Fiume à l'Italie

C'est le 16 mars dernier que le roi Victor Emmanuel a procédé solennellement à l'annexion de Fiume à l'Italie. Voici enfin réalisé, par des moyens pacifiques et grâce à un sage traité passé avec le gouvernement yougoslave, le beau rêve commencé, au lendemain de la guerre, par le poète d'Annunzio et sa légion d'arditi. On se souvent que ceux-ci occupèrent Fiume par la force, puis qu'ils fondèrent ensuite une sorte d'État indépendant et que maints incidents menacèrent de susciter un conflit entre les deux grandes puissances adriatiques qui se croyaient également des droits sur la cité. La question, maintenant, est réglée et les Flumaines ne ménagèrent pas leurs acclamations au roi d'Italie quand il mit le pied sur les quais du port, accompagné par le général Diaz, ministre de la Guerre, l'amiral Thaon di Revel, ministre de la marine, M. Tittoni président du Sénat, et reçu par le général Giardino, gouverneur de la ville devenue italienne.

La Semaine
A propos du Cinéma. - Connaissons les auteurs des grands progrès modernes. Amputations parlementaires.

Une discussion ouverte à l'Académie de Médecine sur la question de savoir qui inventa le cinéma, a gagné la presse et suscité des controverses dans l'opinion publique. Ne le regrettons pas. C'est ainsi que l'histoire se fixe et se précise.
La ville de Lyon réclame non sans raison l'honneur de l'invention pour ses grands savants, les frères Lumière. Il est certain qu'ils furent les vrais réalisateurs du cinéma. Mais l'Académie de Médecine observe que ce n'est pas une raison pour oublier les travaux du physiologiste Marey, inventeur de méthodes et d'appareils qui furent utilisés par les frères Lumière, dont il était le collaborateur et l'ami.
Par là-dessus, la discussion s'étend et s'amplifie. Tous les noms des savants qui contribuèrent à réaliser la reproduction graphique ou photographique du mouvement sont tirés de l'ombre. On évoque le souvenir des travaux du Belge Plateau, le premier qui démontra le pouvoir singulier que possède notre rétine de retenir l'image assez longtemps pour que l'œil, dans la projection d'un film, ait la sensation de la continuité, c'est-à-dire de la vie. On évoque Janssen et son « revolver photographique » ; Muybridge, le photographe de San-Francisco, qui, le premier, photographia tous les temps du galop d'un cheval ; Deminy et son étonnant « phonoscope » ; le « Kinétoscope » d'Edison, enfin, qui, prodigieux cinéma en miniature, fut importé à Paris à l'époque même où les frères Lumière faisaient les premières expériences publiques de leur cinématographe.
D'autres noms encore sont remis en lumière ; ceux des inventions plus modestes qui améliorèrent l'invention, apportèrent quelque perfectionnement nouveau.
Ainsi se forme et se détermine l'histoire d'un des plus merveilleux progrès accomplis par la science moderne. La polémique a du bon quand elle est menée avec sincérité et dans le seul but d'atteindre la vérité.
Toutes les grandes inventions d'aujourd'hui sont, il faut bien le dire, des oeuvres collectives. Il est parfaitement évident qu'une idée comme celle de la photographie animée a hanté bien des cerveaux et qu'une foule de savants ont travaillé obscurément à la grande réalisation cinématographique. Tous ceux qui y ont apporté quelque élément nouveau ne doivent pas être oubliés.
Il serait souhaitable que de pareilles discussions fussent ouvertes en ce qui concerne toutes les inventions qui furent l'aboutissement d'un ensemble de découvertes.
Connaissons-nous par exemple les noms de tous ceux qui, depuis tantôt un siècle, ont travaillé à perfectionner la locomotive ?... En dehors de Herz, de Branly et de Marconi, savons-nous les noms des savants qui ont amené la T. S. F. au point de perfection où elle est aujourd'hui. Sommes-nous mieux renseignés en ce qui concerne l'automobile ?... Quant à la bicyclette, je gage qu'il n'y a pas un cycliste sur cent mille qui soit capable de citer le nom d'un seul des inventeurs qui ont concouru à perfectionner cette précieuse « bécane » dont nous ne pourrions plus nous passer.
Nos grands corps savants - l'Académie des Sciences, par exemple - devraient, dès à présent, s'attacher à cette utile besogne, et fixer nettement la part qui revient à chacun dans les grandes inventions d'un caractère collectif. Le résultat d'un tel travail ne pourrait être qu'infiniment honorable pour notre pays, car il montrerait à coup sur quelle part considérable est celle des inventeurs français dans la mise au point définitive de tous les grands progrès modernes.

***
Avec un courage qui l'honore, la Chambre a décidé d'immoler quelques-uns de ses membres sur l'autel des économies. Nos députés, dans la prochaine législature, ne seront plus que cinq cent quatre-vingt-quatre. C'est encore un chiffre fort respectable. Et nous continuons à être bien plus abondamment représentés que ne le furent nos devanciers.
Il faut vous dire que la salle du Palais-Bourbon où siège la Chambre fut construite en 1832. Elle avait été prévue pour contenir 430 députés. Sous Louis-Philippe, on estimait que ce nombre de représentants était parfaitement suffisant pour assurer la bonne marche des affaires.
Mais en 1848, lorsqu'on réunit l'Assemblée Constituante, la salle se trouva trop petite. On en construisit une autre en torchis dans la cour d'honneur du palais ; salle éphémère qui fut
aménagée de nouveau pour contenir les 400 députés qui suffirent à représenter la France pendant le Second Empire.
Mais, dès que vint la troisième République, le chiffre des élus se mit à grossir de législature en législature ; si bien qu'en 1906, il était à 590 ; en 1914, à 604, et, en 1919, 626.
Par quel prodige les architectes purent-ils arriver à trouver de la place pour 626 députés dans cette salle construite primitivement pour en abriter 430 ?...
En dépit de tout ce qu'ils ont pu faire, nos honorables sont - on le conçoit - assez mal assis. Chacun d'eux, en moyenne, dispose exactement le chiffre est pris dans un rapport d'architecte - de 48 centimètres carrés. C'est là un siège de Procuste pour bien des députés.
Bref, nos législateurs sont pressés comme harengs en caque. Pour un qui se lève et se déplace, dix collègues sont souvent obligés de se déranger afin de lui livrer passage.
On s'efforça d'élargir la salle, de l'aérer. Mais le mot de M. Pierre, secrétaire général de la Chambre, demeurait vrai : « La salle, disait- il, n'a plus la pointure constitutionnelle, elle est comme un soulier trop étroit qu'on a beau mettre et remettre sur la forme et qui blesse toujours. »
La prochaine Chambre aura quarante-deux députés de moins que celle-ci. Ce n'est guère, et ce n'est pas cela qui augmentera d'un centimètre carré la place réservée au séant de chacun de nos honorables. Mais quoi ?... La prochaine Chambre ne voudra peut-être pas être en reste avec celle-ci. Il se peut qu'elle se résigne à de nouvelles amputations. Une réforme de notre système administratif pourrait entraîner une diminution plus sensible de la représentation nationale.
Les Américains, pour une population plus que double de la nôtre, n'ont pas plus de trois cents députés.
Et je ne sache pas qu'il en aille plus mal chez eux que chez nous.

Ernest Laut.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 30 mars 1924