NOS GRAVURES
Au Maroc
0n voit se produire aujourd'hui ce qu'avaient prévu tous ceux qui
sont au courant des choses marocaines. Grisé par ses succès
contre les troupes espagnoles, Abd El Krim, le mystérieux souverain
du Rift, a voulu se retourner contre les Français. Les tribus qui
lui obéissent ont fait irruption dans les régions soumises
à notre protectorat, ont encerclé nos postes avancés
et tenté de soulever les tribus fidèles à notre cause.
Le maréchal Lyautey n'a pas été surpris par cette attaque
brusquée. Mais les éléments dont il disposait ne lui
ont permis tout d'abord que de se tenir sur une stricte défensive.
Maintenant les renforts affluent, nos troupes débloquent un à
un les postes assiégés ; on peut faire confiance aux chefs
à qui incombe le soin de rétablir l'ordre et la paix dans
notre bel empire marocain.
En attendant ces heureux résultats, il convient, sans plus tarder,
de signaler les actes de courage, voire d'héroïsme, de ceux
qui combattent là-bas sous notre drapeau.
Un des plus émouvants épisodes de cette lutte lointaine est,
sans conteste, la défense du poste d'Aoulay.
Ce poste, un de ceux qui barrent la route de Fez, a été encerclé,
le 1er mai, par les Rifians. Sa garnison se composait seulement de trente-six
tirailleurs du 1er régiment sénégalais, commandés
par le capitaine Duboin et le lieutenant Charpenell. Malgré leur
petit nombre, ces hommes tinrent tête aux assaillants, pendant quinze
jours consécutifs, repoussant les assauts incessants de l'ennemi,
subissant, sans pouvoir y répondre, le feu de l'artillerie et souffrant
du manque de sommeil et des privations.
Quand la colonne de secours délivra la petite garnison, il ne restait
plus que vingt tirailleurs , valides. Le capitaine Duboin avait reçu
deux blessures et le lieutenant Charpenel était griévement
atteint au ventre. On ne saurait trop rendre hommage à ces héros
Au reste, comme l'a dit récemment le président du Conseil
dans son discours de Grenoble : « Tous nos soldats, qu'ils soient
nés sur la terre de France ou sur la terre d'Afrique, ont avec une
endurance, une énergie et une vaillance magnifiques accompli la mission
qui leur avait été assignée. La route de Fez a été
barrée, l'envahisseur refoulé jusque vers les limites de notre
zone.
» Il ne s'agit point là d'expansion coloniale. Nous ne convoitons
pas un pouce carré de territoire au delà des limites que nous
assigne le traité. Il s'agit de nous faire respecter pour qu'une
paix stable et sûre puisse être prochainement rétablie
au Maroc. »
Sur un accident de cirque, - La foule est-elle cruelle .
Deux acrobates, ces jours derniers, ont
été blessés grièvement au cours de leurs exercices.
D'un trapèze où ils travaillaient, à dix mètres
de haut, ils sont tombés sur le plancher de la scène. Naguère,
ils seraient tombés dans un filet tendu au-dessous d'eux, et ne se
seraient probablement fait aucun mal ; car naguère on respectait
partout les règlements de police qui imposaient certaines précautions
aux gymnasiarques des cirques. Aujourd'hui, ces précautions sont
négligées partout; et l'autorité ne se soucia même
plus de défendre les acrobates contre leurs propres imprudences.
L'an dernier à pareille époque le gymnasiarque japonais Leymada
se fracturait le crâne en tombant de son trapèze sur la piste
du cirque où il s'exhibait.
A ce propos, un célèbre clown, qu'un de nos confrères
interrogeait sur la question du filet, répondait textuellement:
« Ce qui fait le succès des acrobates, c'est moins la difficulté
du tour à exécuter que le péril qu'il présente.
