Les grands faits

Le premier acte dans les neiges

C'est en quelque sorte le prélude des Jeux Olympiques que ce concours des sports d'hiver qui s'est ouvert à Chamonix.
Comme pour les grandes épreuves qui seront disputées à Paris cette année, les meilleurs représentants du monde entier se sont fait inscrire pour prendre part aux divers championnats
de Chamonix. Dix-huit nations y sont représentées. Et si les résultats n'ont été tels qu'aurait pu le souhaiter notre patriotisme sportif, il faut nous souvenir que les Scandinaves ont pris , pour les sports d'hiver, une longue avance sur nous et nous réjouir des progrès très sensibles que les nôtres ont faits en peu d'années

La Semaine
Jeux Olympiques en montagne. - Patineurs et skieurs. - Les sports qui fouettent le sang.
La semaine qui vient de finir a vu s'ouvrir à Chamonix la grande série des Concours olympiques.
Ces sports d'hiver, si sains, si attrayants, qui viennent d'attirer les amateurs par milliers au pied du Mont Blanc, sont les derniers venus dans la pratique sportive.
Nos aïeux ne connaissaient qu'un sport hivernal : le patinage. Les habitants des pays froids avaient l'art d'évoluer sur la glace ; mais ceux qui vivaient en pays de montagnes n'avaient jamais songé à créer des pistes de sports sur la neige accumulée. L'hiver, au lieu d'être pour eux, comme il l'est aujourd'hui pour tant de fervents des joies physiques une saison favorable aux exercices de plein air, était au contraire, une période de triste réclusion.
Cependant, l'art du patineur était fort en honneur. Le XVIIIe siècle en raffola. Marie-Antoinette était une habile patineuse. Sur le grand canal et les étangs de Versailles, la Cour en hiver, prenait ses ébats, et la reine encourageait les patineurs les plus agiles et les mieux exercés.
Mais c'est dans les pays du Nord qu'on trouvait les célébrités du patinage. Bruxelles a connu jadis un patineur extraordinaire qui s'appelait M. de Gaud, et qui exerçait la profession de teinturier. M. de Gaud excellait dans le tour de force suivant : il franchissait. à pieds joints et ses patins aux pieds, sept chaises placées l'une derrière l'autre sur la glace, après quoi il continuait tranquillement à tracer des courbes compliquées et à exécuter des « dehors » d'une parfaite élégance. M. de Gaud était l'acrobate du patin.
Dans la cavalerie du colonel Lahure. qui faisant partie de l'armée de Pichegru, et qui - fait unique dans l'histoire militaire - s'empara, en 1795 d'une flotte hollandaise prise dans les glaces du Zuiderzée, prés de l'île de Texel, se trouvait également un prodigieux patineur. Ce hussard, qui s'appelait Billaut, ne se séparait jamais de ses patins. Il les chaussa dès qu'il aperçut les vaisseaux hollandais immobilisés dans les glaces et s'élança. Il arriva ainsi le premier auprès du navire amiral et se mit, malgré le feu très vif de l'ennemi, à décrire tout autour des courbes savantes. Les Hollandais, bons juges en pareille matière, l'admiraient à tel point qu'ils visaient mal et ne pouvaient l'atteindre. Billaut sortit sain et sauf de l'aventure ; et le commandant hollandais, en témoignage d'estime pour son adresse et son courage, ne voulu remettre son épée qu'à cet élégant patineur.
Napoléon 1er fut aussi, en sa jeunesse, un patineur habile. Lieutenant d'artillerie à Auxonne, il patinait sur les fossés de la ville, avec deux de ses camarades le 5 janvier 1791.
Après quelques heures d'exercice, le jeune Bonaparte ôte ses patins pour se rendre à la pension où mangent les officiers. L'heure du dîner approche. Ses amis veulent le retenir.
- Encore un tour ! lui crient-ils.
- Ma foi non ! partons... il est temps !
Mais les deux officiers ne l'écoutent pas... Ils veulent patiner encore. Ils s'élancent... et, tout à coup, la glace craque, s'entr'ouvre : ils sont engloutis. Bonaparte, qui a tout vu de loin, accourt, appelle à l'aide. On cherche à dégager les deux jeunes gens, mais on ne retire que des cadavres...
Ce jour-là, la destinée du monde a tenu à un coup de patin.

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Le sport de la glace, en raison des hivers plus rigoureux, était peut-être pratiqué autrefois d'une façon plus générale qu'aujourd'hui. Mais, par contre. nous pratiquons aujourd'hui les sports de la neige, dont nos aïeux ont totalement ignoré les joies.
Le ski, patin des pays de neige, n'est connu chez nous que depuis un peu plus de quarante ans. Les inventeurs en sont, paraît-il, les Lapons. Ils en apprirent l'usage aux Suédois et aux Norvégiens, lesquels l'importèrent chez les autres peuples d'Europe.
En Norvège, hommes, femmes, enfants font du ski tout l'hiver comme les Hollandais font du patin. Un bon skieur abat sur la neige ses huit kilomètres à l'heure, alors que sans le ski, il n'avancerait pas de cinq cents mètres. Le facteur italien qui monte au Saint-Bernard pour desservir l'hospice, met une demi-heure à la descente en ski.
C'est à Briançon, au 159e de ligne, que fut créée, en 1901, la première école de skieurs sous la direction d'officiers norvégiens. Cette école poursuivait le double but de former des skieurs militaires et de répandre dans la population des montagnes le goût d'un sport essentiellement hygiénique et susceptible de rendre de grands services en facilitant les communications entre les villages ensevelis sous la neige.
Ce but a été atteint. Le nombre des skieurs s'est augmenté d'année en année. Outre tous ceux qui, par besoin, pratiquent le patin des neiges, combien d'autres sont venus par esprit sportif à ce jeu si sain et si amusant, sans danger et peu coûteux.
Depuis une vingtaine d'années, l'organisation de concours de tourisme en montagne, chaque hiver, a développé sans relâche la pratique du ski et des autres sports de la neige dans les Alpes françaises.
Car d'autres joies sont réservées encore aux heureux sportsmen qui peuvent s'offrir le séjour en montagne dans la saison froide. Ils ont le toboggan, la luge, le bobsleigh.
Dans les montagnes, des pistes ont été tracées et sont soigneusement entretenues par les fervents de ces jeux. Ces pistes sont des chemins creux dans lesquels le sol et les parois sont de neige : elles s'étendent sur une longueur de douze à quinze cents mètres. Leur pente est très accentuée. Du point de départ au point d'arrivée, la différence d'altitude est en général de deux cents mètres. Un traîneau lancé sur ces pistes, les parcourt a une vitesse de cent kilomètres à l'heure.
Ce sont là des sports sains. qui fouettent le sang et éveillent l'énergie. Heureux les privilégiés qui les peuvent pratiquer ! .

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 3 février 1924