MÉFAIT DE ROMANICHELS

Un ours lâché dans un parc à moutons
Il ne se passe pas de jour que les nomades qui pullulent dans nos campagnes ne se rendent coupables de quelque méfait. Ces Romanichels, auxquels nous consacrons notre « Variété » d' aujourd' hui, ne se contentent plus de mettre au pillage les poulaillers et les cabanes à lapins, parfois ils font pis encore. Le fait qu' illustre notre gravure en est un exemple. Il s' est passé récemment dans un village de la région du Nord.
Des Romanichels, qui traînaient avec eux des animaux savants, ne trouvèrent rien de mieux que de lâcher un ours dans un parc à moutons proche de la route où ils s' étaient arrêtés. L' animal en profita pour se régaler de chair fraîche.
Avant que le berger et les paysans, qui travaillaient dans les champs voisins, aient pu accourir il avait de sa griffe puissante, abattu plusieurs moutons.


VARIÉTÉ

La plaie des campagnes


Les Romanichels. -- Leur origine. -- Viennent-ils de l' Égypte, de la Mésopotamie ou de l' Inde ? -- Comment on les traitait au temps jadis. - Un peuple de paresseux. --Le roi des Gitanes et la reine des Gypsies. -- Les Romanichels aux Saintes-Maries-de-la-Mer. -- Crimes et délits. - Qu' on débarrasse la France des Bohémiens !

Les populations des campagnes, et surtout celles des frontières, se plaignent plus que jamais des déprédations que font subir à leurs champs les incursions des Romanichels. L' écho de ces doléances s' est retrouve, ces jours dernier, dans les voeux des conseils généraux. Une douzaine au moins de nos assemblées départementales ont demandé au gouvernement de prendre des mesures énergiques pour débarrasser nos provinces de ces nomades toujours encombrants et parfois dangereux.
Mais comment faire ?... Ces tribus de Bohémiens entrent généralement chez nous par la Belgique, par l' Allemagne ou par la Suisse. La frontière est libre : les Romanichels la franchissent et se répandent dans les départements limitrophes. Au bord des routes, à l' entrée des villages, ils arrêtent leurs roulottes et vont, de porte en porte, vendre des objets de vannerie ou chercher les chaudrons à rétamer. Certaines tribus se livrent à la vente des chevaux... Chez d' autres, les femmes disent la bonne aventure, et les hommes mènent des ours et des singes savants qui dansent au son du tambour.
Mais, généralement, les vols de poules et de lapins, les chapardages de toutes sortes, parfois même de plus graves délits, incendies de meules et de granges, coïncident avec l' arrivée de ces nomades.. Quand les plaintes contre eux parviennent jusqu' à l' autorité, la gendarmerie se mouvement. Sous sa conduite, les Romanichels sont expulsés de France ; mais, comme la maréchaussée des pays voisins est chargée de les pourchasser à son tour, il est rare que, quelques jours plus tard, la même tribu ne reparaisse pas sur quelque autre point de la frontière. Et ces vagabonds, ballottés d' un pays à l' autre, paient ainsi la faute de n' avoir pas de nationalité et de vouloir vivre suivant les libertés primitives en des pays civilisés

Quelle est l' origine des Romanichels ?...
La science moderne n' a, sur ce point, que des données assez vagues.- Eux-mêmes se croient originaires d' Égypte, et le nom de Rômichâl qu' il se donnent et qui, dans leur langue, signifie homme d' Égypte, en serait la preuve. Une chanson populaire des Bohémiens d' Espagne fait allusion à leur séjour dans ce pays de Châl : « O pays de Châl, patrie où nous vivions dans la plénitude des joies, sans travailler...»
Égyptiens, Gypsies, c' est ainsi qu' on les appela d' abord. Dans l' hypothèse de leur origine égyptienne, ils auraient fui ce pays devant l' invasion des Arabes.
D' autres auteurs les font venir des bords de l' Euphrate. Une de leurs tribus aurait été transportée en Thrace par Constantin Copronyme, en 755. Le roi de cette tribu s' appelait Azingann. De là leur nom de Zinganes, Ziganes, Zingari en italien, Ciganos en portugais, et Tziganes chez nous.
Mais l' opinion la plus accréditée les représente comme les débris d' une race de parias chassée de l' Inde.
Dispersés par les invasions des conquérants tartares, ils apparaissent en Hongrie, en Bohême, en Allemagne, au début du quinzième siècle, et, peu après, se répandent à l' occident.
Pasquier rapporte que, et 1427, douze penanciers ou pénitents, qui se qualifiaient de chrétiens de la Basse-Égypte, chassés par les Sarrazins, vinrent à Rome et se confessèrent au pape, qui leur enjoignit, pour pénitence, d' errer sept ans par le monde, sans coucher dans un lit. Il y avait parmi eux un duc, un comte et dix hommes de cheval : leur suite était de cent vingt personnes. Quand ils arrivèrent à Paris, on alla les voir en foule. Ils avaient les cheveux noirs et crêpés et portaient des boucles d' argent aux oreilles. Leurs femmes étaient laides ; elles volaient et disaient la bonne aventure. L' évêque les contraignit à s' éloigner et excommunia ceux qui les consultaient...
Depuis ce temps, la France ne cessa plus d' être envahie par des vagabonds de la même espèce, tour à tour excommuniés et bannis sous peine des galères. En Italie, en Danemark, dans les Pays-Bas, en Allemagne, on fit contre eux les lois les plus rigoureuses.
Sous Louis XIV, on pendait les Bohémiens et l' on fouettait les Bohémiennes... Ne soyons pas trop surpris que cette race misérable n' ait jamais pu se fondre dans une société qui la méprisait et la traitait ainsi.

