Les grands faits

L'Arbre merveilleux de Noël


Dans la tiédeur de la maison, les enfants font danser leur jeune joie autour de arbre de Noël et les mères, ravies, regardent brûler au bout des sombres branches les bougies multicolores parmi les jouets. Mais, qui pense, en cette heureuse nuit, au rude bûcheron qui est allé, pour le plaisir des petits, couper au flanc des montagnes le sapin étoilé de givre ?

 

La Semaine
Mets de Réveillon. - L'oie et la dinde.-Une fortune dans une fleur.
Que de dindes innocentes, que d'oies blanches, que de jeunes gorets au printemps de leur vie vont être sacrifiés cette semaine pour satisfaire aux instincts de la bâfre humaine ! Cependant la dinde est hors de prix, l'oie est chère et la charcuterie ne le cède nullement à la boucherie quant à la hausse des prix. Mais la force des traditions nargue la vie chère ; et rien n'empêchera les réveillonneurs de manger de la dinde, de l'oie ou du cochon, suivant leur goût ; et même d'engloutir leur douzaine d'huitres en dépit du prix prohibitif qu'atteignent aujourd'hui ces mollusques.
Si la dinde est une des dernières volailles entrées dans la consommation, l'oie, par contre, est peut-être la première. Les Romains l'honoraient pour le service qu'elle leur avait rendu en sauvant le Capitole, mais ça ne les empêchait pas de la manger. Ils en faisaient même une consommation considérable. Pline assure qu'après la conquête des Gaules, la plupart des fermes du pays conquis, même celles de la Gaule Belgique, élevaient des oies pour les tables des vainqueurs. Quand les bêtes étaient grasses à souhait, on les réunissait en d'immenses troupeaux et on les menait à Rome... à pattes... Quel voyage !...
Les Romains connaissaient fort bien déjà l'art d'engraisser l'oie et de préparer son foie pour la plus grande joie des gourmets. Ils appréciaient également la valeur de la graisse d'oie en thérapeutique. On en faisait des pommades qui guérissaient toutes sortes de maux, effaçaient les rides et rendaient aux poitrines des dames romaines aspect marmoréen.
La tradition romaine a subsisté chez nous - et plus encore peut-être en Angleterre et en Allemagne . Pendant la semaine qui précède Noël, cent à cent-cinquante mille oies en moyenne traversent le détroit. Ce sont, en général, des oies de petite taille. Le département de la Sarthe en est le principal exportateur.
Mais le grand consommateur d'oies à Noël, c'est l'Allemand. Avant la guerre, dans la seule ville de Berlin et dans la seule nuit de Noël, on dévorait plus de 400.000 oies. Ces volatiles venaient de Russie et plus particulièrement de la région d'Odessa. On les amenait en cette ville de Friedrichsfeld, dont le nom évoque chez les Français des pays envahis tant de douloureux souvenirs, car là furent internés par milliers les prisonniers civils arrachés à leurs foyers.
Friedrichsfeld, naguère, était le grand marché des oies. Pendant les huit jours qui précédaient Noël, les volatiles y arrivaient par trains spéciaux à raison de plusieurs trains par jour et de trente à quarante mille oies par train. Je vous laisse à imaginer l'aspect de la ville et l'effroyable cacophonie qui s'élevait quand retentissaient les « coin-coin » de ces oies innombrables.
La dinde est le mets de Noël des Anglais. Il n'y a guère que trois-cent-cinquante ans qu'on la connaît en Europe. Jusqu'à la fin du XVIe siècle, c'étaient le paon et 1e faisan qui figuraient comme volailles de résistance dans les festins d'apparat de Noël et du jour de l'An. La dinde apparut pour la première fois sur la table royale au mariage de Charles IX et d'Élisabeth d'Autriche. On l'appelait alors poule d'Inde, parce que c'était aux Indes occidentales que les navigateurs espagnols avaient découvert ce volatile.
L'Espagne, depuis lors, en faisait l'élevage. Or, comme la jeune reine Elisabeth avait jugé le mets savoureux, Charles IX ordonna qu'on allât quérir quelques couples de ces dindons tralos montes. Ils furent apportés dans une ferme royale aux environs de Bourges et s'y acclimatèrent fort bien.
Réveillonneurs, mes amis, vous doutiez-vous que si Christophe Colomb n'avait pas découvert l'Amérique, vous ne mangeriez pas de dinde la nuit de Noël.

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On vient de payer à Londres un pied d'orchidées 2.3oo livres sterling, ce qui, au cours du jour, ne va pas loin de deux cent mille francs... Une fortune dans une fleur.
Au temps de l'agiotage des tulipes, on vit de pareilles folies. Mais la folie moderne des orchidées laisse loin derrière elle celle des tulipes.
Je crois bien que l'oignon de tulipe vendu le plus cher jusqu'à présent est un oignon de la variété dénommée la Victoire, qui monta à 65.ooo francs. C'est une jolie somme pour un oignon. Mais l'orchidée monte plus haut.
Et la chose s'explique par la difficulté qu'ont les amateurs de se procurer cette fleur fantastique. Sait-on qu'il y a des « chasseurs d'orchidées » qui risquent leur vie tout aussi bien que les chasseurs de grands fauves ? Ces fleurs ne croissent que dans les régions les plus malsaines du globe. On les trouve dans les forêts vierges des pays tropicaux. La chaleur humide des marécages est seule favorable à leur éclosion et à leur développement. Pour les découvrir, les chasseurs sont obligés de braver la morsure des serpents, la piqûre venimeuse des moustiques. Combien d'entre eux ont succombé au cours de ces dangereuses campagnes.
Quand on chasse l'orchidée, il faut être prêt à tous les sacrifices. Jugez-en plutôt par la mésaventure qui advint à l'un de ces chasseurs, un Français du nom de Hamelin.
C'était à Madagascar, quelque temps agrès la conquête française. Hamelin s'était lancé à la recherche des orchidées, dans les forêts du centre de l'île, parmi des populations encore sauvages. Heureusement, un prince du pays, qui s'était pris d'amitié pour lui, l'accompagnait. C'était sa sauvegarde. Mais ce prince mourut au cours de la campagne. Hamelin, tenu pour responsable de sa mort, dut subir la loi en usage dans la tribu ou bien être brûlé vif, ou bien épouser la veuve du défunt... Comme de deux maux il faut choisir le moindre. Hamelin épousa.
Mais étonnez-vous après cela que les orchidées coûtent si cher.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 23 décembre 1923