Les grands faits

La démolition du tunnel des Batignolles grâce à des procédés modernes.


Depuis longtemps, la suppression du tunnel des Batignolles est prévue. Ce serait une chose déjà faite, sans la guerre. Mais la catastrophe du mois d'octobre 1921 a fait reprendre aussitôt les projets. Actuellement, l'oeuvre est en voie d'exécution et son achèvement ne tardera plus.
Les difficultés, on s'en doute, sont considérables. En effet, le tunnel mesure 310 mètres de long sur 39 mètres de largeur. Il supporte le boulevard des Batignolles, une ligne de métro et, avant qu'ils ne fussent rasés, un grand nombre d'immeubles. L'expropriation et la démolition de ceux-ci ont déjà coûté 5 millions. La surface totale à déblayer mesure 12.000 mètres carrés.
Mais ceci n'est rien encore. Pour mettre les voies à ciel ouvert, il faut creuser la terre sur une profondeur de douze mètres environ et les déblais à enlever représentent 200.000 mètres cubes. Les procédés employés jusqu'à ce jour, bien entendu, auraient été trop lents. Pour hâter les travaux, on a fait appel à un excavateur d'un genre nouveau. C'est une formidable machine qui creuse la terre de ses dents d'acier, l'enlève comme en se jouant et la verse dans les camions automobiles qui la transportent aussitôt hors du chantier.
Quand cette démolition sera achevée, un grand danger sera écarté et le service de l'exploitation de la gare Saint-Lazare disposera, au lieu de 8 voies d'accès, de 12 voies d'abord et, plus tard, de 14. Ainsi pourront être évités désormais certains embouteillements préjudiciables au trafic et qui, parfois, mettaient à l'épreuve la patience des voyageurs immobilisés à quelques centaines de mètres de leur but.

La semaine

L'eau à Paris. - Pénurie à tous les étages. - Bière de France et Bière d'Allemagne.

Premières chaleurs, premiers déboires pour les Parisiens qui ont failli manquer d'eau... I1 fallait entendre les malédictions !...
C'est chaque année la même histoire. Que quelques jours de soleil, voilà les réservoirs taris et Paris se plaint.
Savez-vous qu'il y a à peine trente ans que Paris a commencé à avoir de l'eau potable à discrétion. Auparavant, il fallait avoir recours au « porteur d'eau », qui avait emplir son tonneau aux « fontaines marchandes » , et montait l'eau à tous les étages, moyennant 0,10 la voie de 15 litres, soit o.65 le mètre cube. L'eau coûtait donc une vingtaine de fois plus cher qu'actuellement.
L'établissement de fontaines dans les cours des maisons. puis ensuite l'alimentation en eau de chaque étage tuèrent la profession de porteur d'eau. A partir de 1883, les Parisiens eurent à leur disposition environ 200 litres par tête et par jour. Ils en ont, aujourd'hui, près de 300.
Il est vrai que Paris n'en est plus réduit. comme autrefois, aux seule ressources de la Seine. Plusieurs rivières ont été captées pour son usage. Les eaux de la Dhuis, de la Vanne, de Avre, du Loing, du Lunain lui sont amenées par quatre aqueducs qui les déversent dans des réservoirs de Saint-Cloud, de Menilmontant et de Montsouris. Ce dernier est le plus considérable il occupe une superficie de près de quatre hectares et se compose de deux étages de bassins superposés et soutenus chacun par 900 piliers.
Eh bien, malgré cela, malgré la quantité considérable d'eau de source mise à la disposition des Parisiens, tous les ans, à l'époque des grandes chaleurs, Paris manque d'eau, et l'on est forcé de recourir aux ondes plus ou moins pures de la Seine ou de la Marne pour alimenter la capitale.
C'est alors que le service des eaux publie son invitation classique aux Parisiens : « Faites bouillir votre eau... »
Les Parisiens comprennent ce que cela veut dire, et ils ne sont pas contents.
Paris boit-il donc, aux temps chauds, tant d'eau que cela?
Eh! non ! Paris, comme tout le monde, boit de la bière.
La tisane d'orge et de houblon est devenue la boisson d'été par excellence. La guerre, qui a entraîné tant de conséquences désastreuses, a eu, pourtant, quelques résultats heureux : entre autres celui de nous débarrasser des bières salicylées d'Allemagne.
A la vérité, l'importation chez nous des bières d'outre-Rhin avait déjà diminué chez moment où la bière allemande atteignait sa plus grande faveur, nos voisins nous en vendaient plus de 300.000 hectolitres par an. Dix ans plus tard, le chiffre avait baissé de plus des deux tiers. A la veille de la guerre; il était devenu presque insignifiant. Sur vingt litres de bière que l'on buvait chez nous, il y en avait à peine un de bière allemande.
C'est que l'industrie de la brasserie s'était déjà considérablement développés, et qu'on faisait en France d'excellente bière, même dans les régions où cette boisson était jadis à peu près inconnue.
Nous eûmes pourtant naguère le snobisme de la bière allemande, comme nous eûmes celui de la musique allemande. Ces deux snobismes étaient d'ailleurs savamment entretenus chez nous par une ardente publicité.
A l'époque où l'on ne jurait, à Paris, que par les vertus de la bière allemande, il y avait, sur les boulevards, un café dont le propriétaire avait eu l'imprudent courage d'annoncer, par une large pancarte apposée sur sa façade, qu'on ne buvait chez lui que de la bière française.
A son grand étonnement, le cafetier avait vu bientôt sa maison se vider. Le passant n'entrait plus, et la vieille clientèle, sans l'abandonner encore, accablait le patron d'observations :
« Pourquoi vous obstiner à nous donner votre bière, qui n'est pas mauvaise sans doute mais qui, tout de même, est loin de valoir celle de Munich?.. vos clients s'en vont peu à peu. Vous resterez seul, un de ces jours, pour boire votre bière française...»
Le cafetier tint bon assez longtemps, mais il comprit, à la fin, qu'en s'obstinant, il allait à la ruine. Un matin, il décrocha son écriteau, et, le jour même, il dit à ses clients « Messieurs, comme je tiens avant tout à vous satisfaire, je me rends à vos observations. Je viens de traiter avec la meilleure brasserie de Munich et, à partir d'aujourd'hui, je ne vous servirai plus que de la bière allemande.
- Bravo ! firent les clients en choeur.
Des affiches annonçant la bière de Munich remplacèrent les anciennes ; et, tout aussitôt, la maison vit augmenter dans une proportion considérable le chiffre de ses affaires.
Or, le patron n'avait nullement changé son fournisseur ; il continuait à vendre la même bière française ; seulement, pour donner satisfaction à la manie de ses clients, il la baptisait bière de Munich.

Ernest LAUT.

 

Le Petit Journal Illustré du dimanche 11 juin 1922