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Nous avons déjà donné ici-même (voir le Supplément du Petit Journal n° 782, 12 Novembre 1905) de curieux détails sur les moeurs actuelles des Romanichels, et rapporté des souvenirs de M. Jean Richepin qui a, naguère, partagé la vie de ces nomades.
L' existence de ces coureurs de route est toute d' indépendance. Il semble que leurs tribus ne veuillent se tenir en dehors de toutes les lois que pour ne pas se plier à celle du travail qui régit l' humanité.
Un Anglais, nommé Georges Borrow, s' avisa une jour de conquérir les Romanichels à la civilisation. Il parvint à gagner la sympathie de quelques chefs de tribus, apprit à grand'peine la langue mystérieuse de ces errants et essaya de les moraliser. Ce fut peine perdue. Après des années d' efforts, il dut convenir que l' expérience avait été complètement inutile, et que ces êtres étranges étaient absolument réfractaires à toute tentative civilisatrice.
En quelque pays que ce soit, même lorsqu' ils se sont fixés, ils gardent leurs moeurs spéciales.
En Espagne, aux portes de Grenade, il est tout un faubourg habité uniquement, par les Gitanos. C' est un peuple qui vit là, au milieu du peuple espagnol, sans se mêler à lui.
Ces Gitanos ont un roi qui exerce une véritable autorité sur toutes les tribus de la péninsule... Au mois de Décembre dernier, on annonçait la mort de ce souverain gitano . Il s' appelait Chorrojumo et s' intitulait « descendant des pharaons d' Égypte»
Sa figure et son accoutrement pittoresques étaient bien connus de tous les touristes étrangers, visiteurs de l' Alhambra, ou il se tenait en permanence, réalisait de jolis bénéfices, grâce à la vente de ses photographies. Il avait servi de modèle à des artistes célèbres de tous pays, et les cartes postales, par centaines de mille, avaient popularisé son image en Europe et en Amérique.
La reine d' Angleterre et les filles du duc de Connuaught, lors de leur visite à Grenade, s' étaient intéressées beaucoup au « Roi des Gitanos » et avaient pris de lui de nombreux instantanés,
En Angleterre, on trouve également, toute une colonie de Gypsies, qui a pour chef une reine. Cette reine, elle aussi, est morte au début de cette année. Elle avait quatre-vingt-dix-huit ans et, s' appelait Henty-Sertenius Smith. Ses funérailles, disaient les journaux, ont été célébrées selon les rites et traditions de la, tribu. Le corps est resté exposé toute une journée dans une roulotte décorée pour la circonstance, mais sans aucun signe de tristesse, car, pour les Gypsies, mourir c' est être délivré de la vie, et, par conséquent, avoir atteint le bonheur. Plus de deux cents de ses descendants l' ont accompagnée au cimetière. Elle était très aimée, et son autorité fut toujours absolue sur son peuple. Aucun souverain ne fut d' ailleurs, entouré d' une aussi sincère affection. Elle commandait à plusieurs milliers d' hommes et de femmes épars dans le Royaume-Uni, et qui recevaient d' elle des ordres précis par des messages et des émissaires. Aux courses d' Epsom, qui est le grand jour de réunion des Gypsies, elle avait sa tente dressée au milieu de la plaine et elle ne consentait à dire la bonne aventure qu' à quelques très rares privilégiés. Rien n' était plus curieux que le groupement des autres tentes autour de la sienne qui les dominait, placée sur une élévation de terrain, et la plus spacieuse de toutes. Tous les sportsmen qui fréquentent ce champ de paris et tout le Londres qui s' y rend annuellement connaissaient la reine et se plaisaient à admirer l' expression et la distinction de sa physionomie...

