Sauvés par un tigre !
Ce titre a de quoi étonner. Cependant il résume avec exactitude l'étonnante et récente aventure de deux Russes voyageant en Mandchourie.
Ceux-ci avaient été capturés par des bandits chinois qui les emmenaient dans leur repaire. Soudain, sur le passage de la petite troupe, un tigre surgit et se précipita sur l'un des bandits, qu'il commença de dévorer. Les autres, affolés de peur, s'enfuirent, oubliant, bien entendu, d'emmener les deux Russes, et ces derniers profitèrent de cette libération involontaire pour s'enfuir également, mais du côté opposé.

KLEPTOMANES OU VOLEUSES ?
La kleptomanie vient d'êtres rayée d'un seul coup du nombre des maladies.

Des médecins qui guérissent des malades, cela se voit tous les jours. D'ailleurs, c'est leur rôle, et, en dépit des railleries datant de Molière, ils s'y emploient fort utilement. Mais, ce qu'on n'avait jamais vu et qu'on vient de voir, c'est un médecin qui supprime une maladie, comme cela, d'un seul coup, non pas à l'aide de quelque sérum préventif d'une merveilleuse efficacité, mais d'un trait de plume, tout simplement.
Rien n'est plus vrai. Dans une communication faite, le mois dernier, à la Société de Médecine légale de France, le docteur Antheaume a déclaré - et, à mon humble avis, prouvé - que la kleptomanie n'existait pas.
La kleptomanie, on l'avait découverte, il y a quelque trente ans, alors que le développement des grands magasins multipliaient à Paris les tentations et que se multipliaient en même temps le nombre des vols commis par des femmes. Un grand nombre d'entre elles, prises sur le fait et amenées devant le tribunal, se défendaient d'avoir agi par cupidité (en effet, elles étaient bien souvent d'une situation sinon riche, du moins aisée), et prétendaient avoir subi l'influence d'une sorte d'impulsion morbide. Juste à point, il se trouva alors un médecin expert pour déclarer la chose exacte et pour analyser ainsi cette maladie nouvelle : « Impulsion obsédante de s'emparer d'un objet qu'on a sous les yeux, obsession à laquelle le sujet succombe après avoir résisté de toutes ses forces. »
Et puis, comme il fallait bien lui donner un nom scientifique, c'est-à-dire incompréhensible pour le commun des mortels, on la baptisa kleptomanie !
Mais voilà que le docteur Antheaume a changé tout ça. Pour lui, il n'y a pas, il n'y a jamais eu de kleptomanes: Il n'y a que des voleuses, des voleuses comme les autres, des voleuses qu'encouragent trop souvent l'impunité et, quand elles sont arrêtées, l'indulgence du tribunal.

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Le raisonnement du docteur Antheaume est très net : si la kleptomanie, dit-il, existait chez des sujets lucides, telle que la décrivent les manuels de psychiatrie, l'acte commis et l'obsession étant satisfaite, la voleuse, rentrée chez elle, en proie à l'horreur de son acte, disposerait d'un moyen bien simple de soulager sa conscience, ce serait de restituer, car l'impulsion kleptomanie est une impulsion à prendre et non une impulsion à garder.
Or, d'une enquête faite dans les cinq plus grands magasins de Paris, il résulte que jamais on n'a rendu un objet, pas même en invoquant comme excuse la kleptomanie. Les rares restitutions qu'on a vues (deux ou trois en cinq ans) ont été faites par l'intermédiaire d'un prêtre, directeur de conscience de la voleuse. Celle-ci s'avouait donc coupable, et non malade.
A cet argument décisif, on peut, d'ailleurs y ajouter un autre. Si la personne qui vole dans un grand magasin était une folle, elle prendrait n'importe quoi, au hasard, les objets les plus hétéroclites, ceux qui lui peuvent être les moins utiles. Or, cette soi-disant folle ne se trompe jamais. Elle choisît avec discernement. Quelle que soit la valeur de l'objet, c'est toujours un objet dont elle a besoin.
Enfin, le docteur Antheaume fait état d'un raisonnement qui n'est pas moins probant.. Les kleptomanes ne sont jamais des ouvrières, des petites gens. (Celles-ci, on les étiquettes franchement du nom de voleuses). D'autre part, cette maladie n'est signalée ni dans les modestes villes de province, ni à l'étranger, où les tribunaux n'ont pas les indulgences coutumières aux tribunaux de la capitale.
« Singulière maladie, s'écrie-t-il, que celle dont les femmes du monde ou de conditions moindres, seraient presque exclusivement atteintes pour leur profit ou leur usage personnel, à Paris ! »
Messieurs les experts, Messieurs les juges, rayez donc la kleptomanie de vos papiers. Que restera-t-il ensuite? Ma foi, il restera des voleuses, tout simplement. Et des voleuses, il y en aura toujours assez
professionnelles ou d'occasion, leur nombre est considérable, leur adresse merveilleuse, leur entêtement singulier. Un de nos confrères a cité à ce propos cette aventure véridique: un jour, devant la neuvième chambre correctionnelle, comparait une dame arrêtée pour vol dans un grand magasin. Sur la déposition d'un inspecteur qui l'avait prise sur le fait, elle est condamnée à un mois de prison avec sursis. On la relâche. L'inspecteur quitte le Palais et va reprendre son service au magasin. Quelle n'est pas sa stupéfaction, en traversant un rayon, de voir la dame en question, revenue aussi vite que lui, et occupée à faire disparaître sous son manteau un coupon de dentelles !
On estime à 2.000 par an le nombre des vols commis dans chacun de nos grands magasins de Paris. C'est une dîme de trois à quatre cent mille francs que chacun d'eux paye à la malhonnêteté de ces clientes indésirables.
On m'excusera, pour finir, de paraître accabler le sexe faible. Mais La statistique prouve que, sur cent personnes arrêtées pour ce genre de vol, il n'y a que 5 hommes contre 95 femmes. Mais elles ont peut-être une excuse : il leur est plus difficile que nous de résister à la tentation !

Roger RÉGIS.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 17 mai 1925