Les grands faits

 

 

Dans un article récent parut ici, notre collaborateur Claude Francueil faisait remarquer que malgré l'évolution des esprits en Angleterre. La tradition des costumes, des usages et des cérémonies parlementaires étaient toujours respectées. En voici un nouvel exemple.
Les nouveaux ministres, peu de temps après leur entrée en fonction aux coutumes d'assister au palais de Saint-James, au grand lever du roi. Monsieur Ramsay Mac Donald et ses collègues travaillistes se sont pliés en cette existence et respectueux du protocole établi, se sont présentés au roi, les uns en uniforme, rehaussés de broderies avec épée et bicorne; les autres en costumes de gala, habits noirs, culotte courte, bas de soie et escarpins vernis.
Peut-être moins remarqué en cours de route, ils prirent soin de toutefois de se couvrir de macfarlanes ou de manteaux de couleur sombre. Certains s'étaient même coiffés de haut de forme, ce qui, avec la culotte courte, leur donnait une étrange allure.

La Semaine

Un banquier a « levé le pied ». Escrocs fantaisistes. - Une épigramme.

Un banquier vient de lever le pied et de passer en Belgique. Quoi d'étonnant à cela, me direz-vous ?... L'histoire de la finance et de la spéculation est pleine de récits de ce genre...
Le Banquier vole
Et s'envole...

disait naguère un émule de Banville... Non, ce qui nous surpasse, ce n'est pas qu'il y ait encore de pseudo-financiers qui, après avoir pratiqué, comme le sieur Simon, l'escroquerie a l'émission quittent un beau jour les bords de la Seine pour ceux de la Senne, c'est que ces gaillards-là trouvent encore une clientèle à Plumer
Notez que ces escrocs ne se donnent pas un mal énorme pour recueillir l'argent des gogos. Ceux-ci, s'ils avaient le courage d'avouer leur sottise, pourraient, en songeant à leurs voleurs, paraphraser un vers célèbre de Voltaire :

Notre crédulité fait toute leur science.

C'est, en effet, la candeur des volés qui explique l'audace et ce succès des voleurs. L'escroc de finance est un psychologue. Il connaît ses clients. Avant d'en faire ses victimes, il sait qu'il peut en faire en quelque sorte ses complices. Il n'hésite pas à leur promettre monts et merveilles ; du 20, du 25, du 50 %...
Il sait bien que personne ne se demandera par quel mystérieux génie il peut faire produire à l'argent qu'on lui confie de pareils intérêts. L'essentiel est de les persuader qu'ils fort la bonne affaire. Quelques dividendes bien placés, au début, y suffisent.
Alors le gogo marche à Fond. C'est en somme toujours le même truc ; et ça prend toujours. On a dit de Sinon qu'il avait reçu des leçons du célèbre Mary Reynaud, un de ceux qui, parmi ces financiers véreux, firent le plus de dupes. Certes, il ne pouvait trouver meilleur maître. Mary Reynaud possédait à fond l'art de vider les porte-monnaie et les bas de laine. Sa méthode était invariable. Il louait un bureau, se déclarait banquier, et annonçait qu'il faisait mieux que personne fructifier les capitaux.
- Apportez-moi cent francs, disait-il, et je vous verserai dix francs d'intérêts par mois.
De fait, il versait deux, trois, quatre mensualités. La nouvelle se répandait ; les capitaux affluaient. Alors Mary Reynaud levait le pied.
On l'arrêta, et il eut des clients qui le défendirent devant le tribunal, tant il avait l'art d'enjoler son monde. Il fut condamné, sorti de prison, recommença et retourna à l'ombre. Toujours il ouvrait une banque et faisait de nouvelles dupes,.. Il était incorrigible... mais ses clients ne l'étaient-ils pas ?...
Il y a huit ou neuf ans, il reparut pour la dernière fois. On le croyait mort ou retiré des affaires, jouissant paisiblement des revenus acquis au cours d'une carrière plutôt agitée... Il n'en était rien. Mary Reynaud avait alors soixante-douze ans, et, pourtant, il était toujours sur la brèche. Profitant de la guerre qui avait entraîné quelque relâchement dans la surveillance des personnages de son espace, il avait installé, rue Mogador, un nouveau piège à gogos : la Banque de la Nation. Comme son nom jouissait dans les annales judiciaires d'une célébrité un peu gênante, il le changea en celui de baron de Roquelaud ; et, pour commencer, il promit 150 francs d'intérêts mensuels à tous ceux qui lui verseraient mille francs pour un prétendu syndicat d'actions de la Banque de France.
Les clients affluaient déjà. Mais quelqu'un troubla la fête : ce fut un commissaire de police qui vint un beau matin, saisit les livres, ferma la Banque de la Nation, et mit le banquier au clou.
Et Boulaine ?... Celui-ci fut le maître du genre. Jamais personne ne pratiqua l'escroquerie à l'émission avec une aussi merveilleuse dextérité. La chronique du début du siècle est peine des tours de passe-passe de ce Cartouche moderne, que ses camarades de la Bourse avaient surnommé Boulaine-les-Trous.
Entre autres émissions, Boulaine s'était tait une spécialité de lancer des mines d'or et d'argent, Il ne lui manquait le plus souvent qu'une chose : c'était la mine. Mais comme Boulaine avait maintes ressources dans son sac, cela ne l' empêchait pas de montrer aux gogos les échantillons les plus beaux et les plus variés provenant de pseudo sondage en cours d'exécution .
Un jour, pourtant, surpris par l'affluence des visiteurs qui demandaient des échantillons, Boulaine se trouva pris de court. Il n'y en avait pas pour tout le monde. L'escroc ne fut pas embarrassé pour si peu. Afin d'éviter toute indiscrétion, Boulaine courut en personne chez le pharmacien le plus voisin. Il en revint avec des rognures d'or, d'argent et de cuivre qui. mélangea avec de la terre. Coquettement présentées en de jolies sébiles, ces préparations enthousiasmèrent les actionnaires. Il n'y eut pas non plus assez d'actions pour tout le monde ce jour-là.
Cet excellent Boulaine ne se contentait pas de s'enrichir au dépens des gogos : i1 voulait encore passer pour un bienfaiteur de l'humanité. L'escroc rêvait du prix Montyon. Sa dernière escroquerie consistait dans l'organisation d'une grande société financière intitulée Phlanstère de l'Afrique Centrale. C'était une sorte de « clairière » destinée à assurer le bonheur des nègres de l'Afrique. Les titres étaient, à l'impression lorsque, malheureusement, la police arriva et conduisit Boulaine en prison.
Voilà pourquoi les bienfaits du socialisme mis en pratique ne sont pas encore connus des nègres africains.
Or, il ne faudrait pas nous imaginer que toutes ces escroqueries de la finance véreuse sont uniquement choses d'aujourd'hui. Nos père en furent aussi les lamentables victimes. Nous en trouvons la preuve dans d'innombrables épigrammes décochées jadis à messieurs de la finance. Citons celle-ci pour finir :

Si l'on remontait à la source
Des biens nouvellement acquis,
On retrouverait à la Bourse
Ceux qui nous la coupaient jadis.

Ernest LAUT.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 23 mars 1924