L'Exposition des Arts Décoratifs


Comme toutes les expositions, longues à édifier et à mettre au point, celle-ci n'a été prête à recevoir la consécration officielle qu'à la dernière minute. Mais l'effort conjugué de tous est parvenu, à l'heure dite, à donner un aspect définitif à cet ensemble de palais provisoires.
Comme le canon tonnait, à trois heures, le Président de la République, accompagné de sa maison civile et de sa maison militaire, franchissait les portes de l'Exposition des Arts décoratif. Il y était reçu par M. Ferdinand David, commissaire général, M. Becq de Fouquière, chef du protocole, M. Morain, préfet de police, M. Painlevé, président du conseil, M.Chaumet, ministre du commerce, et les autres membres du gouvernement.
La cérémonie proprement dite eut, lieu dans le Grand-Palais des Champs-Elysées, décoré et transformé pour la circonstance. Près de M. Doumergue, se trouvait au premier rang le corps diplomatique parmi lequel on remarquait surtout le nonce du pape et M. Krassiné, ambassadeur des soviets.
Après la Marseillaise, exécutée par la musique de la Garde républicaine et les choeurs de l'Opéra, M. Ferdinand David prit, le premier, la parole. Puis se succédèrent les discours de M. Dunant ministre de Suisse, président du groupement des commissaires généraux des sections étrangères, de M. de Monzie, ministre de l'instruction publique et des Beaux-Arts, de M. Chaumet, ministre du commerce; enfin de M. Doumergue lui même qui déclara l'exposition ouverte.
Une visite rapide à travers les allées et les principaux bâtiments acheva de donner sa consécration à cet ensemble méritoire qui doit faire connaître dans le monde l'effort des artistes modernes appliqué à la décoration et à l'industrie.

Décorés récalcitrants !...

Ceux et celles qui refusèrent la croix.

Avant de décerner une décoration, un ministre ne saurait prendre trop de précautions. Même si une croix lui est demandée par les plus intimes amis du personnage à décorer ; même si la sollicitation est faite, pour vous, monsieur, par votre femme, ou pour vous, madame, par votre mari, le ministre fera bien de se méfier. Il sera prudent de sa part de consulter l'intéressé et de s'assurer qu'il acceptera, sinon avec reconnaissance, du moins sans rechigner, la distinction qu'on réclame pour lui.
Un incident récent dicte, en pareil cas, leur conduite aux ministres présents et futurs. Le mari d'une comédienne avait demandé le ruban rouge pour sa femme. Touchant témoignage d'admiration conjugale. L'actrice a du talent. Le ministre accorda la croix demandée... Mais ne voilà-t-il pas que la dame refuse le présent !... Modestie.. pudeur professionnelle.. Que sais-je?... . Ce sont là de fort beaux sentiments... Mais quoi ?... l'épouse ne les avait-elle jamais révélés à son époux?... Et celui-ci ignorait-il donc à ce point la modestie de sa conjointe?
Si j'étais ministre - c'est une façon de parler, - des incidents de ce genre m'ennuieraient fort. Ils sont, en effet, plus fréquents que de raison. Or, il n'est pas bon que des gens qu'un ministre distingue puissent refuser pour quelque cause que ce soit - fùt-ce même réellement par pure modestie - la distinction qui leur est accordée. Cela affaiblit, aux yeux de l'opinion, la valeur de la décoration. Et chacun sait que croix et rubans sont un moyen de gouvernement des plus efficaces. En laisser diminuer l'importance, c'est jeter bas une colonne de l'État.
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A ce propos, on a évoqué le souvenir de ceux et de celles qui, avant Aime Suzanne Desprès, ont refusé la Légion d'honneur.
Je crois bien que le premier en date fut Raspail. Le 16 mars 1831, Casimir Perier, ministre de l'intérieur, l'informait que le roi venait de lui conférer le titre de chevalier de la Légion d'honneur.
« Je vous prie de rapporter cette ordonnance, répondait par courrier Raspail. Si la croix d'honneur s'était conservée la croix des Monge des héros de Marengo, d'Austerlitz et d'Iéna, peut-être aurais-je eu la faiblesse de braver mille fois la mort pour mériter cette décoration, une seule... Mais, depuis la Restauration, on l'a prodiguée à trop de bureaucrates... »
Et, pour cette raison, le grand chimiste refusait... Que dirait-il aujourd'hui?..,
On a cité aussi George Sand... Mais George Sand n'a pas eu la peine de refuser la croix. Le ministre - qui n'était autre que son ami Jules Simon - l'avait pressentie. « Ne faites pas cela, lui manda-t-elle; vous me rendriez ridicule. Me voyez-vous avec un ruban rouge sur l'estomac? J'aurais l'air d'une vieille cantinière... »
« Vieille cantinière » ! le mot fut répété plus tard, en des circonstances identiques, par une autre femme de lettres. Ça ne prouve pas qu'il était bon. George Sand, ce jour-là, dit une sottise. Ça arrive quelquefois, même aux gens d'esprit.
Rossini, également, refusa la croix au début de sa carrière, mais ce n'était point par dédain. Loin de là !... C'est au contraire parce qu'il ne s'en jugeait pas encore digne et parce qu'il estimait que d'autres compositeurs - Hérold, notamment, - la méritaient mieux que lui. Plus tard, après Guillaume Tell, il la demanda et elle lui fut accordée.
Courbet ne voulut pas de la croix, parce que ses « opinions de citoyen »s'opposaient à ce qu'il acceptât « une distinction relevant de l'ordre monarchique »...
Quant à Maupassant, dont on évoque le nom chaque fois que se produit quelque refus de la Légion d'honneur, il faut, une bonne fois pour toutes, détruire la légende qu'il le représente comme ayant repoussé la distinction qu'on lui concédait...
« On ne m'a point proposé la croix, écrivait-il un jour à un confrère qui avait reproduit l'erreur commune; on m'a interrogé seulement pour le cas où le ministre songerait à moi. J'ai répondu que je considérais comme une grossièreté de refuser une distinction très recherchée et très respectable ; mais j'ai prié qu'on ne me l'offrit point et qu'on demandât au ministre de m'oublier... »
Et l'auteur d'Une Vie ajoutait:
« J'ai toujours dit - tous mes amis pourraient en témoigner - que le désirais rester en dehors de tous les honneurs et de toutes les dignités... »
Donc la croix ne fut pas offerte à Maupassant; et il n'eut pas à la refuser. Mais si, sans l'avoir pressenti, on la lui eût décernée, il est infiniment probable qu'il n'eût pas commis, en la refusant, ce qu'il considérait comme une « grossièreté ».
Par contre, depuis quelques années, que de décorés récalcitrants! Quatre peintres : MM. Bonnard, Valloton, Vuillard et Roussel; un musicien, M. Ravel ; un poète, M. Francis Jammes; un romancier, M. Gaston Chérau... Voilà bien des croix restées pour compte. Mais, soyez tranquilles !. Si nombreux que soient ceux qui refusent le ruban, ceux qui le convoitent sont infiniment plus nombreux encore, Et, qui sait?... il y aurait peut-être moins des premiers, si le choix parmi les seconds était quelquefois fait de façon plus judicieuse.
Érnest Laut

Le Petit Journal Illustré du dimanche 10 mai 1925