Les agents tirent

La paisible rue des Archives, à Paris, a vu se dérouler, une de ces dernières nuits, un spectacle comme on en voit seulement se dérouler, au cinéma, dans les films américains.
Une superbe limousine, faisant d'ahurissantes embardées, accrocha au passage l'aile d'un camion automobile. Mais, bien loin de s'arrêter, le conducteur continua sa roule. Des agents accourus lui firent signe de stopper. Il n'en fit rien. Persuadés alors qu'ils avaient affaire à des bandits en auto, les agents réquisitionnèrent un taxi et s'élancèrent à la poursuite du fuyard. Mais celui-ci, plus rapide, menaçait de disparaître. Les poursuivants n'hésitèrent pas davantage. Ils sortirent leurs revolvers et, visant les pneus, se mirent à tirer.
Ce moyen énergique réussit. Bientôt la limousine dut s'arrêter. On conduisit au poste le plus proche le chauffeur récalcitrant et là, on s'aperçut qu'on se trouvait simplement en présence d'un honnête négociant qu'un dîner trop copieux avait fortement éméché et qui, n'ayant pas sur lui un permis de conduire en règle, avait eu peur d'entrer en conversation avec les agents de service sur la voie publique.
Il ne pouvait pas imaginer que ceux-ci recourraient à des méthodes américaines pour le contraindre au respect du règlement.

L'attirance de l'inconnu

Le Pôle Nord, longtemps inaccessible, va-t-il être un but de promenade ?

C'est un instinct de la nature humaine de vouloir briser le cercle étroit de l'horizon où il se sent enfermé, de chercher à aller ailleurs, plus loin, plus loin encore. Le plus grand nombre ne peut réaliser cet obscur désir ; tout le long de leur existence casanière, enchaînés par la nécessité inéluctable, ils restent des rêveurs d'infini. Mais d'autres, plus favorisés ou plus audacieux, partent, vont droit devant eux, parcourent le vaste monde. Voyageurs par curiosité ou explorateurs par passion, ils poursuivent l'inconnu comme un chasseur traque la bête qui fuit.
Au temps où le progrès n'avait créé ni la vapeur, ni l'électricité, ni l'automobile, ni l'avion, ni aucun des engins modernes qui permettent d'aller loin, d'aller vite, le champ des découvertes à faire semblait illimité. Mais peu à peu notre globe s'est, pour ainsi dire, rétréci. Toutes les mers ont été sillonnées, tous les continents, toutes les îles explorées, tous les sommets escaladés. II n'est plus un point de sa surface où l'homme insatiable n'ont posé le pied.
Plus un point !Si, il reste un endroit encore inviolé, la cime du mont Everest, dans la chaîne de l'Himalaya, la plus haute montagne du monde. Et c'est pourquoi, depuis quelques années, nous voyons des expéditions tenter cette ascension vertigineuse, des hommes mourir pour atteindre ce but, d'autres recommencer derrière eux. Nul n'a encore réussi. Mais soyez sûrs qu'on y parviendra et qu'après le premier vainqueur, il se trouvera des imitateurs pour refaire la même conquête, affirmer ainsi que le sommet de l'Everest appartient aux hommes aussi bien qu'un faubourg de Londres ou une forêt du Congo.
Ce besoin de réitérer l'expérience, de l'humaniser en quelque sorte, de la vulgariser, nous venons d'en avoir un exemple. Le Norvégien Amundsen qui, en 1911, était parvenu au pôle Sud par les moyens ordinaires, c'est-à-dire à pied, accompagné de traîneaux. Amundsen a voulu conquérir en avion le pôle Nord, atteint avant lui, en 1900, par le commandant Peary.
Je ne nie pas que sur la calotte glacée de notre globe tournoyant, il y ait d'intéressantes observations scientifiques à faire, à compléter
même à l'occasion. Mais un raid en avion jusq'au pôle, un raid dont l'aller et le retour ne tirent en tout que quelques heures, ressemble plus à un tour de force, à une gageure qu'à un voyage d'exploration utile. Ce que Peary avait réalisé au prix des plus effroyables difficultés, Amundsen a voulu l'accomplir de nouveau, facilement, comme en se jouant et pour pouvoir dire ensuite
- Vous voyez bien ! Le pôle Nord n'est pas si loin. On peut y aller comme on veut. C'est un endroit de la terre aussi banal que les autres !
Et peut-être en effet le deviendra-t-il ? Mais combien de temps, combien de peines, combien de morts il aura fallu pour ce résultat !
Le premier qui songea, sans doute, à risquer cette tentative fut Davis, qui, en 1586, atteignit le 72°41 de latitude nord et fut arrêté par la banquise. A partir de ce moment, les explorations se multiplièrent. On ne saurait les rappeler toutes. Citons cependant Henri Hudson, qui, en 1609, découvrit le Spitzberg et pénétra dans le détroit qui porte son nom ; Behring qui, en 1728, eut également l'honneur de baptiser un détroit ; la mission Parry qui, en 1819, fit la première exploration systématiquement organisée avec hivernage, raids vers le Nord et relevés scientifiques.
Puis c'est le long martyrologe qui commence. En 1832, le lieutenant français Jules de Blosseville s'élança du Groenland vers le pôle et disparut avec toute sa mission. En 1845, Franklin, dont c'était la troisième tentative, disparut de même. Vingt missions se lancèrent à sa découverte. Quatre ans plus tard seulement, l'une d'elles trouva les restes de Franklin et de ses compagnons. Ces morts tragiques ne découragent pas les hardis conquérants du pôle. Ils se font de plus en plus nombreux. Nansen, en 1895, gagne le point le plus élevé qui ait été atteint jusqu'alors. Le 11 juillet 1897, le Suédois Andrée, avec deux camarades d'aventure, s'élance vers le Nord en ballon. Il n'en revint jamais. L'expédition de Toll, en 1902, fait quatre victimes. Antundsen, dont on reparle aujourd'hui, découvrit en 1905 le passage du nord-est, mais perdit, au cours de son voyage, plusieurs compagnons. Enfin voici celui qui devait être le conquérant du pôle !
Dès 1885, Peary commença ses explorations dans l'Océan Arctique. En 1891. Il fit sa première tentative. Il la recommença en 1893, puis en 1896. Enfin il repartit de nouveau en 1905 et ce fut seulement le 6 avril 1909 qu'il planta son drapeau Point exact où il n'y a plus, par un phénomène géographique assez déconcertant quand on y pense, ni nord, ni ouest, ni est, de quelque côté qu'on se tourne, on a toujours en face de soi, et uniquement, le sud.
Au moment où nous mettons sous presse, on n'a encore reçu aucune nouvelle des avions montés par Amundsen et ses compagnons. Il faut espérer qu'on n'aura pas à ajouter de nouveaux noms à la liste trop longue des martyr du pôle et, quel que soit le caractère de ce raid, qu'il se terminera heureusement et pour le sport et pour la science.
Roger Règis.

Le Petit Journal Illustré du dimanche 31 mai 1925