'ait pas de concurrent sur
les marchés de l'étranger.
Ce n'est pas le moment de l'en laisser chasser
On parlera donc du vin cette semaine. J'aimerais qu'on fit autre chose que
d'en parler. Il faudrait le célébrer autrement que par des
discours.
Vous rappelez-vous ces fameuses fêtes des vignerons qui se tenaient
autrefois en Suisse, dans la petite ville de Vevey ? C'étaient de
superbes cortèges qui attiraient de toutes parts les curieux. En
1905 la dernière fois que se déroula ces pittoresque réjouissances
populaires, plus de quatre-vingt mille étrangers accoururent dans
la petite ville du lac du Léman.
Bordeaux, si j'ai bon souvenir,suivit l'exemple il y a une quinzaine d'années.
Une magnifique cavalcade y fut organisée à la gloire du vin.
Pourquoi ne reprendrait-on pas ces traditions? De telles fêtes attireraient
l'étranger et feraient a nos vignobles une utile publicité.
Elles symboliseraient l'hommage du pays au vin, inspirateur de son esprit,
élément de sa richesse.
Quand on considère nos cavalcades de Mi-Caèrme. son dénuées
d'intérêt, si vides de sens, comme on souhaiterait les voir
consacrer à quelque grande et belle idée comme celle de la
glorification des crus de France. Et ne croyez-vous pas qu'après
sept jours de palabres sur la culture de la vigne et le commerce du pinard,
une manifestation populaire eût été bien accueillie
?
Quel merveilleux cortège on eût fait avec l'histoire de nos
vins français !
A ce propos, ne serait-il pas souhaitable de voir renaître chez nous
le goût de ces cortèges historiques que nos pères avaient
porté si haut? L'amour du pittoresque, le plaisir de revivre en imagination
dans le passé, sont des sentiments innés dans nos coeurs de
Latins ou de Gallo-Romains. C'est par là que s'explique le succès
sans cesse renaissant des romans et des drames historiques. Tout Français
a dans le coeur un brin de panache qui frissonne au souffle évocateur
des heures glorieuse, d'autrefois.
Nos pères avaient une prédilection particulière pour
ce genre de divertissement. Ils y déployaient toutes les ressources
de leur imagination fastueuse. A toutes occasions, ils organisaient des
cortèges par la ville, et plus particulièrement aux joyeuses
entrées de souverains.
Ces jours-la, la rue Saint-Denis, les Halles, le Chàtelet formaient
la voie triomphale ; et, tout au long, ce n'étaient qu'échafaudages
décorés de tapisseries précieuses, arcs de triomphe
où s'entassaient des merveilles.
Ces cavalcades historiques constituaient des spectacles qu'on devrait faire
revivre et encourager dans toutes nos villes. L'organisation de tels cortèges
met, en effet, à contribution toutes les bonnes volontés,
toutes les initiatives de la cité. Pour arriver au résultat
final, une entente parfaite est nécessaire ; l'artiste et l'artisan
se donnent la main ; le riche et le pauvre apportent également leur
concours.
Par l'effort unanime qu'exigerait leur réussite, les diverses classes
de la société se trouveraient rapprochées dans un élan
commun. Il en naîtrait des sympathies, un esprit d'entente et de solidarité.
Et puis, des cavalcades de ce genre, ce sont des livres d'histoire en action.
des livres d'histoire dont l'illustration est vivante, pittoresque, colorée.
Cela frappe l'imagination du peuple infiniment mieux et plus profondément
que les lectures : et n'y eût-il que cet argument-là en faveur
des cortèges historiques, que ce serait assez pour les rendre sympathiques
à tous c'est le moyen le meilleur et le plus sûr, le moyen
infaillible d'instruire en amusant.
Ernest LAUT.
Le Petit Journal Illustré du dimanche 12 mars 1922