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Les Gypsies d' Angleterre et les Romanichels qui courent nos provinces sont-ils de même race ?... C' est peu probable, car les femmes « romanis » que nous voyons passer sur nos routes n' ont point cette distinction qu' on remarquait chez la reine des Gypsies. Sales, déguenillées, avec leurs cheveux gras, leurs faces basanées et huileuses, elles n' inspirent que des sentiments de répulsion. Les hommes ont meilleure mine. Bien que négligés, eux aussi, ils ont cependant quelque noblesse sauvage dans la physionomie. Leur costume est souvent des plus curieux. Un large feutre couvre les longs cheveux tombant sur les épaules ; ils sont vêtus de vestes et de culottes de velours, et le chef de la tribu a souvent un gilet de couleur voyante, sur lequel se détachent des plaques de métal soigneusement astiquées et qui reluisent au soleil. Ceux qui, chaque année, se rendent, après Pâques, aux foires de chevaux d' Arles, sont, dit-on, particulièrement pittoresques. Ils ne manquent jamais d' aller passer une nuit aux Saintes-Maries-de-la-Mer, et ils consacrent cette nuit à chanter dans la crypte des cantiques, en langue romani, en l' honneur de sainte Madeleine et de sainte Sara. Le lendemain, ils portent solennellement la châsse des saintes au bord de la mer. Et c' est pour les habitants un spectacle curieux que celui de la foi naïve de ces Bohémiens.
Mais pour quelques tribus qui vivent, comme celle-ci,-d' une industrie réelle, combien d' autres ne doivent leur existence qu' aux rapines et à la mendicité ?
Depuis quelques années, les méfaits des Romanichels n' ont guère cessé de défrayer la chronique des faits-divers et celle des tribunaux.
L' an dernier, des Bohémiens, tenant en laisse deux ou trois ours de forte taille, traversaient la petite commune de Manerbe, située à quelques kilomètres de Pont l' Evêque, lorsque l' idée leur vint de pénétrer dans la propriété du prince d' Handjery, et, arrivés devant le perron du château, ils demandèrent d' un ton, menaçant aux domestiques des vivres et de l' argent.
Comme on les invitait à passer leur chemin :
Ah ! c' est ainsi ? s' écrièrent-ils ; eh bien ! nous allons démuseler nos ours...
Et ils allaient lâcher dans la maison les trois fauves, ainsi transformés en bêtes de rapport, lorsque le prince, accourant à l' appel de ses gens, organisa une défense énergique, et s' armant, ainsi que ses domestiques, de carabines, mit en fuite les ours et les montreurs d' ours.
A la même époque, on retrouvait, sur la route de Pauillac à Bordeaux, un malheureux enfant que des Bohémiens avaient enlevé et qu' ils avaient abandonné là après l' avoir roué de coups.
Un autre enfant, enlevé par des Romanichels à l' âge de huit ans, parvenait à se sauver quatre ans après et s' en venait conter, au commissaire de police de Mâcon, sa triste odyssée.
Près de Clermont-Ferrand, on découvrit, dans un puits, le cadavre d' un petit garçon de huit ans que des nomades, sur le point d' être arrêtés, y avaient jeté.
En Avril 1906, on arrêta, près de Charleville, des nomades qui s' étaient emparés d' une fillette qu' ils avaient trouvée jouant sur la route.
Tous ces crimes, sans parler des vols innombrables et des déprédations de toutes sortes dont les nomades se rendent coupables dans les villages, ont ameuté contre eux le peuple des campagne.
Il est temps d' opposer une barrière à l' invasion des Romanichels et de leur rendre moins facile le séjour des routes de France.
Leur pullulement chez nous s' explique par ce fait que notre pays est, en quelque sorte, le but extrême de leurs pérégrinations. Une fois en France, ils ne peuvent aller plus loin.
L' Italie et l' Espagne opposent à leur passage un mur de montagnes qu' ils ne peuvent franchir. Ils restent donc ici et leur présence est une véritable plaie pour nos campagnes.
Le directeur de la Sûreté recommandait récemment encore aux commissaires spéciaux d' exercer sur eux une étroite surveillance, de profiter de toutes les occasions pour les identifier et d' indiquer l' itinéraire suivi par eux. C' est fort bien, mais ce n' est pas assez pour débarrasser le pays de ces hôtes incommodes. Ce qu' il faut, c' est donner l' ordre aux brigades de douanes, gardiennes de nos frontières, d' interdire absolument l' entrée à ces bandes de nomades.
D' après les statistiques du ministère de l' Intérieur, il n' y aurait pas moins de quatre cent mille trimardeurs qui parcourraient, à l' heure présente, les routes de France.
Qu' il nous faille subir les nomades de nationalité française, passe encore, mais qu' on débarrasse au moins nos campagnes de tous ces gens sans aveu, sans état civil, sans patrie, qui terrorisent nos villages et grugent nos paysans.
Ernest Laut

Le Petit Journal illustré du 8 Septembre 1907