Tel exercice de trapèze ne provoquera aucun enthousiasme, exécuté
à deux mètres du sol. Qu'on hausse le trapèze à
dix mètres, et l'on applaudit furieusement. Mais si, le trapèze
étant à cette hauteur, on tend un filet, le public, persuadé
que l'artiste ne court aucun risque, applaudira moins fort. C'est humain,
on n'y peut rien. Le succès en fin de compte, est en fonction du
courage... »
« C'est humain » dites-vous, monsieur Clown?..- Eh bien non,
dites plutôt que c'est inhumain. Le succès n'est pas seulement,
s'il faut vous en croire, en fonction du courage; Il est surtout en fonction
du danger couru. J'aimerais mieux qu'il fût tout simplement en fonction
de l'adresse dépensée
La vérité, c'est qu'on fait du risque de mort un élément
d'attraction. Et cela est immoral au premier chef.
- La mort était pour nos aïeux un objet de respect et de crainte.
Le mémento mori que la religion et l'art leur rappelaient
à chaque instant sous des formes diverses, les impressionnait fort.
Nous avons changé tout cela. La mort n'est plus un sujet de réflexions
pieuses et d'angoissantes méditations. C'est un élément
de distraction.
Dans une heure de pessimisme, le père Dumas, ce génie de la
bonne humeur, écrivit un jour cette phrase : « Il n'y a dans
la vie qu'une seule préoccupation vraiment sérieuse : c'est
la mort- »
Or, il serait bien surpris, le bon géant, s'il revenait au monde,
de voir ce que cette « préoccupation sérieuse »
est devenue pour les gens d'à présent. Depuis quelques années,
sur les programmes des music-halls, nous n'avons vu qu'exercices où
les protagonistes jouaient leur vie, C'étaient « le tourbillon
de la mort », « le cycle de la mort », « le bilboquet
de la mort », « l'écrasé vivant », que sais-je?...
En contemplant l'affiche où étaient annoncés ses exercices,
l'artiste pouvait se dire comme tel personnage d'une célèbre
comédie de Théodore Barrière : « Mais il n'est
question que de ma mort, là-dedans ! »
N'a-t-on donc plus d'autres moyens de divertir les foules que de surexciter
leur besoin d'émotions fortes et de sensations violentes ? L'Anglais
qui suivait le dompteur de foire en foire avec l'espoir de le voir dévorer
était considéré comme une exception? L'âme de
la foule serait-elle faite maintenant à l'image de son âme
?... L'adresse, la force ne suffisent-elles plus pour intéresser
les spectateurs ?... Les artistes du cirque croient qu'il faut y ajouter
l'attrait du danger : cela prouve qu'ils ont une assez triste opinion de
la mentalité des spectateurs.
Eh bien, je crois qu'ils se trompent.
Quelques années avant la guerre, alors qu'on avait quelque peu abusé,
dans les cirques et les music-halls, des exercices féroces où
le risque de la mort jouais le rôle d'élément attractif,
l'autorité s'émut et interdit quelques-uns de ces jeux barbares.
Or, personne ne protesta. Par conséquent, ce n'était pas la
foule qui réclamait ces sortes de spectacles. On les lui offrait;
elle n'avait que le tort d'y prendre goût. Mais les seuls coupables
étaient ceux qui les lui imposaient.
Que la police décide demain qu'aucun exercice de trapèze ne
pourra avoir lieu sans qu'un filet protecteur garantisse les gymnasiarques
contre tout danger de mort; et la foule s'habituera parfaitement à
voir tendre le filet. Si, par aventure, quelque amateur de sensations fortes
protestait contre cette sage précaution, je suis certain que c'est
le public lui-même qui se chargerait de le ramener à des sentiments
plus humains
Les entrepreneurs de spectacles rejettent volontiers sur le public la responsabilité
de leurs actes. C'est le public qui veut des pièces absurdes, c'est
le public qui exige de la musique incompréhensible... Allons donc
!... Le public, en général, est passif ; il prend ce qu'on
lui donne.
Ne lui donnez pas de spectacles cruels où la souffrance des bêtes
est un élément d'attraction ne lui offrez pas d'exercices
violents où l'attrait consiste à voir des hommes risquer inutilement
leur vie: il ne vous en réclamera pas.
Ernest Laut
Le Petit Journal Illustré du dimanche 31 mai 1925